samedi 1 février 2020

"Notre Dame de Paris, l' Eternelle": Zvardon , prophète .

Sa charpente et sa flèche sont parties en fumée le 15 avril dernier, mais Notre-Dame de Paris retrouve sa superbe dans un bel ouvrage paru cet automne.


Quelques semaines avant le violent incendie qui a ravagé l'édifice le 15 Avril 2019, le photographe d'origine tchèque Frantisek Zvardon tirait le portrait de la célèbre cathédrale.
Dans Notre-Dame de Paris, l'Eternelle, ouvrage paru cet automne aux éditions du Signe, il s'associe à l'écrivain et biographe de Jean-Paul II Alain Vircondelet "pour magnifier sa splendeur millénaire, se souvenir de sa magnificence, de l'ampleur du désastre et de ce qui a été sauvé", écrivent-ils.
Les deux hommes ne font pas mystère des ravages causés par les flammes et rappellent que pour la première fois, Noël ne pourra pas y être célébré cette année. Mais ils préfèrent mettre l'accent sur les joyaux préservés : les vitraux, les reliques, l'autel majeur ou le grand orgue.
Notre Dame de Paris retrouve sa superbe dans un livre hommage.Les plongées ou contre plongées vertigineuses nous font pénétrer dans ce haut lieu, les vitraux tremblent encore de leurs couleurs vibrantes, les statues se sont tuent et gardent leurs secrets.La pierre parle dans ses teints de peau à la carnation vive et soyeuse.Notre Dame, femme de Paris le long de ses berges qui l'hébergent et l'entourent amoureusement.Un monument humain pourtant, accessible au regard et à la pensée, gothique mais flottante, berceau d'Esméralda, la danseuse du parvis, flèche bondissante et enflammée de ferveur et d'érotisme...Regard étoilé de Zvardon sur cet édifice, prisé des curieux, paiens ou croyants.
Un côté universel et spirituel de la photographie, transcendé par le risque ou la douceur de dévoiler la face, le corps caché de la grande Dame de Paris !

Notre-Dame de Paris, l'Eternelle, Alain Vircondelet & Frantisek Zvardon, éditions du Signe, 21x27 cm, 80 pages, 2019, 10€.





vendredi 31 janvier 2020

La voix des signes: Michaux,Maulpoix : La vie dans les replis de l'écriture ennoncée.

photo robert becker
Que cherche le poète, dans l’encre, en deçà des mots ? Une autre aventure de signes délivrée de la signification ? Jean-Michel Maulpoix a beaucoup lu Henri Michaux et il emprunte les mêmes chemins de traverse. Un dialogue s’engage à distance... « je peins pour me déconditionner » affirmait l’auteur de « La voie des rythmes ».
Pour traverser d’une autre manière la blancheur et le silence pourrait ajouter celui de « Pas sur la neige ».
60 oeuvres sur papier, encres de Chine, gouaches et acryliques des deux poètes, Henri MICHAUX et Jean-Michel MAULPOIX, entre écriture verbale et écriture graphique.

"Voir et dire"...
Textes de Henri MICHAUX et Jean-Michel MAULPOIX dits par Martin ADAMIEC

Dans l'univers des deux peintres dont les oeuvres sont accrochées aux cimaises dans une maline confusion, Martin Adamiec, grand amateur et fidèle lecteur de Michaux, s'empare des textes de l'un et de l'autre dans une verve toute singulière C'est Michaux avec ses "fourmis" qui inaugure cette course folle à l'audace, à la fantaisie, à la stupeur et aussi à l'absurde. Ses choix sont ceux d'un chercheur de tête, judicieux, inédits et le lecteur révèle aux tympans et autres oreilles aiguisées, les timbres et sonorités du rythme de la syntaxe du peintre-poète. Michaux et son "Plume" exulte sous la langue, dans le gosier de notre conteur-diseur des mots les plus acerbes, tranchants de l'épisode de "La côtelette"! La tension monte, s'enflamme et s’envenime, la situation se complique et tout finit par des éclats de voix, sonore, timbrée comme il faut pour faire apprécier la densité, la force et la tectonique du texte. Adamiec en avocat du diable dans les sentences de plaidoyer pour une rhétorique de comédien à la Olivier Gourmet, sans effet de manche ni de cabotinage
Tout en noir comme les dessins derrière lui qui bougent et s'animent au son de sa voix, réveillant leur destin d'eaux dormantes.
Un jeu animé par la richesse  de ses lignes, taches, traits de calligraphie vocale, de rafales de mots où l'on se sent "chez soi", dans la foule des personnages griffonnés qui le hantent, cette multitude qui grouille, ses ratures qui rassurent ! Avec un lit sous le bras, il séduit les femmes, dans les rues interminables des ville, sans virgule, comme des phrases sans ponctuation, il est tenu à l'errance, la confusion

Michaux avec ses "je" s'adresse à l'autre, le fait complice et témoin dans une salutaire tourmente, tumultueuse, turbulente.Un poids-plume plein de densité, de légèreté, virtuose.
Et les nuages d'être de la partie, essorés, pour notre plus grand plaisir: ça ne fait pas un pli !
A la manière de Lee Ungno et de ses "foules"...



Une belle initiative pour mettre en résonance les oeuvres des deux peintres poètes, si proches, si complices !

A la Galerie Chantal Bamberger
Lectures  les vendredis 31 janvier, 7 février, 14 février et 21 février à 20 heures
  •  

jeudi 30 janvier 2020

"L'expérience intérieure": aux tréfonds du corps profond: l' imagerieà corps ouvert.

