vendredi 7 mars 2025

Karl Naegelen Accroche Note + Étudiants de la HEAR-Musique : une découverte fort bien "servie" !


L’ensemble Accroche Note interprète les œuvres du compositeur Karl Naegelen avec la participation des musiciens de la HEAR-Musique.

 Un concert monographique est toujours le bienvenu pour apprécier, découvrir un compositeur: c'est chose faite en compagnie de Karl Naegelen, musicien-compositeur strasbourgeois servi par des étudiants de la HEAR et des enseignants généreux de leur temps, compétences et talents d'interprètes. 

La première pièce "Modules" s'articule autour d'instruments quasi détournés pour clarinette, violoncelle, harpe et piano. La harpe claque, résonne, le piano trépigne, la clarinette souffle en cavalcade rocambolesque Des ré-percussions fusent de partout puis c'est l'intrusion de l'intime qui prime et magnifie ce curieux quintet. Et en présence de Armand Angster à la clarinette Christophe Beau au violoncelle Marceau Ballou à la harpe, Gabin Domaison aux percussions et Wilhem Latchoumia au piano, c'est "cadeau"!

Pour le chorégraphe Noe Soulier Karl Naegelen avait composé plusieurs pièces dont
"First Memory «Jeté»" pour flûte basse interprété brillamment par  Lisa Meignin :des verbes d'action comme "jeter", "éviter" il compose une partition relevée: un solo avec de longues tenues, des respirations évoquant une narration continue, une autre langue.

 "Accompagnés des gestes musicaux composés par Karl Naegelen, aux prises avec l’espace morcelé conçu par l’artiste Thea Djordjadze, les danseurs combinent, recomposent, juxtaposent des activités en temps réels, jusqu’à produire un espace tissé de correspondances et d’échos. Dans un jeu de va-et-vient entre le visible et l’invisible, le contrôlable et l’imprévisible, la gestualité se propage à tout l’espace – sensoriel, sonore, visuel – creusant les couches mémorielles singulières des interprètes et donnant à voir une syntaxe d’intensités."

Succède "First Memory" pour flûte, violon et guitare: de la finesse, de la douceur dans la lenteur, une guitare intrusive et des sirènes qui mugissent et gémissent grâce à Lisa Meignin flûte,Gaspard Schlich guitare et Margaux Bergeon violon

"L'Étude fantôme pour piano" avec Wilhem Latchoumia revèle des accents de frappe flamenca dans une vitesse effrénée et virtuose, une dextérité percussive intense et forte

"Laïka" pour piano à quatre mains est un hommage bref et volcanique, éruptif à Stravinsky: 45 secondes de folie inventive qui font mouche et touche une cible radicale. Avec
Loup-Guillaume Tual piano et Wilhem Latchoumia piano


Pour "Oh dear ! O Mensch !" - Création (avec l’aide de la SACEM) pour soprano, clarinette, violoncelle et piano Accroche note :Françoise Kubler voix Armand Angster clarinette Christophe Beau violoncelle Wilhem Latchoumia piano se sera pour un prochain épisode en Juillet la chanteuse légendaire étant souffrante.

Quant à "La chute des anges rebelles" pour quatuor à cordes c'est le chaos qui prend le dessus, le relais. Imaginé à partir du choc visuel d'une toile de Brueghel très ordonnée en apparence, c'est le désordre qui s'installe. Un véritable ballet d'archets des cordes pour des glissades subtiles, des dissonances au diapason très vives Fort dansant de surcroit malgré les difficultés de la partition. Un exercice de virtuose pour ces jeunes musiciens en herbe déjà aguéris et galvanisés par une inventivité des tonalités, des contrastes et mutations constantes de sonorités complexes. Avec Matoses Margot violon Liam Lefèvre violon Silvère Couturier alto et Loïc Fontalive violoncelle

"La plainte du Ney" pour saxophone soprano revêt un charme fou entre sonorité de hautbois et flûte: une pièce "schizophrène" aux dires du compositeur avec des échappées belles remarquables, des sortes de reprises comme des leitmotiv qui s'affolent. Avec Chloé Chasson au saxophone, une interprétation précise et habitée, incarnée.Des variations et une grande diversités de sons, des sifflets stridents, au hululement: différents registres de narration musicale d'une grande beauté.


Au final de ce concert unique et singulier "Children’s Folk Songs" pour soprano et ensemble
Plus de six chants et comptines issues de répertoire et influencés par celles de Bério C'est Sara Taboada soprano qui s'y colle savamment et avec un grand talent d'interprète: vivante, habitée, elle saute d'un registre à l'autre sans faille et illumine cette musique tantôt douce et et tendre, tantôt enflammée et virulente comme sur un marché animé D'un cheval hirsute à une balade nostalgique, la voix est vive, rapide, l'élocution précise et tonique. Volubile cavalcade quasi folklorique et chaleureuse, cet opus surprend , séduit, ravit. Avec Louise Deschodt flûte Charlotte Cassagnabere clarinette Silvère Couturier alto Timothée Montreuil violoncelle Marceau Ballou harpe Gabin Domaison percussion Léopold Lemonon percussion et Laure Deval direction

Une heure bigarrée, savante, enjouée de toute beauté en compagnie des jeunes musiciens en grande forme boostés par leurs enseignants et la compagnie généreuse d'un compositeur à qui est rendue justice: faire connaitre son oeuvre interprétée par ses contemporains avides de découvertes authentiques.


