mardi 23 juillet 2019

Festival d'Avignon 2019: La danse , une présence forte et une offre diversifiée: Rambert, Mauro, Poésy.


"Architecture" de Pascal Rambert
Effondrement
C'est une épopée familiale, tonitruante et désarçonnante qui tient lieu d'argument, de fondement à cette pièce fleuve: évocation des déboires d'une famille en proie à l'hypocrisie, au doute, a la haine à l'infidélité . Dans l'Europe décadente traumatisée par les guerres et les nationalismes féroces, les "membres" d'une famille à Vienne se déchirent, s'humilient, se côtoient et en vain cherchent à tisser du lien , là où chacun demeure seul et y va de sa tirade.
Servie par des comédiens exceptionnels, la mise en scène occupe l'espace gigantesque en mobilier vintage de l'époque Bidermeyer, sol blanc et plateau bien rempli.
Stanislas Nordey en fil indigne, seul fait barrage aux vociférations du père, patriarche aigri et humiliant. Jacques Weber inaugurant cette fresque pathétique, bientôt suivi à tour de rôle par chacun des membres de la famille.


Faire résonner la cour d'honneur de ces destins vaut à Pascal Rambert un coup de chapeau, le faire vibrer n'est pas chose aisée surtout avec un propos qui tiendrait plutôt lieu de l'intime, du privé, du secret, du huis-clos. C'est tout le paradoxe ici présent qui nous fait face et séduit par sa force et son ton incongru. Chacun revendique sa place, fils, fille, belle-fille ou seconde mère: c'est à un naufrage que l'on assiste tout simplement, ces combattants du désespoir se tenant pourtant droit face à la tempête. A leurs corps défendant toujours, occupant l'espace en danseur de corde raide, sur la sellette dans le déséquilibre aussi: celui de la folie, de la décrépitude des esprits , dans l'effondrement des corps penchants. En chorégraphe né, Rambert en temps réel nous livre sa vision des temps à venir en signant ici auprès de ses comédiens complices et fidèles, une épopée, Odyssée ou Eneide mythologique à venir, mythique évocation de la débâcle...
Avec Audrey Bonnet, mouvante femme de Denis Podalydès survolté, Anne Brochet, Marie Sophie Ferdane, belle mère sensuelle et évanescente, Laurent Poitrenaux, pitre pathétique troublant de présence épique,  Emmanuelle Béart, Arthur Nauzyciel, surprenant officier de rien,  et Bérénice Vanvincq.


"Sous d'autres cieux"  d'après l'Eneide de Virgile de Kevin Keiss et Maelle Poesy compagnie Crossroad
Déplacement des corps
Tout démarre avec la vision d'une horde, meute de danseurs en mouvement à l'unisson, cadencés, solidaires, compactés
.Une épopée nomade où la mise en scène se batit sur l'exil, la danse qui stigmatise le parcours de chacun de ces personnages à la recherche de leur identité dans un monde évoquant l'après guerre de Troie.Périple des vaincus mené par Enée, la pièce trace les destins mouvants des personnages perdus en quête d'une oasis d'une terre où se poser pour expier le passé et reconstruire son destin. Course, divagation, errance et déstabilisation physique en sont les "fondations" qui se dérobent sans cesse au profit de glissades, de mouvement incessants, intranquilles Comme un déplacement, une migration forcée qui mène on ne sera jamais où sinon à la mort. Le parti pris de mêler danseur et comédien, danse et chant est fort réussi chacun frottant sa gestuelle à l'autre, le contaminant, passation revendiquer du mouvement, celui qui décale qui obsède les corps dérangés, déséquilibrés par ce destin féroce. C'est ainsi que Maelle Poésy nous interpelle et nous convainc et, efficace, nous conduit sur les sentiers instables de cette "fable" d'aujourd'hui; décor et costumes taillés pour ce parcours plein d'embûches, de handicaps et autres obstacles à franchir : travaux d'Hercule chantier à vif de l'humaine condition sans cesse renouvelée.
Au Cloitre des Carmes


"Oskara" compagnie Kukai Danza (Jon Maya) chorégraphie Marcos Mauro
Résurrection
Quand la tradition basque se revisite, c'est à une leçon d'anatomie au sein d'une chambre froide, morgue abritant un corps en voie d'autopsie que l'on assiste en premier lieu. Le temps d'une dissection clinique feinte pour entrer dans le vif du sujet: comment faire renaître une culture moribonde sinon par des coups de scalpel dans la chair fraîche de la tradition obsolète!
Un solo fabuleux en ouverture pour nous convaincre que c'est bien possible de déterrer les morts pour les faire bouger autrement au regard du monde contemporain de la danse Solo désarticulé à souhait, squelette pensant plein de grâce, de segmentation, de sédiments dans le corps palimpseste détenteur des couches gestuelles Mémoire de la danse traditionnelle déstructurée comme une cuisine intuitive moléculaire, inspirée des gestes oubliés et retrouvés, des fragrances proustiennes.
Une danse collective revisitée à l'unisson, très balanchinienne, tout de blancs atours v^tues, dentelles et jupettes baroques à la Bagouet Du strict, du vif et du tracé au cordeau comme la discipline traditionnelle mais sous bien d'autres formes chorégraphiques. Deux Wildermann font leur apparition comme des gardiens de l'ordre, des totems et tabous de la mémoire patrimoniale, alors qu'un chanteur borde de sa voix les mouvements des danseurs D'un piedestal un homme nu se dévoile face à son avatar encore "déguisé": qui va l'emporter, du traditionnel au détenteur de la mise à nu, table rase ?
Seul le chirurgien au final dans sa clinique aseptisée sera donner le verdict de la mort, de la survie ou de la résurrection des corps dansant "basque"... L'autopsie révélera ici une autre forme de vie pour la danse, une autre esthétique, une seconde destinée au très bel avenir. Le comas a du bon à qui sait attendre le miracle du maintien de la vie en sourdine !
A Vedène, l'Autre Scène du Grand Avignon



 


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