jeudi 11 avril 2019

"Ich ben a beesi frau" : langue de vipère !


« Des idiots on en a suffisamment au village. 
Je suis sûre qu’il y a pas beaucoup de villages avec autant d’idiots que chez nous. 
Moi je ne suis pas idiote. Je suis méchante. Vraiment méchante.
Méchante et rien d’autre.
Il y en a qui sont méchants de temps en temps, et tout d’un coup doux comme un agneau.
C’est pas mon genre. »

"Une campagne alsacienne au siècle dernier, un village parmi d’autres, une histoire comme il y en a beaucoup en ce temps-là : le viol d’une jeune fille un soir de fête. Enceinte, elle épouse son agresseur, et voilà Thérèse Ulmer devenue une «beesi Frau», drapée dans son armure de méchanceté parce qu’elle n’a plus rien d’autre, à part peut-être le rêve et le théâtre…
Quand Thérèse Ulmer et toutes les femmes privées d’amour viennent taper sur l’épaule de Francis Freyburger pour qu’il raconte cette histoire, il décide, avec la complicité d’Olivier Chapelet, de la mettre en scène… ou plutôt, sur l’estrade de bal, au centre du village, où Thérèse va danser, jouer et raconter sa vie gâchée, une parole publique comme un cri pour enfin dénoncer le crime."
De Pierre Kretz 

Mise en scène Francis Freyburger 
en collaboration avec Olivier Chapelet

Théâtre de la Cruelle

Il apparaît, vêtu d'un costume un soupçon chic démodé, en "homme", crâne chauve..."Méchante femme" d'après lui, qu'il incarne assurément, mais pas "idiote" pour autant comme ses congénères."Cultivée " de surcroît: une femme bien singulière qui s'est métamorphosée devant nous, longue robe grise .Elle se questionne, évoque sa vie, son "Emile" dont elle ne partagera jamais la tombe: des mots cinglants pour cette vraiment "méchante" créature acariâtre, cynique, parfois même sadique dans ses propos de jouissance maléfique ! Seule, solitaire, elle se prend à évoquer ses souvenirs de théâtre, sur une estrade bordée de chaises renversées. Bel espace scénique signé Gérard Puel...Un air d'accordéon nostalgique pour évoquer la danse, le bal et la voici qui danse éperdument. La vois bien timbrée , tonique, rythmée par un texte plein de trouvailles et de musicalité, ferme, convaincant, Francis Freyburger campe ici une harpie pleine de finesse et de contraste, de variations, modulations: de la haine à la gourmandise avec cette séquence sur les petits gateaux de Noel, très savoureuse.C'est "La visite de la vielle Dame" de Durrenmatt qui la hante et la précipite dans le passé qu'elle évoque avec ferveur. Thérèse Ulmer, la "méchante" qui ne se refuse rien, démoniaque et sarcastique dans son récit de meurtre, "vidant" son cœur déjà vide, jouissant de sa solitude avec délectation. Beau personnage aux multiples facettes avec qui l'on passe un moment de plaisir grace à la langue alsacienne, le comédien avouant lui-même que cette "langue maternelle" ne l' a jamais tant "habité", modelé par des sensations d'origine et de terroir linguistique tout "dans la peau".
Tel parfois un De Funes, acrobate des gestes et mimiques, Francis Feyburger nous fait pénétrer un univers "d'antan" avec férocité et véracité:pas hypocrite pour deux sous "la méchante femme"! Celle de Dan Stephan, cruelle et belle comme visuel ! 

Au Diapason à Vendenheim jusqu'au 12 Avril


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