mercredi 11 mars 2020

"L'Aigle Noir" Barbara en majesté ! La longue dame brune en visite.


Pour cette toute nouvelle création, la compagnie Théâtre Lumière s’est immergée dans l’œuvre de la légendaire dame en noir Barbara. Ce spectacle de théâtre musical offre une soirée en toute intimité avec l’essence même de l’artiste : son rapport profond et sensible à l’enfance, son regard tendre et pragmatique aux hommes, sa tendresse, ses blessures, sa fragilité, ses terribles insomnies, son humanité et sa jubilatoire et profonde croyance en l’Amour.

L’univers de Barbara a toujours accompagné les interprètes Clémentine Duguet et Christophe Feltz dans leur parcours artistique. Elle fait partie de ces grandes « plumes » de la chanson française avec Boris Vian, Jacques Prévert, Serge Gainsbourg, Léo Ferré, Georges Brassens ou encore Jacques Brel.

Au cours de ce spectacle musical, vous entendrez les textes et certaines chansons de ses « incontournables » devenus cultes tels que Nantes, Dis quand reviendras-tu, Au bois de Saint-Amand, Ma plus belle histoire d’amour c’est vous...mais vous en découvrirez aussi d’autres plus méconnus, de véritables petites perles rares et précieuses de cette grande dame de la chanson française qu’est Barbara.


Rappelles-toi, Barbara...
De plus de 160 textes recollectés, lus, visités, Christophe Feltz batit un spectacle, au fil de la vie de Barbara: de l'enfance àux amours, de l'âge adulte, de l'épanouissement jusqu'à la mort, l'enterrement.
On est dans des aveux d'amour fou, "comme un aigle royal": les "je t'aime" fleurissent, naturels, évidents.Quant aux aveux "je ne suis pas une grande dame de la chanson", il va de soi que l'on va découvrir la face cachée de Barbara; les textes s'enchainent librement insoirés par les thématiques évoquées "ma plus belle histoire d'amour, c'est vous", comme un hommage au public, une reconnaissance. Chapeau et écharpe noire pour accessoires, Clémentine Duguet nous entraine sur les chemins de Barbara, en sa compagnie, école buissonnière de la chanson, dans un bel engagement sincère, vécu, partagé.La mémoire, l'enfance se délivrent: "toi, mon passé, ma mémoire" surgissent: cela hante Barbara dans une tristesse non dissimulée. Christophe déclame, exulte: "vas", "pars", le monde est un espoir! Et de traverser les miroirs pour donner à voir et à entendre des "la vie est un long je t'aime que l'on doit écrire soi-même!"
"Gottingen", "Saint Amand" s'enchainent, ludique, jovial, Rimbaud et Verlaine se baladent dans des "alcools dorés", des "verse moi à boire" enivrants.Christophe se met à murmurer du bout des lèvres et du coeur, dans un joli jeu engagé, prenant, agacé par les propos de Barbara.
De l'amour qui s'en va, son coeur qui s'arrête, on se quitte en fin d'été par de beaux paysages...Des adieux aussi. Une fille perdue qui a "tué l'amour, et ses rêves. Christophe est désemparé, sans voix, effondré, transi;" je ne sais pas" avoue-t-il et l'on vibre en empathie avec tous les personnages, les multiples facettes de Barbara que l'on découvre forte ou fragile.
Mourir aussi, sereine dans une belle diction rayonnante: Clémentine Duguet, sobre, dans une gestuelle mesurée évoque l'artiste sans jamais l'imiter.L'âge tendre, la jeunesse au corps, au coeur.
Elle "cherche un homme qui ressemble à un homme, mon homme en somme": tout est dit malicieusement dans un ton assuré de revendication féminine !
Un bordel aussi avec des vraies "putes" aux noms savoureux: La Goulue ou Grille d'Egout en seraient jalouses.Encore une "Si la photo est bonne" pour s'apercevoir que l'on n'avait jamais vraiment prêté attention aux paroles!
Que de l'inédit récité, partagé, conté et chanté avec brio: un très émouvant"Il pleut sur Nantes" cède la place à un véritable dialogue, duo complice, en écho entre les deux artistes/
Et la vie va jusqu'à "l'enterrement" fatal: "enterre moi dans un piano noir comme un corbeau" quand je serai morte!
Et ce jour là sera mascarade, et bien "vivant", prolongeant l'oeuvre de Barbara de façon pertinente, inspirée, en phase avec sa révolte, son besoin d'amour, ses aveux de faiblesse, ses moments de bonheur
Un récital plein de verve, de passion, mené tambour battant par deux artistes aguéris à la scène, l'interprétation et au gout de la dramaturgie.
Dites, quand reviendrez vous nous dévoiler les secrets des grands chanteurs de ce monde ?

