mardi 23 juillet 2019

Montpellier Danse 2019 : du patrimoine à la création pas un pas de travers!

C'est "ici" que se sont joués beaucoup d'enjeux pour la création chorégraphique contemporaine et on le "doit" à la perspicacité , au furetage d'un homme à l'affut de toutes les écritures possibles du corps....Jean Paul Montanari aux rènes de son festival! Une fois de plus cette édition oscille entre références, mémoire et découvertes laissant libre champ aux spectateurs de continuer à défricher sentiers et balises à son gré.

"(ma, aïda....)" de Camille Boitel et Sève Bernard Compagnie l'Immédiat

De la poésie déjà, glissée sur nos chaises en deux feuillets distincts qui se complètent et le tour est joué: il va falloir recoller les morceaux de ces cadavres exquis dans la tourmente qui s'abat rapidement sur la scène.Camille apparait, dérisoire personnage, micro en main pour y voir 36 chandelles, micro qui se traîne à son fil et räle, seul sur le sol abandonné. Des duos de toute beauté font suite, en apesanteur, étreintes, glissades furtives esquissées, légères entre un homme et une femme. Des rencontres rarissimes dans des raies de lumière et sous du sable qui tombe en faisceau, lentement, alambic ou clepsydre du temps qui se distille. Des trappes qui s'ouvrent béantes du plancher pour absorber et engloutir les êtres, des boites de Pandore, comme des pièges qui se referment: magie et cirque sont de mise! Tout s'écroule, se déconstruit, architectonique des plaques dans un grand capharnaüm ou chaos excentrique. Des harnais, des accessoires pour mieux s'envoyer en l'air et jouer les fils et filles de l'air du temps. Jeu de rideau pour s'amuser, se dissimuler aux regards inquisiteurs sur ce microcosme en révolution géologique permanente! Tonique et frais, plein d'effroi dans le dos!
Au Théâtre des 13 Vents Grammont


"The Quiet" de Jefta van Dinther
Eloge de la lenteur
Cinq danseuses, fantômatiques habitent un savant dispositif d'aluminium sur fond de chaos musical; une tente en parachute, un sol morcelé pour cette marche obsessionnelle sur musique pianistique répétitive. En "camisole" et baskets blanches Terpsichore arpente le plateau et martèle le rythme incessant de la danse collective. Femmes et détentrices de mémoire corporelle, de secrets riches en schémas physiques et mentaux, elles offrent un paysage serein fait de corps quotidiens, simples et à regarder tranquillement, comme le cour de la vie tranquille chargée de souvenirs.
Au Théâtre de la Vignette


"Monument 0.5: The Valeska Gert Monument" de Eszter Salamon et Boglarka Börcsök
d'Hommage !
Personnage extrême, trublion du cabaret dansé des années 1920...Valeska Gert a déjà fait couler beaucoup d'encre, sous la main de la commissaire d'exposition Maité Fossen , la griffe mordante du spectacle solo et du film de Renate Pook, ("Le nerf du temps" 1991) de Marc Guérini et grâce à la parution de ses mémoires "Je suis une sorcière" Sans compter sur le film de Schlondorf "Nur zum Spass, nur zum Spiel", portrait décapant de l'anti-star!
Eszter Salamon en propose un portrait très "dada", crécelle et cravate blanche déferlante au sol qui éructe, anone, en langue allemande les maux du monde décadent du troisième Reich.Babils d'enfants qui font leurre dans la salle, susurrés par un "baron" son double qui la rejoint sur scène; ça sème le trouble et l'atmosphère éruptive est lancée. On songe en l'écoutant à Aperghis, Bernstein ou Bério Berbérian passés par là entre temps...La très forte présence d'Eszter , regard aigu, scrutateur, est renforcée par la tension du noir et blanc des costumes, des rires moqueurs, des mimiques de boxeur.
Une deuxième Valeska la seconde, la double qui s'époumone, en apnée, étouffe, pantin de blanc vêtue, archi-tonique, grognant en cochonne, animale, tribale, triviale."Cocotte, Titine" par çi, par là, mannequin hyper maquillée à la Liza Minelli ou Louise Brook, telle un travesti dans le public, affolée, trépignante, exubérante, exultante...Sur leur podium de pacotille à la Mallet Stevens, la gémellité se dessine ; elle résiste, grimace, se tend, implore déconfite, se gonfle le jabot, se frappe, clown muet, mendiante, en quête de soi. Un beau timbre de voix de surcroît pour déSenchanter ceux qui voudraient se laisser séduire par tant de pantomime déroutante...Contre les tyrans nazis, son chant de cabaret s'élève, elle pétrit ses seins comme une trans-genre et en fait des sculptures étonnantes, harangue le public Toutes deux dansent avec des tissus, torchons en torsades, en tension, sportives, ventilateur désespéré, ménagères triviales qui nettoient le public de toutes traces. Petits fantômes statufiés, elles évoquent un peuple "libre", mais la chute d'Icare est proche, ailes blanches virginales: infirmières ou sorcières agonisantes, vampire maculé de sang dans une ode à Hitler ou Truman..Est-ce qu'on "change" de peau quand on passe à autre chose sans complexe, ni regret, ni autre forme de remord? Au final, c'est une batterie qui prend le dessus sorte de Woodstock déjanté qui rappelle que l'esprit "Valeska" est encore bien présent!
Au Théâtre de la Vignette




