jeudi 20 juillet 2023

La danse dans le Festival Off d' Avignon 2023 : "Not I" de Camille Mutel "Dans la boucle" compagnie Carré Blanc "Upshot" compagnie Relevant "Outrenoir" de François Veyrunes compagnie 47-49

 Un panel insolite de danse, variée, protéiforme, toujours surprenante...


"Not I" de Camille Mautel au Train Bleu hors les murs : un moment de grâce.

Not I est le premier volet de la quadrilogie intitulée La Place de l’Autre, un solo intime, au minimalisme radical et à la poésie diffuse. Il décline les étapes d’une cérémonie du thé japonaise, déplacée ici et maintenant. Camille Mutel met en place un rituel, un espace propice à une rencontre toute en douceur. Elle découvre les objets — un étau, une planche de bois — joue avec le couteau, effeuille un oignon, ajoute une nappe au tableau, pique le poisson frais. Sert un verre de vin rouge. Les gestes du quotidien sont décalés ; les mouvements lents. En silence — si ce n’est le bruit du vent dans les pins — le corps se fond dans ce plateau, qui bientôt devient une nature morte d’aujourd’hui, toute entière tournée vers l’autre. L’expérience sensible du geste d’offrande, du partage. 

C'est dans le cloitre de l'Université d'Avignon à potron minet que l'on assiste à une petite cérémonie décalée d'offrande qui serait celle du thé. Hors rien de tout cela sinon l'atmosphère, la lenteur, la gravité de ce moment intense et sacré de la vie japonaise. Ici simulée sur une estrade bois délimité au coeur du cloitre où le public est convié à l'événement matinal. Douceur, respect du lieu, gestes lents et simplement sacralisé par la perfection et la précision d'une exécution qui n'a rien à envier au véritable rituel. La quiétude, la nonchalance de la danse millimétrée sans être minimaliste est sobre et fait acte de sobriété, de don, de frugalité. Pas d'accessoire mais des objets détournés de leur fonction quotidienne. On se jour des formes, des matières pour créer un univers, une ambiance sage et savante, inspirée. La danseuse vêtue d'étoffe grise est belle et tranquille, sereine et complice. Son sourire est une esquisse de Joconde malicieuse, concentrée et ses gestes immémoriaux font office de rituel paisible, apaisé. Une réussite sur mesure pour ce cloitre inconnu, recherché pour ses valeurs architecturales, lumineuses et sonres. Un exemple de réflexion in situ sur la beauté du geste, offrande et partage au coeur d'un lieu chargé, empreint de calme, de volupté inédite et dissimulée. Du bel ouvrage pour un moment unique de méditation, de respiration intime diffuse et poreuse à souhait.


"Dans la boucle" de la compagnie Carré Blanc à la Scierie: danse formica.

Trio chorégraphique de danse contemporaine aux influences jazz et hip-hop, Dans la boucle est la première pièce signée de Zoé Boutoille, Yane Corfa et Bryan Montarou, sous l’accompagnement artistique de Michèle Dhallu. Elle questionne nos routines gestuelles, ces mouvement réglés dans le confort de nos foyers, que nous répétons, presque mécaniquement, sans plus y prêter attention.Le confort et avec lui la simplification de nos gestes nous auraient-ils éloignés des chemins de l’aventure, de la rencontre et de la poésie ? Et quand la mécanique déraille, n’est-ce pas l’occasion rêvée de faire un pas de côté, de repenser sa liberté et tenter de retrouver « le sel de la vie » que revendique Stefano Boni ? Ancré dans une esthétique vintage, Dans la boucle fait chavirer la vie de trois individus pour en faire ressortir émotions, situations cocasses et questionnements. Avec son écriture légère et sensible, Dans la boucle insuffle un vent frais de poésie et de folie venant éclairer notre vision du quotidien. 

