lundi 3 octobre 2016

"Donnerstag aus Licht": Stockhausen opére à Bâle: la semaine des quatre jeudis lumineux, démesurés de l'opéra fleuve: Donnerwetter!.

Voici le Sinfonieorchester Basel aux prises avec un opéra en trois actes, un salut et un adieu, sous la direction de Titus Engel
"Musique, livret, danse, actions et gestes" du très grand compositeur!
Un Stockhausen visionnaire, démiurge de l'avant garde européenne pour une oeuvre de 1981


Au Theater Basel, l'ambiance est à la curiosité, à l'impatience de découvrir ce long opus, oeuvre fleuve avec ses 7 jours de la semaine, comme motif et livret.
Mais quelle mouche a piqué Lydia Steier, metteur en scène,quel démon s'en est emparé pour en faire une oeuvre quasi grotesque, fantastique et bariolée? D'emblée la position du spectateur est inconfortable:lors des "saluts", comme entrée à ce plat de résistance, cinq heures environ,  nous serons dans le hall du théâtre, bien serrés les uns les autres, solidaires de l'histoire étrange qui nous sera contée. musiciens affublés de perruques fluorescentes, chef d'orchestre relax et quelque peu dérouté: l'ambiance est soft, relâchée, très cosy. Musique introductive pour amuse bouche; on passe aux choses sérieuses dans la grande salle: sur la scène tournante tout s'anime: protagonistes dans des costumes de Ursula Kudrna qui seront tout du long des objets visuels à part entière, décor et accessoires très présents
Le dispositif scénique, sorte de grand contenant circulaire, bâti en hauteur, délivre trois personnages, marionnettes aux têtes de papier, convoitant un gâteau d'anniversaire; leurs doubles vont chanter tandis qu'ils dansent et miment le récit
Histoire rocambolesque, pleine de coups de théâtre durant les trois actes: la vidéo de Chris Kondek poursuit le travail d'orfèvre de la scénographie: portraits surdimensionnés, projetés sur les bords du dispositif volumineux, effets de graphisme mouvant, très cinétique qui rappellent la touche de Paul Klee qui lui aussi se passionna pour les Anges. Car il s'agit bien de  Michael, de Lucifer et de la tendre et dépossédée Eva qui seront les piliers de l'action théâtrale, campés par de solides chanteurs aguerris à une partition gymnique et gymnopédique pour ces voix entre chant et sprechgesang!
Le voyage de Michael , archange mythique, le mènera à travers le monde vers la semaine des quatre s "jeudis", lumineux, révélateurs.
Trois actes, trois décors, trois ambiances quelque peu fantasques, absurdes, kafkaïennes en diable pour évoquer un univers bizarre où les destins avancent à coup de cravache, de feu, à coup d'étrier sur un cheval de bois, à coup de camisole de force, pour l'atmosphère d’hôpital psychiatrique du second acte
Tout fait ici office de bombe à retardement, chacun s'exhibe, s'expose, cible fragile d'une destinée préconçue. Le monde, le cosmos dictent leur sort et ils se débattent en vain dans une liesse, une ambiance tonitruante qui dépote.
Très cinématographiques aussi ces tableaux à la Griffith, la "Naissance d'une Nation"création du monde, référence affirmée lors du lever de rideau de l'acte trois. Costumes gris métallisés, personnages grotesques manipulés, scène tournante à l'envi pour un manège enchanté, vecteur et révélateur de curiosités comme une lanterne magique ou quelques scènes à la Mélies
La vidéo" immobilier" à la Name June Paik pour clore le chapitre très arts visuels de cette mise en espace est révélatrice des sources et influences de cette oeuvre, sorte de déus ex machina
Mais est-ce bien l'esprit de Stockhausen qui plane là?
Visionnaire, loufoque, endiblée, cette version indisciplinaire, séduit hors réflexion sur le genre de musique savante, triturée par la vision rocambolesque, abracadabrantesque qu'en livre Lydia Steier
Revue et corrigée comme un show rutilant quand un défilé de costumes somptueux, galerie de mode, défilé d'une collection à la Fellini Roma, amuse, détend, divertit
Plumes et strass, cygnes noirs et blancs, gigantesque gâteau d'ou surgit un tromboniste travesti...Folies Bergères ou cabaret Voltaire,entremets médiéval ou tout délire est possible....Multi genres, multimédia très compact et cohérent, ce spectacle visuel est matière, lumière cinétique
Fait d'entrelacs de styles pour déranger, déplacer, déstabiliser le genre "opéra" moderne ou contemporain; une danseuse y dissémine de petits gestes des bras et mains, chorégraphie discrète de Emmanuelle Grach et vient ponctuer l'opéra, réminiscence légère d'envols angéliques.
Stockhausen eut été séduit dans cette déroute sempiternelle qui nous le fait appréhender, côté mystique, côté secte ou rosicruciens: ses héros sont de pacotille ou de paille malgré leur symbole: berger, anges sataniques, bonnes fées ou diablotins, chérubins rebondis, suspendus dans les airs: on est presque dans "le congrès des chérubins" de Juliette: on y proteste, on y revendique, on y subit son sort dans un délire libérateur comme une journée de carnaval ébouriffant
L'essoreuse magistrale , machine circulaire, tambour  à laver et broyer les hommes qui fait office d'architecture au second acte en atteste: on passe à la lessive les destinées, on les blanchit , ou l'on évite de les décolorer
En ressort un joyeux bazar de luxe, grosse production aux nombreux collaborateurs
Aux saluts sur la scène, se presse ce petit monde qui nous a enchantés cinq heures durant
Une fin sur le parvis du théâtre, un salut, des "Adieux" et aurevoirs des musiciens disséminés dans l'espace urbain, nous bordent de leurs résonances cuivrées, de vent et de langueur
"Le Saut de l'ange de Pascal Dusapin" en mémoire, me hante.....

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