« À peine mon enfant avait-il commencé à faire des phrases complètes qu’il est mort. Je l’ai drapé dans la soie habituelle pour le brûler. J’étais en colère mais je l’ai lavé. Je l’ai lavé. Je l’ai drapé. J’ai fermé ses yeux. Mais quand les femmes sont venues le prendre – le prendre pour le brûler – je leur ai dit : “Non.” […] La terre froide, les tiges mortes des fleurs reprennent vie. Pourquoi pas mon fils ? Les femmes souriaient. L’une me conduisit tranquillement vers la fenêtre et me dit : “Trouve une personne heureuse en ce monde et prend un bouton de la manche de son vêtement. Fais-le avant la nuit et ton enfant vivra.” Puis elle me donna cette page, arrachée d’un vieux livre. “Elle t’indiquera où chercher et qui interroger. Une personne heureuse, rien qu’une. Tu as jusqu’à la nuit.” »
Le compositeur George Benjamin et le dramaturge Martin Crimp ont marqué l’histoire récente de l’opéra avec la création triomphale en 2012 de Written on Skin, présenté depuis dans le monde entier. Après deux œuvres « grand format », ils ont souhaité renouer pour leur quatrième opus avec la souplesse expressive de l’opéra de chambre. Nourri par diverses traditions littéraires et philosophiques, Picture a day like this est une fable initiatique sur la nature humaine, racontée au fil d’une mosaïque narrative et musicale aux couleurs changeantes. Daniel Jeanneteau et Marie-Christine Soma en signent une mise en scène bouleversante, à la frontière entre réalisme et onirisme. Un concentré d’émotion pure, confié à Alphonse Cemin, fin connaisseur de la musique de Benjamin.
Laisse le bouton, prends la fermeture éclair...
C'est déjà une atmosphère scénique, une scénographie très plasticienne qui se dévoile: jeu de miroirs et déformations mécaniques des images, des corps qui arrivent sur scène et se démultiplient en une savante chorégraphie. Enchantement très séducteur comme toute cette courte oeuvre qui se profile. Une femme pose l'intrigue dans une langue anglaise délicate et fine dont toutes les paroles sont intelligibles. Un sort fabuleux et fantastique qui va la conduire à passer à travers le miroir de tableau en tableau. En quête de l'impossible: redonner vie à son fils...grâce à l'obtention d'un "bouton" de costume ou de manchette!Absurde situation, surréaliste mais qui ne semble pas l'affoler.
La voici donc en recherche, rencontrant moultes protagonistes pour tenter de gagner ce pari invraisemblable. Une épreuve, un défi? Un couple d'amoureux alanguis, fort beaux corps canoniques, échangistes et partageux sera sa première étape, son premier bivouac sur ce chemin de croix singulier.Sa première halte sur ce sentier parsemé d'embuches.Un conseil: "prends plutôt la fermeture éclair que le bouton" de leurs vêtements épars.Tout est dit! Et la voici à la rencontre de cet artisan, fabricant de boutons, orfèvre en la matière. Le fabricant de ces "perles" qui comme pour la haute couture est gage de beauté, rareté et excellence. Mais pas de bouton en vue dans cette récolte impossible et ce chalenge hurluberlu et fantaisiste. Les étapes se succèdent, rencontres d'une passe-muraille qui franchit les espaces changeants où elle traverse ses élucubrations dantesques. La chanteuse, sobre et concentrée navigue dans cet océan de folie concertée avec grâce et aisance. La voix est douce, linéaire sans accents tectoniques.Ema Nikolovska y habite un personnage pertinent et attachant. La plus folle et belle rencontre: celle avec Zabelle, suite à ses déboires avec un collectionneur entreprenant et une compositrice affolée. La scénographie appuie le fantastique avec l'apparition, issues des cintres, de coraux, méduses ou autres bestioles marines fabuleuses. Dans des tonalités de couleurs orangées, rosées, chaleureuses, cette sirène incongrue procure douceur et bienveillance. Un tableau plastique de toute beauté pour magnifier le jeu de Nikola Hillebrand. Voix magnétique, enrobante, enjôleuse et attractives résonances séductrices et sensuelles du timbre et des hauteurs. Un rôle sur mesure pour cette cantatrice étonnante. Les costumes faisant le reste, les lumières réverbérant les effets de miroir, de transparences. Une mise en scène signée Daniel Jeanneteau et Marie-Christine Soma très fouillée et esthétique pour valoriser ce capital musical atonique de George Benjamin auréolé des textes de Martin Crimp.Tout ici concourt à une efficacité musicale sous la baguette de Alphonse Cemin pour l'Orchestre Philarmonique de Strasbourg. Un opus bref et séduisant où l'intrigue, narration pleine de simplicité en fait un bijou singulier, un vêtement bien conçu et "boutonné" comme il se doit, seyant et ajouté à point nommé.
photos klara Beck
Distribution
Direction musicale Alphonse Cemin Mise en scène, décors, lumières, dramaturgie Daniel Jeanneteau, Marie-Christine Soma Costumes Marie La Rocca Vidéo Hicham Berrada
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