vendredi 1 juin 2018

"Paresse" : épater deux fois la galerie sans fatigue : un solo déroutant !


Mise en scène Maxime Kerzanet d'après Lafargue
Un jeune homme seul erre dans son lit et ses questions, et se demande entre autres comment il pourrait employer son temps librement plutôt que d’en être esclave.
« Paressons en toutes choses, hormis en aimant et en buvant, hormis en paressant. » Lessing.
Maxime Kerzanet donne l’occasion de s’interroger sur la question du travail, et pour cela de se vautrer dans le douillet de la cave, à la quête d’une paresse collective. Cette paresse délibère sur le temps, l’ivresse, l’amour.
Cette pièce libère des attentes de l’action et provoque chez le spectateur une ribambelle d’images et d’exploits régénérateurs.


Une cave, quasiment vide, vingt spectateurs, face à face, et au milieu un décor de fortune: table, lit matelas au sol, défait, tapis étalé...Sobriété, mais efficacité de ce dispositif qui frôle le spectateur, agit avec toute la proximité du lieu. L'acteur est là, si proche et entame d'emblée une réflexion sur le processus de création: que va-t-il bien faire pour évoquer le "droit à la paresse" ? Ce seront deux différents personnages, l'un savant et docte metteur en scène, l'autre joyeux "simplet" dont les paroles déferlent d'une voix fabriquée, comique, rauque, proche d'une "singularité de handicap mental"; c'est très réussi et jamais caricatural ! L'un offre à l'autre en cadeau, une dentition de pelure d'orange qui lui tient lieu de prothèse miracle et draculesque, l'autre se rit du rêve et de la réalité, évoquant Schopenhauer, Hegel, convoquant Marx: philosopher, c'est aussi beaucoup de travail pour cet "esclave" du labeur, ce "martyr" de la tâche, ce supplicié du boulot ! Ce sont les poètes qui chantent la paresse, se donnent ce droit, cette liberté de faire le Christ, cagoule et ombre chinoise au poing, en découpe au plafond, en silhouette étirée , belle scénographie d'ombres et de lumière.Il chante cette balade en hommage à l'état d'errance de l'esprit: on prend son temps, on s'étire au pied du lit sur sa paillasse, on rêve avec ces deux lascars et le comédien use d'un don d’ubiquité saisissant ! "Paressons", écrivait Lessing : en robe de chambre, tee shirt avec faucille et marteau , il y a "du pain sur la planche" pour ce travailleur des planches théâtrales!


Une chanson de Gérard Manset, sur les vies monotones, un petit solo en gamme pentatonique et le tour est joué, le voyage de ce troubadour , anti- héros du labeur opère et nous embarque dans la poésie de l'instant partagé, là, tout près de lui. Le "travail" du poète est rude et fatiguant, on compatit avec sa charge et ses tâches exténuantes. Avec un "gros ventre" factice Paulus Lafargus devient trivial et accessible au plus grand nombre, quitte ses habits de philosophe et rend hommage à Armand Gatti: "il n'y a de révolution que celle du soleil". Quelles blagues bien placées, encore quelques notes de guitare, un chant romantique en chambre d'écho, et déjà, la pièce se referme, la cave se vide et les reliefs du décor se figent. Un livre recouvert de terre, muet comme une tombe sur son petit tabouret, demeure en témoin de ce qui vient de se passer: une communion, petite cérémonie rituelle pour public averti, charmé .Maxime Kerzanet, comédien qui se dédouble à l'envi avec talent, nous livre ses multiples facettes et celle d'un auteur qui lui a inspiré une diatribe librement interprétée, adaptée à cette "galerie" souterraine à amuser, épater deux fois : un beau travail de fourmi, de taupe pour underground inspiré, sensible.Un pistolet viendra ébranler les esprits, sans flinguer l'ambiance ni provoquer de suicide improductif. Maiakovski rôde dans l'ombre et semble ressusciter.
D’après Le droit à la paresse de P. Lafargue et autres textes. Mise en scène et jeu de Maxime Kerzanet. En coproduction avec la compagnie Science 89 (Nantes)
Dans le cadre du Festival de Caves 2018, à Strasbourg les 1 et 2 Juin, 20H

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