Après les "corps hétérogènes" d'Alain Buffard dans "Mauvais genre", que faire dire de plus à l'art chorégraphique sur la question du "genre"? Et bien encore et en corps, après Sorour Darabi, pétrit de son premier "Farci.e. ", androgyne à souhait, "il-elle" (le masculin l'emporte toujours sur le féminin !) dans ses propos transcrits,voici quelques pièces emblématiques d'artistes performeurs engagés, Phia Ménard, François Chaignaud, Raimund Hogue.....
Orlando furioso: chansons de gestes
Création pour le Cloître des Célestins, la pièce fait la part belle au chant, à la voix extra-ordinaire de velouté, de nuances et de timbres de Chaignaud dont on découvre ici toute l'amplitude et la facture sonore, matière riche et dense qui sourd d'un corps au souffle de danseur !
Si la cage thoracique et le diaphragme sont fondamentaux pour l'art "lyrique" Chaignaud ajoute ici des qualités de mouvance, d'inclinaison et de déclinaison corporelle singulière. Personnage multiple, oscillant entre le chevalier, guerrier médiéval ou japonais, samouraï arborant une carapace de bois très "plasticienne", designée comme une icône votive et un chevalier sur échasses, il habite le lieu délicieusement.
Entouré de musiciens, tous issus d'univers baroque ou médiéval, viole de gambe, bandonéon, théorbe et guitare baroque, il se fraye un chemin, grave, cérémonial, à travers l'espace, semant gestes et vocalises dans une langueur délectable, un phrasé et une langue parfaitement maîtrisée, par cœur, par corps imprégnée. Des échasses pour mieux arpenter la surface de répartition d'un match contre la montre, celle du temps qui passe, en dernier ressort. Des pointes pour mieux souligner l'origine de l'élévation, du travestissement des danseurs en ballerine dans certain rôle, pointes martelant le sol, amenant à cette très belle évocation d'un Carmen perdue, esseulée qui traverse la salle pour échouer sur le plateau Visage impassible et pourtant, chorégraphie de chaque trait pour une expression voisine de la Argentina ou de Kazuo Ohno....Artaud n'est pas loin, sa "danse et son double" spectre, divaguant, ectoplasme androgyne, ange sans aile qui hante le Cloître. Quand les feux s'éteignent, le chant se meurt et seule Echo résonne en déesse du souvenir, sans matière.
François Chaignaud et Nino Laisné au vif du sujet, entre ballet de cour, précieux et distingué et cour des miracles, peuplée d'être multi-formes hybrides, en mutation. Du bel ouvrage, une romance, un acte artistique inédit du fond des temps resurgit.
Au Cloître des Célestins jusqu'au 14 Juillet
Le sexe faible,anti-sèche décapante.
"Je t'éclate la chatte" en préambule et c'est au processus de création de Phia Ménard que va se frotter "l'origine du monde" Autant dire qu'elle a du "clito" et non pas "des couilles" question de genre !
Plasticienne en diable, la chorégraphe livre ici avec des moyens conséquents une vision fertile d'univers habités par femmes et créatures plastiques, singulières.Nymphes, ballet de sorcières, ronde chamanique fédérative pour un genre féminin, apparenté à ce rôle de mâle de tribu, style "Les Maitres fous de Jean Rouch"
Premier acte: sept danseuses, nues, longues chevelures seront ces proies pour brosser des tableaux très esthétiques et signifiants. Se maculer de couleur ou de noir sur le pubis pour faire des corps une monstration vivante du "Traité des couleurs" de Goethe: et surtout jouer sur l'enveloppe, la peau, le costume: des slips noirs qui ont "les boules" de pétanque et les pieds tanqués. C'est drôle et bien pensé, jamais vulgaire ni provoquant. Simplement, le bon sens près de chez vous: elle a des couilles: alors ok, on en met !
L'habit qui fait le moine défroqué: des cintres, descendent des porte manteaux, comme dans une salle des pendus: à l'intérieur, une garde-robe pour chacune qui n'aura de cesse de tout essayer, de s'y confondre car ce sont des vêtements d'homme !
Danse de macho, de footballeur, de VRP ou PDG, tout y passe en terme de poses, attitudes, gestuelle appropriée au sexe fort!Puis toutes( ou tous) en ligne, le bataillon s'anime pour un défilé militaire aux accents de force de frappe au sol, hallucinant: unisson et diapason au poing. En rang serré comme à L'armée, alarmée. Ou mal armée pour ce combat singulier masculin-féminin: on ne restera pas neutre devant cette avalanche de préjugés, mis à nus par la chorégraphe.En batterie de bêtise, d'idiotie ou en simple constat de réalité sociologique.
Suit une gigantesque catastrophe plastique, mue par des rideaux de fer enserrant le plateau, plafond menaçant, sur ce "white cube", galerie d'art où l'on épate ni n'amuse la galerie.
Univers en noir et blanc, en gris après les couleurs chatoyantes du premier acte.
Longues dégoulinades de matière noire, venues d'un autre univers volcanique, lave ruisselante, le long de toiles plissées qui épongent eau et outre-noir.
Magnifique installation plastique au cœur du spectacle vivant, déchirée par les corps maculés des créatures venues tout droit d'un support surface idéal.
Figuration libre de la Danse plasticienne de Phia Ménard est visionnaire onirique d'une planète souillée au delà du non conventionnel et du décalé obligé de ses propos d'intention.
Bien au delà d'un simple constat: encore de longs soulèvement tectoniques pour mettre à bas les conventions sociales et esthétique de la danse.
Une saison bien 'trempée" dans un caractère de feu et de fouge, de poésie et de tendresse aussi !
A l'Autre Scène du Grand Avignon jusqu'au 24 Juillet .
Décadanse
C'est aussi très "plastique" et visuel, mutualisation de costumes "mode" signés Iris van Herpen et architecture scénographique: cette pièce appelle à la contemplation, à la dégustation de gestes entravés par des costumes "à danser" qui ne le sont pas -Christian Lacroix ou Sylvie Skynasi ne le démentiraient pas !
N 'est pas créateur-costumier pour la scène qui veut.
Reste que ces cocons de soie, mus par des corps transparents, ces jupettes noires et bleu profond, ajourées font "collection" de saison et agacent les pupilles. Soudwalk Collective pour le son, et le ton est donné.Cette meute ainsi galvanisée offre quelques beaux instants de sculpture, miroir déformant, reflets virtuels des corps immergé dans des plaques réfléchissantes. Ondoiement des formes mécaniques, virtuelles, esquisses éphémères de calligraphie non pérenne.Un escalier blanc qui ne mène nulle part pour échafauder des univers absurdes, des corps malmenés, dénudés en horde, lâchés à l'envi dans des débordements charnels puissants. Les corps s'inspirent d'espaces fouillés, restreints, emprisonnant les gestes pour faire immerger l'étroitesse et l’exiguïté des univers carcéraux.On retrouve l'artiste, démiurge de la catastrophe, du chaos: au bord du gouffre, on se suspend, résiste, survit, groupés ou solitaire et seule "La Décadanse"de Gainsbourg vient rassurer cette ode au magma pour faire douceur et espoir.Sasha Waltz toujours très pasolinienne, traitant les sujets comme des objets de culte ou de désir. C'est beau et agaçant et ça titille comme "la puce à l'oreille" pour chatouiller la sensibilité et les neurones. Maître de l'architectonique des corps, elle figure ici en proue et signe un opus mémorable.
A l 'Opéra Confluence jusqu'au 14 Juillet
0 commentaires:
Enregistrer un commentaire