samedi 14 janvier 2023

"Hotel Proust": à la recherche de la madeleine perdue...et pas retrouvée.Les égarements d'un Ritz désafecté.


"C’est à un voyage dans le temps que nous invite Mathias Moritz. Non pas une plongée dans les grandes heures de l’Histoire, mais un saut de puce dans le passé, en 1995.

Dans une année politique où naissait dans les mouvements sociaux l’idée d’une gauche plurielle, une année européenne où entraient en vigueur les accords de Schengen. L’annus horribilis d’Edouard Balladur, un Premier ministre vizir qui se rêvait calife : déclaration en janvier, défaite en avril. Mort d’Hugo Pratt, naissance d’Aya Nakamura. Une année d’attentats, aussi.
Dans un hôtel luxueux se croisent des figures anonymes, qui nous font revivre le temps d’un spectacle différents épisodes de « cette année-là ». Des journées particulières, mais significatives d’une comédie humaine contemporaine.

Hôtel Proust est une madeleine qui nous permet de revivre le passé pour mieux comprendre le présent. Un coup d’œil poétique dans notre rétroviseur pour mesurer le chemin parcouru. Mais avons-nous pour autant avancé ? Et dans quelle direction ?"

 Et si ce soir "j'attends Madeleine", elle ne viendra pas...Pas de leurre à cette heure où un palace sera le huis clos de la dérive humaine: six personnages en quête d'auteur vont se confronter, seul ou avec les autres sur une estrade fragile, sur un promontoire, piédestal, socle hors sol d'un territoire improbable. Le lien unificateur de cette satyre, caricature grotesque, panorama raccourci d'une société microscosmique sera le valet de chambre, le gouvernant, groom mal graissé de ce petit peuple indisciplinaire... Chacun pour soi dans ce dédale, labyrinthe peuplé d'embûches, de désespoir, de malheurs et de sexe revendiqué pour sa crudité, sa cruauté.Théâtre de la cruauté que cette toile où une palette de caractères indéfinis se dessine à l'envi. Chaque comédien s'emparant d'une figure-créature à la dimension désuète de ses aveux insipides ou sans odeur. On se plait à entendre les paroles d'anciens "polis petits chiens" comme disait le Général en jouant à la devinette. Voix off de Mitterrand, ou Madame "non" à qui l'on aurait pas appris à dire "oui" et qui découvre l'origine fondamentale de l'acte qui l'a conduite à renoncer à tout...Souvenez vous de la série "Palace" de J.M. Ribes où le protagoniste se faisait berner: "je les aurais demain"...pour mieux se venger de son triste sort inéluctable. Ici les facéties s'enchainent dans des présentations de personnages frustrés, agressifs, distanciés par un langage et vocabulaire peu châtié.On sourit parfois devant le désarroi du grassouillet acteur de choc, face à la dérive du branleur qui ne cesse de pleurer au téléphone ou de hurler sa solitude masturbatoire...Les filles sont vamp, putes ou péripatéticiennes sans la gloire ni l'aura d'un Aristote, et la musique va bon train, celle qui nous accueillait en salle: tubes ou morceaux de choix de références de "ces années là"..On y danse pas vraiment sur cette passerelle décomposée par les sorts de ces épaves tonitruantes parfois.Et la nostalgie de s'emparer de ceux de cette génération: 1995, un choix entre deux eaux, politique certes mais pas vraiment poétique ou l'éthique ne semble pas le maitre mot pour mesurer la pauvreté, l’indigence des propos mis en bouche.

Alors on se projette en rêvant dans d'autres chambres noires ou claires, "Palace Hotel" de Busby Berkeley, "The grand Budapest hotel" de Wes Anderson, ou les aventures d'une photographe, auteure Sophie Calle, les histoires vraies de "Hotel" ou les chorégraphies en chambre de Osmosis ou Obadia Bouvier "La chambre", le"solo hotel rooms" d'Angels Margarit...Où se justifient lieu, dramaturgie, danse et texte à l'envi........Alors cet "Hotel Proust" inclassable au palmarès des étoilés part à vau l'eau en déconfiture et on sauve in extrémis le travail des comédiens qui montent les décors praticables, panneaux à claire voie ou table de DJ."Ce soir j’attends Madeleine", elle ne viendra pas, trop bien pour moi sans doute....  Comédie pessimiste genre Compagnie Tongue, la "langue en anglais" cet opus sidère et tétanise on l'on en sort médusé, paralysé, asphyxié par tant de haine, un peu d'humour, une once de dérision et beaucoup de nostalgie d'une radio-graphie des années de transition d'une société malveillante, désabusée, blessée par la cupidité, le sexe triste et les corps malmenés d'un pessimisme ravageur.Proust se restaurait chez Larue ou Prunier place de la Madeleine et fréquentait le palace Ritz : on aurait aimé cette «allure meringuée» pour mieux déguster bien chambré un millésime 1995 un peu moins bouchonné.

Au Maillon les 12 et 13 Janvier

 Mise en scène : Mathias Moritz

  • Texte : Antoine Descanvelle
  • Avec : Frédéric Baron, Débora Cherrière, Claire Rappin, Lucas Partensky, Vincent Portal, Romaric Seguin
  • Scénographie : Arnaud Verley
  • Dramaturgie, direction d’acteur·rice·s : Antoine Descanvelle, Mathias Moritz
  • Création lumières : Fanny Perreau
  • Création sonore et régie générale : Nicolas Lutz
  • Costumes : Élise Kobisch-Miana

À partir de 2001, Mathias Moritz construit un théâtre autodidacte avec un collectif d’acteurs strasbourgeois et met en scène des spectacles qui replacent à notre époque des figures fondatrices ou des états sensibles de la modernité. Il aborde dans ce cadre la révolution russe, l’underground ou l’héritage nazi. Fin 2006, il crée la Dinoponera / Howl Factory, compagnie avec laquelle il signera plus d’une vingtaine de mises en scène, dont la Trilogie de l’État Urgent qui marquera la fin de cette épopée entre 2017 et 2019. Le Groupe Tongue est créé au printemps 2019, et lance la nouvelle aventure théâtrale de Mathias Moritz dont Macbeth et Hôtel Proust (création 2022) seront les deux projets initiateurs.
Il est accueilli au Maillon avec Antiklima(X) en 2012 et Bovary en 2014.

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