Il faut les voir évoluer en trio alerte, gai, virevoltant et très dynamique sur fond de musique disco, vintage, très "fornica" pour y croire: une découverte, une surprise rafraichissante très bien menée, au rythme et à la dramaturgie de bon aloi. Les trois larrons de l'histoire sans queue ni tête affrontent le quotidien en déséquilibre, à contre courant, à contre temps. Et avec beaucoup de ressort comme un organisme qui s'emballe, déraille, déroute et fait mouche. L'ambiance est joyeuse et porteuse de surprise, l'architecture fait place aux corps qui l'a recomposent, s'en emparent et se jouent des niveaux, des failles et des embuches. Dans cette grande cour de récréation il fait bon suivre ce trio infernal pétri d'humour et de distanciation avec panache, verve et furie contagieuse.Le flux, le courant passe et l'on est emporté par la marée haute qui monte et se solde par une joyeuse manifestation de nos travers quotidiens.


"Upshot" de la compagnie Relevant à la Scierie:dancing code.

Upshot s’intéresse aux comportements, normes et postures d’un individu face à un groupe. Exclu, inclus, marginalisé. Tour à tour, à l’aide d’un vocabulaire chorégraphique propre et distinct, chaque danseur interprète différents rôles sociaux en fonction des codes dont il dispose et de ceux qu’il doit acquérir pour intégrer le groupe. Les mouvements et le corps deviennent alors une manière de se présenter à l’autre, de parler de soi, d’entamer un dialogue. La pièce raconte la confrontation entre l’individu et le groupe, les degrés d’inclusion ou d’exclusion et nous emmène dans une exploration des symboliques et des représentations de soi. 

Quelle verve, quel tonus pour ce collectif qui sans entrave fait fusionner énergie, enthousiasme et écriture collective au profit d'une horde, d'une meute solidaire et soudée. Le langage est clair et direct, la danse fuse et infuse au profit d'une esthétique sobre et limpide. Ils sont engagés, volontaires et sans faille et cela fait du bien à celui qui sait regarder sans cesse dans toutes les directions divergentes, la vivacité d'une signature protéiforme bien trempée!: Marwan Kadded, Freddy Madode, Jérôme Oussou, David Walther, Elliot Oke au diapason d'un travail où la dépense ne se compte pas mais se raconte à travers les corps galvanisés et soudés par une narration explosive.

 


"Outrenoir" compagnie 47-49 : ça soulage.

Après une plongée dans les grandes figures mythologiques évoquées tour à tour avec Tendre Achille, Chair Antigone et Sisyphe heureux présenté en Avignon 2018, la Compagnie 47•49 François Veyrunes ouvre une nouvelle trilogie « Humain trop Humain », dont le premier volet Outrenoir, s’inspire symboliquement de la quête du « noir lumière » de Pierre Soulages.
La danse comme une chambre d’écho des profondeurs de l’être, « Outrenoir », annonce la couleur et ne craint pas d’entraîner un quintette de magnifiques danseurs dans le tréfonds de leur humanité. Servie par une écriture scénographique subtile, la danse, puissante, met les corps sous tension. Elle conduit les danseurs face à eux-mêmes, en pleine lumière, en guerrier poétique. 

François Veyrunes signe ici l'éloge de la lenteur, de la grâce et de la sobriété. L'évocation de l'oeuvre de Soulages en filigrane, jamais évidente tant le scintillement de cette couleur n'apparait  que ponctuellement et n’efface jamais la lumière que dessinent les corps dans l'espace. Le trait, la trace, le rythme en sont la base et l'empreinte de la musicalité picturale redessine les contours d'une pierre phonolite, volcanique étrange De par leur résonance visuelle les corps plongent dans le mystère du silence et de la dynamique fluide, calme et voluptueuse de la chair vivante. Esquisse et toiles tendues vers des cieux immenses, la danse s'étire, fond, se répand et filtre un élixir de jouvence aux fragrances de potion qui se liquéfie à l'envi. Quand danse et peinture se relient, l'inspiration respire, le geste se fait trace et signe et la magie opère; l'outre danse est née dans la cosmogonie de Terpsichore.



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