Madame Butterfy
Comme dans une salle d'attente, mais vide et dépeuplée, comme sur un quai de gare, immense, déserté, évidé lui aussi de toute trace de vie ou de présences...
Une femme seule, assise, de noir vêtue, corpulente, cheveux noués en queue de cheval. Ambiance noire de vacuité qui va trancher avec toute une population fictive d'êtres et de paraitre qui vont sourdre et surgir des lèvres de cette trentenaire aux aguets , face à son public. Les mots jaillissent, les souvenirs de sa vie actuelle encore chaude et toute d'actualité: ses fantasmes, sa "maladie" psychique, ses doses de médicaments en posologie et divers protocoles, et son entourage: son "homme", Julien,son amour qui la hante et la soutient à bout de bras, ses "enfants" dont elle rêve, son surpoids, sa mère , ce bloc de mère, plutôt, toxique comme son environnement : elle est en ambulatoire ou à "Sainte Anne", a choisi son type d'accompagnement et redoute la clinique..Emilie est attachante, touchante, romantique dans son "malheur", sa psychose
Le théâtre fait renaître , recrée comme lors d'un exercice de maïeutique, ses émotions, sa vie, son existence
Passée au filtre, à l'alambic des paroles retranscrites par l'auteur, comme un élixir de jouvence et de plaisir. C'est beau et émouvant, à fleur de peau, tendu dans une atmosphère existentielle, jamais pathétique.
En empathie avec elle, le corps gainé d'une robe, de collants noirs qui moulent une silhouette banale, un peu trop ronde" au gout de certain, mais modelée par l’absorption et la prise de médicaments:
« J’ai aussi de l’Abilify, je trouve que le mot est poétique. Abilify, ça fait papillon. J’en prends une grosse dose et en fait c’est un médicament, moi je trouve que ça fait papillon fye, fly… et en fait c’est un médicament qui t’empêche de faire des interprétations et… parce que t’as tendance quand t’es pas bien à te dire, putain ton pull, là y a du rouge, du bleu ça forme un as de pique ou alors un oiseau à l’envers et ça veut dire que… et ça t’empêche de faire ça. »
Emilie Incerti Formentini, la comédienne, épouse comme un gant, cette pièce taillée sur mesure, haute couture pour elle : elle incarne l'oralité, tous les orifices de la danse des mots, des fantasmes et peut-être affabulations.
Guillaume Vincent signe ici texte et mise en scène avec justesse, sobriété et délicatesse: comme lui, on aime Emilie et si l'on apprend son internement en "clinique" contre sa volonté farouche, c'est avec émotion et empathie mais sans angoisse: avec une sorte de fatalité, de mise à l'écart, de remise au pas d'une démence assourdie et muselée, domptée par les institutions et la famille, tout rentre dans un ordre . Madame Butterfly est prise dans le filet et sera affichée aux cimaises de la psychiatrie comme un insecte dépourvu d'ailes , touché par les mains de l'homme de laboratoire et privé de sa liberté d'envol! Épinglée, prise au piège sans se débattre que par les mots, les maux!
Au TNS salle Gruber jusqu'au 4 Mai
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