Le metteur en scène Julien Gosselin, après avoir exploré la littérature contemporaine avec des auteurs comme Michel Houellebecq, Roberto Bolaño ou Don DeLillo - emblématiques des questionnements qui ont traversé le XXe siècle jusqu’à aujourd’hui −, plonge ici dans le passé, au travers des œuvres de Léonid Andréïev (1871-1919). Ce qui l’intéresse chez cet écrivain russe, outre la beauté de l’écriture, c’est la radicalité avec laquelle il regarde son époque et dépeint ses contemporain·e·s. Julien Gosselin joue ici avec les codes du théâtre académique, lui alliant les outils qui lui sont chers : utilisation de la caméra, musique de scène, jeu performatif. Quel bouleversement peut déclencher en nous la réapparition d’un monde disparu ?
C'est sous les traditionnels "feux de la rampe" dans un décor planté, cosy, feu de cheminée réel que la traversée du "passé" opère son ouverture. C'est de la scène, à un écran large déployé au dessus du plateau que performent les acteurs. En chair et en os devant nous, ou filmés en direct dans "les coulisses" de ce même dispositif scénique. On ira donc quatre heures durant, du factuel au virtuel, gymnastique perpétuelle pour notre appréhension de l'espace. Et de la dimension: un long plan séquence affolé pour démarrer ce marathon qui dévoile les personnages de cinq pièces de référence,au gré de leurs déplacements incessants, au gré de leurs vociférations, altercations à propos de l'amour, des êtres chéris, malmenés par la passion, les empoignes, les étreintes... En "costumes" comme dans un bon film "classique" à panache, les comédiens jouent le jeu d'une débandade audacieuse, sans limite de tons, de retournements, de volte-face.On y pressent le drame, la violence des relations de ce microcosme bigarré. Tout ici concoure à l'urgence, à la déraison, à la destruction Au charme aussi, érotique, sensuel et nonchalant des couples qui se font et défont au fil du temps. La mise en espace fonctionne comme un leurre, entre gros plans cinématographiques de toute beauté sur le visage des comédiens sur la sellette et proximité du plateau. Filmés en direct par deux caméramans virtuose des plans, cadres et poursuites. Leur jeu exacerbé par la proximité, leur sur-dimension à l'écran est fascinant. Mieux qu'au "cinéma" puis que doublé de leurs clones pourchassés par la caméra. Résultat haletant, suspendu aux péripéties amoureuses.Coup de chapeau particulier pour Victoria Quesnel, sensuelle Ekaterina, ou égérie du peintre, folle créature éprise de sensualité, exécutant une danse des sept voiles, Salomé très inspirée de danse buto aux accents surimpressionnés, déments,hallucinés Un jeu poussé à l'extrême , sidérant, gros plans traquant toutes ses mimiques, grimaces, expressions outrancières. Une séquence grotesque en sus à mi parcours de la pièce: film quasi burlesque, inspiré du cinéma muet en noir et blanc, cartons de lecture en sus: comme un jeu de marionnettes masquées où les personnages confondus par leur statu familial sont en proie à la honte, la masturbation de sexe de papier mâché, l'élocution hachée, modulée par des accents et voix transformés. C'est drôle et décapant, comme une sorte de sas jubilatoire à travers ses univers perturbés, dérangeants Le "passé" n'est pas objet de "tabula rasa" mais évocation de démarches, d'attitudes, de postures de jeu de pantins d'une société qui bascule, oscille avec les corps de chacun des comédiens Qu'ils soient face à nous, ou dans les interstices du décor, révélés par la caméra, livrés à nous comme des trophées de chasse.Les textes entremêlés de Léonid Andréiev se succédant comme un révélateur passionné par l'enveloppe charnelle des mots. Et quelques scènes emblématiques, le peintre et son modèle, tradition bourgeoise du "portrait"classique où la pose est prétexte à un dialogue subtil entre les deux protagonistes.Toute l'équipe technique sur le front pour cette performance d'acteurs et de caméramans à vous couper le souffle !Julien Gosselin Pygmalion décapant de la théâtralité "classique" revisItée.
Au TNS jusqu'au 18 Septembre
Julien Gosselin a présenté au TNS 2666 de Roberto Bolaño (2017), 1993 d’Aurélien Bellanger – avec les artistes du Groupe 43 –, Joueurs, Mao II, Les Noms de Don DeLillo et Le Père de Stéphanie Chaillou (2020). Le spectacle Le Passé traverse plusieurs œuvres de l’écrivain Léonid Andréïev (révélé de son vivant par Stanislavski et Meyerhold) : les pièces Requiem et Ékatérina Ivanovna et les nouvelles Dans le brouillard et L’Abîme.
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