mardi 24 janvier 2023

"limit.s" : "not limit" et sans modération, un opus qui lie et relie les indisciplines !

 


Le mardi 24 janvier à 20h a eu lieu une présentation publique du projet limit•s à la cité de la musique et de la danse de Strasbourg ✨
"Ce projet est pour piano, gestes et électronique et on va parler des limites ! Vaste sujet, hein?
On vous montrera les directions que ce spectacle est en train de prendre !"
 
Alors on plonge dans le"work in progress", hantier d'un concert augmenté pour piano, gestes et électronique.
Avec
Nina Maghsoodloo en conception et performance
Sabine Blanc en travail de geste et dramaturgie.
 
Elle apparait en compagnie de personnages anonymes dont l'une va s'ingénier à la ficeler à son piano, assise, toute en noir, pieds nus. Attachée, liée, reliée à son instrument alors que l'araignée dévide son fil rouge d'Ariane. Les sept statues pétrifiées regardent la scène. Comme un réseau, un chemin de fils trace au sol des lignes géométriques, lignes ou courbes de niveau du son, du relief musical qui se joue en électronique. Le piano fluide ou trépignant, liquide ou tonique, désinvolte,futile ou grave et pondéré.
De belles résonances, vibrations sombres dans l'espace se dessinent. Echo en différé comme un spectre arrangé, déformé. La chaleur de l'instrument contraste avec la distance de la bande son. Puis la pianiste tire les fils de sa prison enchevêtrée, ligotée, pince les cordes des entrailles de son piano à queue, comme un haleur tire et pousse sa charge.Très "physique" l'engagement du corps de l'interprète s'impose, se regarde. Debout, active, "qui va piano va sano". Cousue de fil rouge l'énigme, la dramaturgie opère et c'est la danse, le geste qui vont naitre une fois ce cordon ombilical sectionné. Délivrée, elle parcourt le plateau, se déplace, prend l'espace. Puis retourne au piano, aimantée, attirée par le labeur, sur l'établi de cette partition corporelle. Rage, colère sous les doigts parcourant le clavier. Sons brefs, concis alors qu'une voix off surgit. Ambiance concentrée, compacte, resserrée. Les réverbérations faisant le reste. Elle repousse son siège, se glisse sous le piano, chat qui prend ses appuis au sol, sur un pied de l'instrument. Comme sur une balançoire, sur des agrès, elle ploie, se plie, se love ou s' arc boute à l'envi. En apesanteur, piano repoussoir ou aimant attirant, attractif. L'ambiance est étrange et cet animal suspendu, chauve-souris de grotte ou caverne, attirée par la lumière fait mouche. L' électroacoustique, goulue et savoureuse se dissout alors que notre chat digital, léger prend ses marques hors cadre. Agile et souple, félin.
 
photo robert becker

C'est assise sur une simple chaise que Nina Magsoodloo interprète la danse de l'Aphasie. Alors qu'un texte très éclairant sur cet état de corps et d'esprit défile sur l'écran de fond, elle exécute de petits gestes 
précis , concis très définis dans les lignes, hauteurs. Des borborygmes comme support rythmique et linguistiques. Ses mouvements carrés, droits, angulaires sont comme une tétanie jamais robotique mais très organique.Mécanique futuriste en diable ou à la Kurt Schwitters. Ou Bernard Heidsieck (Vaduz). Cette "poésie sonore" du corps est splendide et loquasse, poésie gestuelle du compositeur Mark Appelbaum. Ballet mécanique pour pianiste inspirée. La mise en corps signée globalement par Sabine Blanc est sobre et précise, ancrée et vivante. Langage des signes détourné, rehaussé par l'énergie des flux de la danse. A corps parfait, accord parfait entre son et gestes. Cette "aphasie" est bien vécue, assumée vers un autre territoire de communication. De ses bras seuls, de ses doigts agités de petite secousses, elle transpose et traduit, prolonge les sons de bouche, de langues, de cris, d'appels. Alors que ça déraille, patine, avance et recule sur la bande son. Beugle et mugit en contrepoint dans des toux et raclements de gorge.
 
photo robert becker

Des comptes, des nombres, des chiffres en toute langue, très rythmés s'imposent à l'écoute. Méli-mélo vocal, conglomérat de sons, hauteurs redondant.
C'est plongée sur son piano, pétrin d'artisan boulanger qu'elle frappe sur les cordes avec d'autres cordes embobinées. En première de cordée pour cet exercice périlleux d'accorder son corps à la musique. Lavandière, travailleuse que l'on regarde œuvrer dans sa fausse intimité à ciel ouvert. Puis, c'est couchée au sol qu'elle joue sur le clavier, gisante dans la lumière dans l’accalmie de ce moment magique. Vision surréaliste qui demeure comme final, épilogue des tribulations d'une pianiste avec son mobilier national de prédilection Une pièce qui sied comme un gant à Nina qui affronte avec délectation et quiétude, le glissement progressif du plaisir et de la maitrise de jouer, au risque de danser.

photo robert becker

Sébastien Béranger en composition et électronique
Guido Pedicone en technique
 Nina Maghsoodloo en conception et performance
Sabine Blanc en travail de geste et dramaturgie.

extraits de "Shur" de Alireza Mashayekhi et "Aphasia" de Mark Appelbaum.

1 commentaires:

Anonyme a dit…

Merci Geneviève ! Ton article qui nous offre des foisonnants et inspirants retours. J'aurai aimé, mais je n'ai pas chorégraphié la pièce Aphasia, qui est une pièce gestuelle et sonore créée en tant que telle. Magnifique !
Je signe l'accompagnement chorégraphique et dramaturgique de Limit.s dans son ensemble, autour du piano, dessous, et par tous les territoires explorés... A bientôt pour la suite, déjà en germe :)
Sabine Blanc

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