"Le jardin des délices" de Philippe Quesne : paradis perdu pour arrêt de bus provisoire durant les travaux.
Bienvenue dans Le Jardin des délices, une épopée rétrofuturiste à la rencontre des mondes à venir. Dans l’espace fantasmagorique de la Carrière de Boulbon, Philippe Quesne, créateur de La Mélancolie des dragons, La Nuit des taupes ou encore Farm fatale, retrouve le Festival pour fêter les vingt ans de sa compagnie, le Vivarium Studio. Il rassemble une équipe d’interprètes, acteurs et musiciens prêts à entreprendre un voyage dans le temps d’hier à aujourd’hui, inspiré des allégories prémonitoires du tableau de Jérôme Bosch. Le peintre flamand a décrit le bouleversement radical des repères usuels, techniques et politiques dans une époque de transition, entre Moyen Âge et Renaissance. À sa suite, entre bestiaire médiéval, science-fiction écologique et western contemporain, Le Jardin des délices explore des mondes à la lisière des nôtres, lorsque fantaisie et utopie troublent le rapport entre nature et culture et formulent une réponse ludique aux menaces en cours.
La carrière Boulbon c'est un voyage, un rituel, un événement pour le spectateur, alors on y arrive en petit bus et pas pedibus comme ces huit escogriffes qui vont animer ce plateau, cette plaque tournante pole intermodal du théâtre, de la musique, de la danse Chacun s'ingénie deux heures durant à manifester son identité parmi les indices de l'univers de Jérôme Bosch et ça fonctionne, ça cartonne comme un bon western peuplé d'individus uniques, revanchards ou soudés à un destin burlesque, absurde, décalé, déjanté. Les corps bien identifiés dans des costumes tallés dans le vif pour mieux brouiller les pistes que l'on voudrait bien suivre pour comprendre l'intrigue. Justement c'est bien parce qu'il n'y en a pas que la dramaturgie patine joyeusement, que ça dérape et déraille à l'aise. La carrière comme un immense berceau, une cour des miracles trop grande, un XXXL démesuré pour ce petit autobus désuet, touchant qui se transforme à l'envi en cage, en studio, en navire qui divague. De la poésie, du trouble pour faire de ce spectacle un gouffre jubilatoire où le tonnerre gronde où la foudre menace où les petites fourmis que nous sommes ont des yeux de taupes et n'entrevoient rien d'une catastrophe imminente. Départ immédiat pour l'enfer, plus que le paradis perdu.
"The Roméo" de Trajal Harrell : à la mode de chez nous....
Le mythique personnage shakespearien dans la Cour d’honneur. Un prénom plus connu que celui de Juliette, plus rassembleur mais aussi plus ambigu. Grand amoureux ? Séducteur invétéré ? Il est au-delà des frontières le symbole d’un « à la vie, à la mort », adolescent et incandescent. En faisant avec le « the » un archétype, le chorégraphe et danseur nord-américain Trajal Harrell, actuellement directeur du Schauspielhaus Zürich Dance Ensemble, se joue des singuliers et des pluriels, des frontières nationales et culturelles. Une histoire contenue dans des danses imaginaires qui va ressusciter en nous l’archaïque, comme le désir de rêve commun. The Romeo est une Histoire de la danse qu'incarnent des interprètes de toutes origines, sexes, générations, tempéraments et humeurs. Une ode à la liberté lorsqu’ils et elles ont laissé leurs tragédies derrière eux ! Une danse, qui sait, d’avant la danse. Une danse qui convoque les imaginaires afin que ce qui est pensé impossible advienne.
Et si le "Roméo" était simplement une danse, un rituel, un habit, un vêtement sur mesure taillé dans le vif du sujet humain, dans le sujet à vif comme une proposition chorégraphique mouvante, seyante: de la haute couture signée par un maitre à danser, un mètre à danser, toise des corps, différents, multiples, uniques? Dans la Cour d'Honneur rien de semblable jusqu'alors ne s'y était déroulé. Prise comme un podium immense, un salon clôturé par un moucharabieh aéré aux fins interstices laissant filtrer l'air, le vent dans les voiles de tous ces apparats que l'on va voir "défiler" plus d'une heure durant. Le Palais des Papes frissonne et retentit de musique nostalgique, piano à la "Diva" de J.J.Beneix dont sont empruntés quelques belles mélodies lyriques. Ils sont là, les danseurs, nous accueillent, nous attendent dans une ambiance relax. Se présentent, se prénomment. Ils existent. Et tout démarre simplement par de très beaux mouvements d'ensemble où l'on perçoit traces et empreintes de Nijinski, d'Isadora Duncan, de ceux qui ont magnifié le corps comme enveloppe, tissu, ivres de liberté, de naturel. Paradoxe que ces nymphes, frises peintes et mouvantes dans ce futur beau désordre de couleurs, de parures, de luxe et volupté. Car du voguing dépenaillé d'origine, on passe à un rituel splendide d'atours lumineux, empanachés, fouillés conduit par des danseurs aguerris à une forme de gestuelle entre mannequina dompté et mouvance sauvage. Toutes les fantaisies permises sur cet immense plateau font office de rituel sacral où l'officiant, Trajal Harrell en personne surveille, conduit, observe ses serviteurs. Comme autant de chasubles ornementées d'une cérémonie païenne agencée pour malmener les codes ecclésiastiques. La mule du Pape comme autant de chaussures aux pieds d'un piédestal érigé en manifeste de la beauté. Loin de Shakespeare cet opus décoiffe, déroute ou offusque les bien-pensants, les adeptes de recettes à la mode. Un défilé loin des Chopinot-Gaultier de l'époque où la danse se frottait à la mode pour réinventer le "costume à danser". Ici les tissus, plis et replis de sapes insensées sont chargés de désordre et d'indiscipline dans un timing furieux et envoutant. La cour s'offusque et bien tant mieux" temps mieux" disait Bagouet: l'étang du lac est asséché pour le plus pur désir de Cocteau qui stigmatisait "Le Lac"comme un étang d'art funeste. Vive le voguing même décharné de sa charge sociétale, de son impact et sens d'origine. Que le spectacle continue.
1 commentaires:
Ravi par le délice du jardin + les cigales
Enregistrer un commentaire