lundi 16 novembre 2015

"Le Sacre du printemps": la machine infernale des corps sonores.


Voici une version peu connue du célèbre "Sacre du Printemps" de Stravinsky, chorégraphiée par l'allemand Stephan Thoss, issu de l'école singulière de Greta Paluca et Kurt Jooss et de la danse d'expression allemande. Et confiée à la troupe du Ballet du Rhin au meilleur de sa forme,

Kinesthésie de la rythmique
 Sans respecter le sujet, le livret d'origine sur le sacrifice de l'élue, le chorégraphe prend appui sur le rythme, le tempo de l'oeuvre musicale avec fidélité, respect et osmose.
Costumes, plissés, gris-blancs, sobres pour hommes et femmes, chaussettes noires aux pieds,lumière sculptant les corps avec délicatesse, sculpture en fonds de scène pour immersion dans l'espace chorégraphique.


Loin d'être révérencieuse, cette version révèle toute la force subversive et la puissance de la partition pour vents et percussions qui fit scandale à l'époque de sa création au Théâtre des Champs Elysées à Paris le 29 Mai 1913 .Vaslav Nijinski aux commandes chorégraphiques, Nicolas Roerich pour un décor peint et des costumes inspirés du folklore russe.



D’emblée, la musique projette les corps sur scène, en groupe, à l'unisson comme une machinerie infernale qui quarante minutes durant va déverser  son souffle puissant, ses masses de couleurs, son poids, sa rythmique et sa mécanique
Car Stephan Thoss propose ici une relecture très tectonique, une version dynamique façon futurisme, là où la mécanisation de la société du début du XX ème siècle va opérer sur la précision et le morcellement  des taches, des gestes liés à l'industrialisation.
Au progrès qui ligote les corps, les sépare, les rend instrument d'un rouage gigantesque et rationnel
Petits groupes, duos, trios s’enchaînent ou se confondent autour d'une singulière sculpture évoquant la géométrie implacable d'un monde aux angles aigus, aux formes brisées, aiguës, strictes.
Une sorte de "Métropolis", cinétique, cinématographique,figure lourde de sens, machines qui dévorent et créent des flux aspirant les êtres humains, "Les temps modernes" de la danse, expressionnisme au point!
Les interprètes, comme autant de chaines et de trames confectionnent un paysage industriel aux angles droits, malgré une mouvance très inspirée par une sensualité resplendissante
Quand la musique déferlante s'apaise, alors la tempête se calme et laisse surgir une gestuelle plus ample, plus fluide et l'on respire, pause salvatrice dans cet enfer éclatant de Stravinsky
Reprend la course folle à la vitesse et le chamboulement opère au final comme un cercle envoûtant qui tourne et se répète dans un sens inlassable.
Belle interprétation d'une oeuvre emblématique d'une révolution musicale qui trouve ici une vision, un parti pris assumé: corps musical s'appuyant sur les repères percussifs et soulignant la syntaxe, le phrasé hyper tonique d'une partition infernale, forte et comme une houle déferlante, invariablement dévorante d'énergie
La danse est signe, graphisme, tracés et signature originale face à un monstre sonore submergeant!


La chambre obscure.(et "claire")
"La chambre noire" pièce précédant ce chef d'oeuvre de l'histoire chorégraphique est elle aussi imprégnée d'un univers noir, sombre, tissé par une tenture plissée à la  Issey Miyaké d'où surgissent les huit danseurs, de noir ou blanc vêtus. Fendant, tranchant par ces apparitions successives, un monde magnétique où la gestuelle alanguie, étirée, suave évoque une matière en fusion
Planètes, comètes ou météorites, les danseurs gravitent, divaguent, dans des déplacements, rotations ou évolutions déambulatoires singulières Comme une horlogerie du temps mise en marche.



La lumière noire, dessine sur les corps des volutes magiques façonne des lignes fugaces dans l'espace cosmique et ce noir à la Soulages, ou Haug,brillant, scintillant de lumière porte une présence étonnante.
Des portés magnifiques scandent une gestuelle éclairée, limpide aux accents de fracture tectonique fort approprié à un monde minéral en fusion où l'imaginaire tend de la science fiction.
Musique empruntée au répertoire classique, doublée de sons et résonances électronique, acoustique vibrante au gré des corps pour un univers cosmique très réussi, très évocateur d'accents mystérieux.

A l'opéra du Rhin jusqu'au 19 Novembre

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