Avec Christophe Feltz (jeu) et Clémentine Duguet (chant)

Au Café Brant 11 Place de l'Université à Strasbourg les 4 et 11 Mars

"A Vue": le grand dégenrement ! A hue et à Dada !

À vue

Brigitte Seth & Roser Montlló Guberna de la Compagnie Toujours Après Minuit.


© Christophe Raynaud de Lage

 Bien connues du public de POLE-SUD, Brigitte Seth et Roser Montlló Guberna conjuguent avec jubilation danse, théâtre et musique. Dans leur récente création À vue, les deux artistes ont conçu un épatant jeu de piste autour des identités. Une façon de brouiller les genres qui fait place à l’altérité.
Au théâtre, que signifie percevoir l’autre en réel ? Observer, peut-être, des personnages qui changent à vue d’œil, dans l’espace de représentation mais aussi en dehors. Métamorphose des corps qui ouvre d’autres possibles autour d’un scénario basé sur l’état de passage, la transformation. Car il s’agit ici de bouleverser les perceptions visuelles, physiques, et même celles du sens. Sur scène, trois interprètes, un homme et deux femmes, le premier déguisé en femme, les secondes en hommes, tous trois en quête d’être...un autre. Ils ne racontent pas d’histoires mais entrent en dialogue.
Le texte oscille entre interrogatoire et confession. Dérèglement, révélation, invention, le burlesque n’est pas loin pour questionner ces façons d’être, ailleurs que dans la norme. Où l’on retrouve les grands thèmes de Brigitte Seth et Roser Montlló Guberna, qui se sont fait une spécialité de ces étranges troubles d’identités. Depuis leur duo El como quieres et jusqu'à leurs spectacles de groupe comme Esmérate ! (Fais de ton mieux), elles examinent l’humain avec humour, sous toutes ses coutures, de son intransigeance à sa vulnérabilité, de son aliénation à sa liberté d’être et d’envisager l’autre.
France, Espagne / Trio / 1h15

