dimanche 26 mars 2023

"Le couronnement de Poppée": Monteverdi pygmalion-piège pour opéra- miracle ..."Tendance" mode destroy!

 


Bien loin du forum et des agitations du sénat, la politique romaine se fait et se défait au fil des passions amoureuses, des intrigues de palais et des ambitions intimes. Follement épris de l'irrésistible Poppée, l'empereur Néron envisage de répudier sa femme Octavie pour faire monter sa maîtresse sur le trône, malgré les avertissements du philosophe Sénèque et les menaces de complots ou chantages fomentés par leurs rivaux et d'anciens amants éconduits. Ni le droit, ni la morale ne sont en mesure de réfréner cette union décriée que semblent favoriser les dieux eux-mêmes. Mais une telle furie amoureuse ne peut appeler à elle que la mort et le sang.
Aux héros sublimes et triomphants de la mythologie, Monteverdi préfère pour son dernier opéra des personnages complexes et cruellement humains, rompant ainsi avec une (jeune) tradition qu'il avait lui-même contribué à établir avec ses premiers ouvrages lyriques. Dans une atmosphère toute shakespearienne, le trivial s'allie au sublime tandis que la musique se fait désir et sensualité. Jamais l'expression des passions n'avait atteint un tel degré de réalisme psychologique avant cette partition où le chant est magnifié par un petit orchestre tout en nuance et subtilité. Un chef-d'œuvre des plus enivrants, confié pour la première fois au chef Raphaël Pichon et à l'ensemble Pygmalion, dans une mise en scène d'Evgeny Titov servie par la fine fleur du chant baroque.

 


Le décor s'impose sur la scène de l'Opéra: une sorte d'immense gazomètre, ample tour grisée flanquée d'une montée d'escaliers dans un troisième lieu sans âme, désert. Trois femmes costumées de façon très originale, baroque au sens de "perle rare disgracieuse, difforme", très marquée, accentuée se partagent cette introduction qui augure de la suite.Ce sont les déesses si charnelles, vêtues d'atours burlesques, emplumées, accessibles, bienveillantes personnes lumineuses.Chaque apparition d'un nouveau personnage se traduit par une présence forte, un chant déclamé bordé d'une musique subtile et discrète qui prend et subjugue par sa force et sa composition somptueuse..Poppée, Giulia Semenzato est une héroïne sensuelle, vivante, désirable et face à Néron c'est un ouragan de séduction manipulatrice. Néron en motard contemporain, sexy, attirant voir irrésistible dandy incarné par le fabuleux Kangmin Justin Kim, à la voix androgyne, quasi féminine, silhouette de rêve, attitude et port de tête altier, jeune et belle allure.

Entouré de son "staff" d'acolytes burlesques, de sbires désopilants et de tout un panel de personnages haut en couleurs qui vont soutenir l'action plus de trois heures durant. L'ambiance est cosy, feutrée au sein d'une alcôve rouge vermeil, capitonnée et sorte de salle de théâtre protectrice où les fauteuils de velours sont empilés.Les personnages y évoluent amoureusement, "coquinement" et les scènes érotiques se succèdent allègrement sans détour.Le décor tournant révèle à chaque détour, chaque phase de transformation, des "endroits" où se jouent jusqu'à des séquences de camps de SDF, no man's land de périphérique très réussi.Transposition du drame dans notre société cupide, marchande de sexe, de pouvoir mais aussi plateforme d'amours impériaux, de détournement, de pouvoir abusif...Une ambiance relevée par les voix de chacun qui honorent la partition de Monteverdi et l'interprétation de cet "orchestre de chambre" efficace dirigé par Raphael Pichon du splendide Ensemble Pygmalion.. 


La mise en scène d' Evgeny Titov est ingénieuse dans ce décor signé Gideon Darvey aux multiples usages spatiaux. Audace et astuces dans ce dispositif d'ensemble où les chanteurs évoluent à l'envi, se fondent dans des images vivantes, poignantes et versatiles.Cet opéra est magnifié par les costumes très marqués design-mode à la Jean-Paul Gaultier revisités par Emma Riott: aisance, drôlerie, érotisme des parures s'y mêlent allègrement pour définir chacun. La nourrice en star de music-hall, Néron en vedette pailletée, Sénèque en va-nu-pied ascète....Du très bel ouvrage servi par une distribution hors pair où chacun excelle de finesse ou de trivialité, les tonalités et tessitures de voix en osmose avec le soutien de la musique qui porte en elle la narration et tous ses déroulements-avancements.


La scène finale, duo de Poppée et Néron est une pure réussite, musicale, finement contrastée, portée par les états de corps très émouvants des deux chanteurs, pétris de sensibilité et d'intuition. Une "version" très contemporaine d'un lointain opéra baroque qui tourne "rond" comme ce décor fascinant, sobre sans faille qui absorbe l'intrigue et renferme la beauté autant que la cruauté de cette société détraquée, avide et sans "toit ni loi". Une cellule à barreaux pour prostituée comme cage aux lions d'où seul certain pourrons se glisser à travers les barreaux... Le valet, Kacper Szelazek n'y parviendra pas usant de son charme autant que de sa naïveté feinte.

photos klara beck

A L'Opéra du Rhin jusqu'au 30 MARS

 Avec le soutien de Fidelio.
En partenariat avec France 3 Grand Est.

Distribution

Direction musicale Raphaël Pichon Mise en scène Evgeny Titov Décors Gideon Davey Costumes Emma Ryott Lumières Sebastian Alphons Dramaturgie Ulrich Lenz Ensemble Pygmalion

Les Artistes

Poppée Giulia Semenzato Néron Kangmin Justin Kim Octavie Katarina Bradić Othon Carlo Vistoli Sénèque Nahuel Di Pierro Arnalta Emiliano Gonzalez Toro Drusilla Lauranne Oliva Fortune Rachel Redmond Amour Julie Roset Vertu Marielou Jacquard Lucain Rupert Charlesworth Le Valet Kacper Szelążek Premier Sbire Patrick Kilbride Deuxième Sbire Antonin Rondepierre 
 

 

2 commentaires:

Anonyme a dit…

C’était magnifique.

Anonyme a dit…

Merci infiniment pour votre article. C'est comme si j'y étais un peu, j'imagine.... Mais comme je serais heureuse d'entendre cette Poppee de Raphaël Pichon et Pigmalio! Je l'espère vraiment, au moins, en retransmission sur frmusique! Merci!

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