mardi 31 mai 2016

"Orages d'acier" au Festival des Caves: effroyables tranchées.

Mise en scène :  Avec : 
Edition(s) du festival : 
"Comment raconter l’expérience de la guerre ? Comment faire, un tant soit peu, partager l’unicité de cette expérience ?Seule la littérature et paradoxalement la beauté permettent de raconter la guerre.Seuls les grands écrivains arrivent à donner à imaginer à ceux qui ne l’ont pas connue, la guerre.Non pas la guerre dans les livres d’Histoire. Mais la guerre au niveau des tranchées, des combats, de l’humain.Ernst Jünger est l’un de ces grands écrivains. L’un des plus grands sûrement."

 On pénètre une cave du centre ville après s'être réunis sur le trottoir pour un rendez-vous tenu "secret": une quinzaine de spectateurs se retrouvent, identifiés par une charmante hôtesse d'accueil, complice des aventures d'un singulier festival;rhyzomer les villes, les lieux pour investir des souterrains privés, des "caves" exiguës, accueillant de petites jauges de convives, le temps d'un partage en extrême proximité d'un spectacle "confidentiel"
Ce soir là à Strasbourg, c'est l'ambiance singulière de "Orages d'acier" qui va tenir en haleine, une heure durant, les hôtes, rassemblés pour l'écoute collective d'un texte poignant, sur les atrocités de la première guerre, vécues par un "acteur" bien réel des faits, des scènes de vie de cet épisode absurde et cruel de l'histoire.

Un homme, simplement vêtu dans un décor, une mise en place sobre de quelques objets rudimentaires; table, chaise, tableaux représentants des visages apeurés, terrorisés à la Goya.C'est dans cet univers très proche du peintre d'ailleurs, atmosphère sordide, morbide où erre la camarde en faucheuse égoïste et cruelle. Tout concourt ici à l'évocation d'une "mort aux trousses" où l'on se tue à compter ses plaies, stigmates de l'horreur et de l'absurdité
Alors qu'au dessus de nous la rumeur du tram fait vibrer et trembler les murs, comme une sonorisation...naturelle en adéquation avec l'atmosphère éruptive, explosive des salves des obus belliqueux.
Le comédien, plein d'empathie, de respect face à la dureté du texte qui devient vite sordide, machiavélique et quasi cynique, se joue de l'horreur avec agilité, volte-face et virevolte audacieuse
L'auteur Ernest Junger s'en fait sa chose de cette situation de tranchée, de vie quotidienne qui frôle parfois le comique, le léger insoupçonnable mais irrévérencieux ton et style distancé d'une littérature véridique et sans détour ni concession.
Ni peur, ni terreur, mais effroi du sang versé, des plaies qui s'accumulent, des blessures mais aussi des sourires, du soulagement: tous les états d'âme, toutes les sensations sont présentes dans ce texte à la syntaxe fluide, légère, audacieuse et poétique. De quoi se laisser aller à la rêverie d'une situation hors du commun, devenue hélas banale et sordide où rien ne nous est épargné, mais écrit de façon si lucide et parfois cocasse que les frissons sont aussi ceux du plaisir de se laisser conter des histoires, sous le charme du talent de Maxime Kerzanet, dans une mise en espace simple et efficace de Guillaume Dujardin 
On se quitte en remontant au jour, escaladant les escaliers du temps dans une course contre la montre: il fait encore jour sur le trottoir et les tranchées ont disparu; le pouvoir d'évocation de cette fiction réalité s'est effacé mais la rémanence n'en est pas près de nous quitter: l'orage gronde encore à nos oreilles et les visions de ces batailles rangées restent omniprésentes!

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