mercredi 18 janvier 2023

"Mascarades" de Betty Tchomanga: extensions du domaine de la transe.

 


Betty Tchomanga France solo création 2020

Dans les sauts de la sirène

Entre voix et sons, rythmique répétitive pour la pulsation et musique électro, Betty Tchomanga revisite le mythe de Mami Wata, divinité africaine mi-femme mi-poisson, puissante et redoutée, qui est aussi une figure des bas-fonds. Dans Mascarades, telle une sirène échouée, l’interprète fait face aux gens qui la regardent et saute. Un saut ordinaire, vertical, et dont le mouvement persistant fait émerger de surprenantes transformations. Dans ce solo – comme si son corps devenu surface de projection s’offrait au flux continuel d’images – Betty Tchomanga joue les transformations en déclinant les différents enjeux du saut sur le mode du désir : sauter encore pour exister, résister, devenir ou mourir. Ainsi Mascarades convie de multiples présences fantomatiques au sein d’une écriture concise aux débordements inattendus.

Jump ! Dans le vide....l'or dure...Bas les masques.

La voilà cette sorcière qui chante, enjôleuse, enrouleuse. Comme à la Mary Wigman, recroquevillée, grimaçante, les yeux révulsés sur une estrade magnifiée. En tunique gris-blanc comme une odalisque adulée, attirante, absente, évadée dans un autre monde, à part, convoitée par nos regards 


intrigués.Tiraillée par un désir de déplaire, de repousser et d'attirer en même temps. Les pieds en éventail, orteils mobiles écartelés. Des éclairages verdâtres pour l'isoler au mieux sur le plateau nu. Habitée de tremblements, la tête désaxée par un effet perturbant de noircissement du cou qui isole son couvre-chef capital.Un chignon haut, tressé, des doigts en griffes et serres d'oiseaux.Tel un animal égaré, possédé, cette femme-girafe intrigue et questionne l'identité. Elle se dévêtit, en short jean, le corps à demi noirci, la peau entre noir et blanc de peau...Des rythmes musicaux hallucinés l'accompagnent dans cette danse rituelle déjantée, désaxée. Sauts et rebonds nus pieds la transforment en sauvage indomptable, pantin mécanique obéissant à des dictats venus d'ailleurs. Elle repousse les démons, le regard hagard, les jambes en dedans, en dehors comme la sacrifiée, l'élue du Sacre du Printemps. Danse votive ou rogations, mimiques du visage qui se plisse, se rétracte en autant de signes, de replis. Des onomatopées sur le bout des lèvres comme une mélodie de Gainsbourg ,"Comic strip"...


Des nattes en falbala se délivrent, extensions au vent, tournoyantes. Parure de parade, d'oiseau rare à poils, à plumes. Qui crie, se rebelle, se rebiffe et s'envole dans de belles envergures. Chasse-mouche et balais o'cedar aux poings comme des plumeaux de majorette extra-ordinaire créature hybride d'un autre continent. Rasta aussi à la Marley insurgée et indomptable.Tel un animal, mi homme, mi femme,elle, il renifle, haletant, râlant. Corbeau, corneille, oiseau de bon ou mauvaise augure. En slam, en rap, voilà l'étrange animal sauvage qui se transfigure, se métamorphose en proie à l'emprise des dieux, des esprits malins, oiseau de proie ou bestiole au sexe poilu recouvert  de ses nattes qui circulent et font que son corps mute lors de cette danse rituelle. Les cheveux masquent son corps,en font une barbe qui désarçonne les genres masculin- féminin avec bonheur et ironie .Épouvantail qui fait la bête, qui fait l'ange,androgyne à souhait, ensorceleuse de quartier en colère, pelage de poils en habit de danseuse. Déhanchée, torsion du bassin, danse serpentine ondulante sans équivoque sexuelle. C'est en bord de scène que cette créature transfigurée tente de communiquer en vain, apeurée, tandis que le bûcher fume pour mieux l'immoler.


Des plaintes et murmures en adresse au public, dans le calme ou des hurlements hoquetant.  Elle émet aussi comme un chant mélodique séducteur de sa voix de gorge, puissante. Cela vaut de l'or, ce saut dans le vide, cette interprétation hors norme d'une artiste qui se donne, habite son corps comme un vecteur de sons, de gestes sidérants. Betty Tchomanga joue, danse de toute sa peau noircie par excès pour mieux mettre en valeur les différences de tons, de perception de nos regards sur l'apparence de l'autre, de l'étrange.

A Pole Sud les 17 ET 18 JANVIER dans le cadre du festival "L'année commence avec elles"

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