Ne tirez pas sur les artistes, "à vue", ne vous laisser pas ravir tout de suite non plus: attendez l'immersion totale pour gouter aux affres et aux péripéties vocales et corporelles de ces trois personnages, bien "typés", en tout genre , en toute "mascarade" caparaçonnée.
Hommes en tailleur- costume masculin bien genré, deux personnes respectables, un Laurel débonnaire qui cause et s'exprime par le verbe, un autre plus destiné à la vision plastique d'un corps très mouvant qui tangue sur son tabouret, se joue des espaces, en "état de siège" permanent
Salle d'attente ou commissariat de police: où sommes nous sinon dans des univers où la conformité est de règle, où les normes sont valeurs sûres et irrévocables. Comment vivre , surnager, respirer dans cette atmosphère confinée de culpabilité, de faute à expier: lesquelles ? Celles d'être soi, différent, unique et responsable de son corps, de sa voix, de ses propos, de ses propres envies et désirs.
Tisane, infusion de  bien "hêtre", bien naitre!D'être homme ou femme, homme et femme, être hybride ou androgyne: "je suis en transe, je suis sexuelle" s'exclame Hardy, face à son-sa partenaire qui dévoile un sein généreux, qui explose,qui sort de son chemisier: icône frappante, très plastique, impertinente et indisciplinée qui montre combien la force de la suggestion va au delà des tabous. Un corps "conforme", normé n'est ici pas de mise.Dans des poses arachnéennes, Roser évolue, telle un animal dansant la tarentelle, souple, bondissante,  "Qu'est-ce qui vous amène" ? Quelle motivation, quel motif nous habite pour avancer?
Les visages se métamorphosent sous des lumière projetées, voilant la face comme un trombinoscope, un photo maton pour mater les êtres, les confiner. Sur une musique répétitive, la danse aux accents très "masculins" de Roser fait mouche Simulation de masturbation discrète, jambes ouvertes, poses et postures machistes, incarnées par une femme, costumée en homme, lui-même perruqué en femme: la mise en abime est drôle, désopilante et dramatique, pathétique aussi.
Un magnifique duo entre les deux protagonistes, dégenrées, comme une sculpture de corps enlacés, les lumières dessinant les contours charnels de ses corps désireux, désirables. Au ralenti.Presque acrobatique.
Un compère, Sylvain Dufour,fait enfiler à une "créature" des "marcels" successifs dans un consentement feint. Curieuse transformation, métamorphose d'un être non identifiable, mais vivant. Le visage caché dans les mains, les chaussures à talons rouges très seyantes, pour stigmatiser la féminité: talons aiguilles à la Almodovar, comme parfois le jeu de Roser Montllo rehaussé par un accent et des tonalités hispanisantes. "Nom, prénom, nom": l'interrogatoire n'est pas terminé dans ce huis clos policé: hors de tout soupçon, innocente créature, accusée de rien, sinon d'être différente.
Deux "jumelles" sœurs de fratrie, en robe grise des années 50 mènent le jeu et acculent la victime en proie à la désobéissance à se révéler. A l'ignorance aussi qui fait tant de ravages: aimer, ne pas casser, comprendre, évaluer, considérer l'autre sans le téléguider et l'humilier.
Traque, poursuite, chasse à courre ou simple détention provisoire au cabinet, au "poste" de police, au tribunal...Dans la salle d'attente, le corps de Brigitte Seth vacille: chez le psy, en garde à vue, en situation d'accusation. Le verbe la défend, les arguments sont corps et voix dans ces beaux duos, trio où une musique de fanfare vient mettre son grain de sel et pimenté les situations; la dramaturgie opère, des marches impatientes traversent le plateau, déterminent l'espace au delà du quadrillage au sol, parking à la Dogville ou Holy Motors cinématographiques. Les jambes de Roser comme des personnages, s'étirant, sensuels, loquaces membres animés de sensualité savoureuse.
"Le genoux de Claire" comme référence à certaines parties du corps si éloquentes.
Un solo, très "dada" de notre araignée, en "bonne sœur" déjantée à la Hugo Ball, traverse le plateau et vient s'écraser au sol, atterrissage sur le tarmac, improbable visite au pays de la norme: c'est énorme et frappant!
Corps machine de ce "jeune homme" en slip noir et soutient gorge, détraqué, à toute blinde , à brides abattues. Être un oiseau, un échassier, jambes nues, longues et fascinantes pattes à modeler le genre: serait- ce le "destin" de Roser, son désir? Être "debout", se tenir droit chez l'humain dans la souffrance: telle serait la question. Mais la colonne vertébrale est courbe alors à quoi bon s'échiner à l'impossible? "Imposture" que cette "station" verticale !
Au finale, trois sculpture dégenrées, robe noire pailletée, chemise et cravate, sous-vêtement comme ornement: tout bascule définitivement dans l'absurde et le beau: tableau à la Bacon, figures et défiguration du geste, de la pause, de l'apparence.
Qui sommes-nous?

"A vue": un titre qui dépote, questionne, accuse aussi. Décale et traque l'artefact: c'est l'auteur Jean Luc A. d'Asciano qui fait levier et inspire le spectacle. Une démarche commune des comédiennes en sa présence pour créer du corps-texte, du geste écrit et incarné pour l'occasion. Création à part entière, commune, du sur mesure taillé dans verbe, mots et matière corporelle pour vivre sur scène un destin éphémère.
Montrer sans artifice, comme un jeu d'enfant cette marelle, scrabble inventif. Les espaces se révèlent: exposition et représentation, intermédiaire aussi, no man's land habité par des errances d'identités nomades.
Surtout "ne pas tout dire" ni décrire comme dans un roman: suggérer finement innommable, l'indicible.
Sur "un plateau", servi par des protagonistes doués de mutations diverses et variées; course de "serveur", de passeurs d'informations secrètes.
Et si l'entretien , la visite médicale ou l'interrogatoire sont montrés du doigts comme des instants inhumains, c'est aussi grâce aux talents de ces comédiennes-danseuses, diseuses de bonne aventure que l'on doit cette pertinence dramatique Ici on forme la personne "à ne pas répondre" et donner moins de place aux mots. Robert Walser, Gertrud Stein veillent au grain.
Avec ce "théâtre qui danse" et cette "danse qui joue" Roser et Brigitte incarnent le trouble et ce palimpseste qui les traverse opère à fond. Des empreintes qui traversent le corps, écrivent leur histoire  dans une grande liberté de "règles du jeu" à transcender.
"Ce qui sort, ça me dépasse" confie Roser et ceci dans une sorte de transe incontrôlée, vivante.Débridée. Parler pour continuer à avancer, comme une bonne pioche dans le Talmud où la discussion est toujours ouverte et de bon aloi.Un système original de rhétorique incontournable pour nos avocates du diable qui le traquent et le convient à la barre, sans miroir, au "milieu" du studio.
Les armes ancestrales du théâtre, brandies comme des trophées, instruments de recherche et observatoire du monde: les "accessoires" aussi, aidant à la mutation lente mais certaine des pensées, actes chorégraphiques qui s'inscrivent sur le plateau comme autant de "signatures" cocasses.


