Panthère est un huis clos se déroulant dans la chambre d'une petite fille, Christine, vivant seule avec son père depuis que sa mère a claqué la porte en menaçant de « se foutre en l'air ». Son chat, Patchouli, vient de mourir. L'enfant voit alors le tiroir de sa commode s'ouvrir tout seul : en sort une magnifique panthère au poil jaune, constellée de motifs bariolés et changeants. De son vrai nom Octave Abracadolphus Pantherius, l'animal est le prince héritier de Panthésia, un pays féerique qu'il va décrire en détail à sa jeune hôtesse au cours de longuesdiscussions, à l'abri du regard des adultes.
Là s'arrête la comparaison avec « Calvin et Hobbes » : beau parleur, trop parfois, le prince Panthère va se révéler un personnage manipulateur, doté de pulsions dérangeantes et pourvu d'amis bien peu recommandables, pour ne pas dire violents.
UN MÉLI-MÉLO À L'AQUARELLE ET À LA GOUACHE
Cette fable sur la démythification des émotions de l'enfance, Brecht Evens a bien failli ne jamais la terminer. Commencé en 2012, l'album est mis entre parenthèses l'année suivante par son auteur, victime d'une brutale dégringolade psychologique aux effets annihilants. « Je me suis cogné contre un mur, explique-t-il pudiquement. J'ai, depuis, beaucoup de respect pour ceux qui travaillent sur les neurones et les endomorphines. »Interrompu à ses deux tiers, le récit est repris et achevé en 2014 à la faveur d'un regain de santé qui perdure depuis. « Il me tenait à cœur de leterminer et de prouver, avant mes 30 ans, ce que je suis capable defaire. »
Ce qu'il est « capable de faire » pourrait se résumer, en apparence, à un brassage d'emprunts auprès d'un certain nombre de grands maîtres de la peinture, du Douanier Rousseau à Matisse, en passant par Chagall, Bruegel l'Ancien et Van Eyck. Lui cite Giotto pour sa « capacité à raconterdes histoires dans des petits formats » ou encore les miniatures persanes dont il est un grand fan. De ces influences, l'ancien élève de l'Ecole supérieure des arts Saint-Luc, à Gand, a composé un méli-mélo à l'aquarelle et à la gouache où les transparences le disputent aux effets de matière et où s'entrelacent à l'envi le figuratif et l'abstrait.
« IL FAUT QUE SON ŒIL TRÉBUCHE »
« J'ai adopté ce style à l'âge de 20-21 ans après qu'un ami dessinateur m'eut incité à utiliser un gros pinceau et à faire mes croquis directement sur le papier, sans pouvoir corriger, décrit-il. J'aime cette façon de faire car elle provoque l'heureux accident. Le dessin, dans son expression la plus libérée, est une montagne russe qui n'est jamais prévisible. Personnellement, je ne sais jamais comment va se terminer un dessin que je commence. Cela m'oblige à regarder longuement ce que je fais quand je travaille. J'y vais alors prudemment, pas à pas. »
Regorgeant de détails, de trompe-l'œil et autres fausses perspectives, ses pleines pages obligent le lecteur à y revenir plusieurs fois : « Je ne veux pas qu'il comprenne tout à la première lecture, il faut que son œil trébuche », s'amuse celui qui vit désormais à Paris – un choix fait au cours de cette fameuse année 2013 où la folie s'est emparée de lui : « J'étais allérendre visite à mon ancienne prof de dessin dans le Jura, raconte-t-il. J'ai fait une escale à Paris avant de me rendre ensuite à Gand, chez moi. Mais je n'ai jamais fait la deuxième partie du voyage, et je suis resté ici. A Paris, on peut mener plusieurs vies à la fois. On peut aussi éviter les gens qu'on ne veut pas voir et voir ceux que l'on veut sans être vu des autres. »
Brecht Evens s'est (enfin) mis à la peinture, sur des toiles grand format. Il dit attendre « l'inspiration » pour un prochain livre, sans se presser et sans pression aucune. L'échalas chevelu écrase sa dernière cigarette, vous claque la bise en vous appelant par votre nom de famille. Puis part, avec l'aisance d'un fauve, dans les rues parisiennes.
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