L’expérience intérieure - Philippe Poirier
 2019, 52’, Sancho&Co


Il est fréquent aujourd’hui de se retrouver spectateur des images que la technologie moderne met à la disposition des médecins pour soigner les corps. Quand notre regard plonge ainsi dans cette « ouverture », nous accédons à un monde de science et de fiction. Que voyons-nous au juste et à quelle réalité nous mesurons-nous ? Le réel, ici, est une contingence, celle de notre corps dans sa vision la plus crue avec lequel il nous faut négocier notre existence tant individuelle que collective. 
En présence de Philippe Poirier, réalisateur.

Un portrait des idées sur le corps intérieur de Jean-Luc Nancy: ou comment le faire réagir en lui montrant des images choisies pour leur im-pertinence: voilà la forme du film ainsi définie par le réalisateur et musicien-scénographe.C'est le mode d'apparition des images qui fait jaillir la promesse d'une pensée sans parole, imaginaire.Le chemin parallèle entre pensée discursive et images- la présentation sensible des idées selon Hegel- est au coeur du processus de création de cet opus étrange, film très "charnel et sensible" de Philippe Poirier.Mais comment fonctionne notre imagination, usine fertile et prolixe, ici convoquée sur le thème de l'expérience: entreprise, contemplation infinie, incommensurable...J.L. Nancy pense avec son corps, la vie et la mort..

Des images sidérantes en prologue, celles d'avaleur de sabre ou de néon qui questionnent notre "intérieur" et notre intériorité. Que voit-on à travers le corps, à travers ces images radioscopiques, médicales...On pénètre ici par le regard les abysses de la chair, on "organise" le monde organique en le révélant à l'image.On s'y retrouve dehors et dedans, comme pour le corps dansant et son espace intime, extime.Des empreintes de corps laissées sur les parois des cavernes, comme une intériorité spirituelle mise à nue: l'intime est ce qui s'exprime, qui ne reste pas caché au fond. J.L. Nancy à vif, dans le vif de la chair, du ressenti, dans la parole, la pensée et les gestes: filmé assis, il se dévoile, homme tronc, tronqué, le langage des mimiques exprimant le courant, la vivacité la brillance scintillante de sa pensée en mouvement.La voix est aussi la résonance du corps comme esprit en corps et en chair, vecteurs du son.Pas de paroles sans voix, mais on privilège la voix sans parole, le geste...
Très belle séquence où est évoquée en images, en icônes picturales choisies, triées sur le volet par les intentions du réalisateur: la "carnation" y apparait, évident conducteur du teint, de la couleur de la peau qui se présente "au dehors" non comme une enveloppe mais comme un lien, une adhérance à l'organisme.La peau du monde qui trésaille, lumière et passeur d'énergie, de chaleur, d'envie et de désir de communiquer avec l'autre.Le teint comme présentation de la vie, de la circulation du sang



léonard de vinci
 A partir des dessins d'anatomie de André Vesale , celui qui "fait voir" l'étrange et l'étranger en nous, le film conduit au "mystère", ce qui s'éclaire de soi-même et révèle l'inconnu. Léonard de Vinci excelle dans le croquis, serein, de la chair, des muscles et séduit par la tranquillité de ses découvertes sidérantes.Repoussant du dedans, séduisant du dehors, ce corps que nous transportons chaque jour ! 
"Corpus" que l'on regarde comme un excédent de corps, trop de corps qui s'ignore où se ressent à fleur de peau.
l'ange de l'anatomie

A corps ouvert, ces étranges figures, personnages sculptés dans la cire peuplant les musées d'anatomie. La Vénus de Florence, belle endormie, nue, ronde et charnelle, comme une boite de Pandore, ouvre ses flancs pour dévoiler son intérieur viscéral !


Ouvrir son corps en douceur comme sur ces planches d'anatomie où de véritables mannequins de défilé de mode, dévoilent  leurs entrailles, la peau flottant comme un châle ou une paire d'ailes factices...Une mélancolie élégante que de montrer ce qui les tue !


L'étrange beauté du désir, l'étrange étrangeté de l'impossible à voir.
Tout le montage de la parole de J.L. Nancy pour faire un film qui passe par le corps, qui n'est pas un film sur le corps, mais un filtre de lumière à travers la peau pour déceler l'intime. Bien en chair et en os dans l'évocation du "Transi" de ST Thomas, sculpture momifiée d'un personnage célèbre Nicolas Roeder qui se montre entre vie et mort avec la peau et les os, organisme pétrifié dans son aspect quasi vivant, animé de tensions.
A bien passer vivant à travers la mort dans cette mise au carreau très stricte et réaliste, sidérante en diable.
Autopsie du réalisme, dévoilée à travers les paroles d'anatomiste et chercheurs scintifiques de renom.Un choix judicieux de témoins, de passeur de savoir pour "illustrer" et abreuver les paroles de Jean Luc Nancy


Un hommage au philosophe à fleur de prises de vue s'autorisant à accompagner ses propos vifs argent avec des images, matrices d'un savoir sur la chair organique et d'une réflexion sur la "bonne chère" du haut de la chaire de toute son expérience cinématographique pour Philippe Poirier: un art du mouvement et de la mise en lumière, corps-objet dansant à distance pour mieux se rejoindre dans l'étreinte du rythme.
Un film qui avance comme la pensée du philosophe en marche, danseur attentif , en éveil, aux aguets, malin et espiègle facteur et passeur d'intelligence -inter-ligerer- : relier, rassembler ses pensées pour les amener plus loin, les déplacer comme un corps guidé par ses intuitions.


DANS LE CADRE DE LA NUIT DES IDÉES : ÊTRE VIVANT ?
En partenariat avec l' INSTITUT FRANÇAIS, porteur de l'évènement.

CYCLE Focus Films Grand Est
Un dispositif de valorisation des films soutenus, tournés et/ou produits dans la région Grand-Est.

En partenariat avec Image Est et La Pellicule Ensorcelée.