Mardi 10 Mars 2020 à Pole Sud

dimanche 8 mars 2020

"Une chambre à soi": Love Music: une alcove musicale.


Lors d’un récent entretien la compositrice Betsy Jolas a tenu ces propos sur la place de la femme dans le monde de la composition musicale : “...comme Virginia Woolf a dit - le problème pour la femme c’est qu’elle n’a pas de chambre à soi... j’ai eu beaucoup de difficulté à trouver une chambre à moi!”

Pour la journée internationale de lutte pour les droits des femmes 2020, lovemusic mets le projecteur sur des compositrices qui ont marqué leur ligne artistique ainsi que des nouvelles collaborations. À cette occasion, le collectif a passé commande d’une nouvelle pièce spécialement pour ce projet auprès de la compositrice alsacienne Claire-Mélanie Sinnhuber.


Musique de
Betsy Jolas: "music to go" pour alto et violoncelle de 1995
Un vrai duo d’alcôve, languissant, sensuel, affirmé , mouvementé à l'écriture savante et discrète.

 Claire-Mélanie Sinnhuber crée "Machinettes" 2020 pour flûte, clarinette, guitare et violoncelle   (commande/création) qui succède comme un dialogue entre oiseaux, question-réponse, en petites notes aiguës, stridentes. Humour et verve hispanisante pour ce quatuor burlesque, bigarré, aux rythmes syncopés. Comme autant de petits jouets qui s'animent dans un univers ludique, onirique; de petites touches imperceptibles dans la composition, interrompue en séquences renouvelées.


  Naomi Pinnock (création française)"Everything does change" de 2012 pour clarinette, violon et violoncelle: une grande intimité dans la lenteur des interventions de chacun des musiciens: dissonanceS et distorsions des sons et harmoniques, en poupe.

Rebecca Saunders, avec "Molly's song 3-Shade of crimson" pour flûte, alto et guitare avec radio et boites à musique de 1996
Un solo de violon en ouverture, très prenant, présent, dramatique, obsédant laisse la flûte surnager: une petite musique de nuit à l'appui, des crissements, comme dans une chambre d'enfants. Un univers singulier, remarquable.

Michelle Agnes Magalhaes,avec "Migrations", solo pour violoncelle de 2018 pose les frontières du domaine de la percussion: sur le corps de l'instrument, l'interprète frappe le bois, la carcasse, exosquelette vibrant.Une feuille de papier, glissée entre les cordes, comme une page de livre ouvert, bruisse; comme sur des tablas, le son percute.Elle souffle, le vent dans la feuille de papier est brise et prise d'air. Glissé de l'archet, voix quasi dans des tonalités indoues; le violoncelle "préparé" intrigue et fait son bolly-wood ! 

Au finale c'est au tour de Michelle Agnes Magalhaes, avec "Lorca fragments" de 2016 pour flûte, clarinette, violon , violoncelle et guitare de prendre le relais.
Les cordes "préparées" de papier d'aluminium argenté s'agitent. En fond de scène sur un écran se dessinent des formes, tracées en direct: graphisme enfantin à la Jean Cocteau, inspirés des dessins de Lorca. Chacun des instrumentistes s'exprime, s'écrie, volubile: une assemblée loquace et polyphonique.La palabre assumée, discussion ferme, se prolonge, bigarrée, insolite.Les tempi s'accélèrent, glissades et intrus bienvenus!
Des dessins de matelots, tendres, magiques apparitions éphémères comme des traces et signes de mélancolie ou de portraits, visages de clown tristes.
Deux mains qui se tendent, fil conducteur dans ce labyrinthe rythmique déchainé; double face, Pierrot lunaire bicéphale. Comme un crayon qui trace sur une ardoise magique où tout nait et s'efface à loisir. Beaucoup de liens, de liaisons dangereuses en huis clos et rhizomes dans cette pièce phare

Un concert à l'image de Love Music: étonnant, recherché, stimulant.


Emiliano Gavito - Flûte
Adam Starkie - Clarinette
Winnie Huang - Violon
Lola Malique - Violoncelle
Christian Lozano - Guitare

Concert suivi d'un apéro offert - un moment d'échange entre les artistes et le public.

Dimanche 8 mars 2020 à 17h | Auditorium de la BNU