"Winterreise" de Angelin Preljocaj
Nota bene
Cadeau du Festival dans la salle du Corum, Preljocaj fait résonner les corps de ses danseurs sur du Schubert, des lieder célèbres de toute beauté, chantés en direct par le baryton basse Thomas Tatzl et joué au piano par James Vaughan.
La danse est faite à son "habitude" de solos, duos, ensembles à l'unisson esquissant les formes de la mélancolie, de l'abandon, de la solitude. On plonge dans l'univers mélancolique du compositeur, on se laisse submerger lentement par les ondes fluides des corps qui se déploient, par l'énergie des danseurs pétris de musicalité. C'est beau à en frémir, on est "ému", transporté ailleurs, vers des contrées inconnues de la nostalgie, de la douleur. Baryton et pianoforte à l'appui des corps en rebonds, en assurance certaine sur ces fondations musicales solides, inébranlables. Une mélodie de charme..Vision fugitive impressionnante hors de l'atmosphère de parcelles de couleurs et d'images: une séquence néons rouges et manga très kitsch pour illuminer subitement cet univers d'une reine des Aulnes hors de l'atmosphère de couvercle pesant.Des duos en équerre, un quatuor en espagnolade, des trios enchâssés, des courses folles sur un sol jonché de scories noires luisantes. Débris d'éruption volcanique, de coeur brisé, de graviers secs et brisés. Quelques pauses figées, médusantes, petrifiantes, de superbes lumières outre noir, un souffle de vent qui balaie tout.... Des hommes en longues jupes qui tournoient et le rêve s'élève au zénith de la voix qui chante le désamour.Encore un duo en toupie, des silhouettes découpées sur fond de touches de piano géantes et le charme se rompt: les lieders se sont tus, la danse aussi
Au Corum de Montpellier


"Stephen Petronio Compagny"

Quatre pièces de choix pour ce programme qui nous rapelle que cette compagnie sait et peut tout danser: du répertoire aux créations "maison", le spectre est large
Et c'est "Tread" de 1970 qui ouvre le bal: un Merce Cunningham audacieux, réjouissant et méconnu pour dix danseurs, justaucorps couleur pastel, sauts et attitudes remarquables, très frontals, duos en marche arrière, portés plein de malice et de danger, cambrure des corps, architecture et maillons de chaine humaine pleines d'humour. Qui l'eut cru? Merce débutant dans la joie habituelle de la composition en pleine floraison!
"Trio A With Flags de Yvonne Rainer 1966/1970
Encore de belle retrouvailles avec la modern'dance que ce bijou à géométrie variable, ici version drapeaux américains couvrant les corps dénudés de deux danseurs.Contre le nationalisme, posture très politique et engagée, la reprise de cette pièce de répertoire de Rainer fait sens et résone juste aux regard de notre monde contemporain.Roulades, rigidité et relâchements dans le silence, géométrie des directions variantes, hommes et femmes chancellent aussi, sans céder comme des roseaux pensants qui ne se rompent jamais.
Les "Golberg variations" de Steve Paxton font suite à ce beau répertoire, dansées magnifiquement par Nicholas Sciscione: un moment de grâce où les fluides se distillent dans le corps de la musique et à travers la partition corporelle de la danse de Paxton.
Pour terminer la soirée, vous reprendrez bien un  petit Stephen Petronio"American Landscapes", création "maison", parfaite production d'une danse huilée, rodée, lisse et sans histoire, exceptée celle du bonheur de voir évoluer une compagnie exemplaire, aguerrie à toute forme d'écriture chorégraphique. La filiation avouée avec les oeuvres précédentes comme credo et leitmotiv de signature kinestésique et cinétique!
Au théâtre de l'Agora



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