Vendredi 7 mars 2025 à 19h Salle d’orchestre Cité de la musique et de la danse

"Tamanegi" de et par Ikue Nakagawa : tout un peuple pour compagnons

 


Pendant que son père luttait contre la maladie, Ikue Nakagawa a dessiné un oignon tamanegi, variété piquante et sucrée : un symbole des relations familiales à partir de son cœur, entouré d’une multitude de couches protectrices. Au milieu de cinq marionnettes à taille humaine et aux visages figés, la chorégraphe japonaise se fait tour à tour fille, sœur, mère et épouse. Ses mouvements seuls activent les personnages inertes qu’elle déplace et surveille, autant qu’elle soigne et réconforte. Par un habile jeu de focales de lumières, se dessinent des scènes à la narration silencieuse, dévoilant les dynamiques familiales placées sous l’aune du mimamoru (見守る). Ce terme japonais se compose de deux kanjis : miru (見る) signifiant regarder, et mamoru (守る) protéger. Une sorte d’attention réconfortante qu’on sent plutôt qu’on l’observe. Elle confère à chacun·e une présence protectrice, une force qui ancre dans une histoire peuplée d’ancêtres, d’aléas et de bienveillance. Au milieu des pantins représentant ses proches, Ikue danse ce qu’on ne voit pas, ce qui nous lie et nous constitue. Elle dévoile les strates des dynamiques familiales où les plus âgé·es entourent les plus jeunes, avant que l’âge avançant, les rôles ne s’inversent. Avec délicatesse, s’esquissent les enchevêtrements de trajectoires de chacun·e, les absences et les peines, les traces qui nous ancrent et que nous transmettrons, notre tour venu.

 



Quand elle se présente sur scène sur fond blanc et  tapis blanc, elle parait menue, esseulée, pudique et perdue dans un isolement très touchant. De noir vêtue pour faire contraste à ce pays immaculé de la blancheur virginale. Viennent à sa rescousse deux personnages inanimés, une femme emmitouflée, un homme en anorak qu'elle dépose doucement sur le sol. Ils se tiennent debout sans aide ni socle ou support. Ils vont devenir compagnons de jeu, de formes de mouvement malgré leur fixité, leur ancrage au sol comme des mannequins, muets. La gamme des mouvements de la danseuse se fait riche de longues et graciles avancées dans l'espace, tournoyant en présence de ses compères figés.Encore un autre homme et un enfant se joignent à cette famille improbable et lui donnent l'occasion de converser, de s'interroger, de douter, de fuir aussi ces effigies peut-être disparues et réincarnées, peut-être ancêtres vénérés ou simples compagnons de vie, de route.C'est tout un imaginaire à construire, constituer alors qu'elle nous fait signe et nous donne quelques pistes d'interprétations. Demeure le rêve, le possible, le phénomène d'une réanimation possible de ces êtres perdus et retrouvés. On songe à Ron Mueck ou plus justement aux plasticiens George Segal ou Duane Hanson, hyperréalistes.Gisèle Vienne et Kantor bien sur qui peuplent le plateau de personnages figés, prétextes à de vives réactions des acteurs ou simples habitants de territoire du spectacle. Ikue Nakagawa et son perit peuple à la peau noire, grandeur nature émeut comme elle aussi d'un autre continent, animé d'une culture singulière qui convoque ici fantasme, réalité et différences à l'envi.
 
Née au Japon, Ikue Nakagawa se forme au Centre de développement Chorégraphique national Toulouse-Occitanie. Elle a travaillé comme danseuse dans de nombreuses créations de la Cie Kubilai Khan Investigations de Frank Micheletti (Archipelago, Tiger Tiger Burning Bright…), mais aussi au théâtre, sous la direction de Pascal Rambert (To Lose, Toute la vie, Avant que tu reviennes…). Sa pratique assidue du dessin sert de point de départ à chacune de ses propres pièces, dont elle signe la scénographie à partir de séries personnelles. Il représente sa porte d’entrée pour accéder à ses mondes intérieurs et l’aide à traverser les strates du mille-feuilles dont elle est composée, mais aussi à s’émanciper des limites des corps représentés ou dansés.

 
Au TJP jusqu'au 8 MARS en partenariat avec Pole Sud

"Camatithu" Nguyễn Thiên Đạo, Tôn Thất Tiết, Lương Huệ Trinh: un triptyque percutant qui distille la temporalité en rivière et rizière mythiques

 


Ce programme en récital propose une immersion dans le répertoire des Percussions de Strasbourg qui aura croisé la route des deux grands représentants de la musique contemporaine vietnamienne que sont Nguyễn Thiện Đạo, élève d’Olivier Messiaen et Tôn Thất Tiết, élève de Jean Rivier et André Jolivet. Pour ce programme, l’ensemble a également commandé une nouvelle œuvre à l’artiste Lương Huệ Trinh, proposant ainsi un voyage dans le temps entre 1975, 1999 et 2025, au croisement entre musique traditionnelle vietnamienne et technique de composition occidentale.

Hoang hoải, Lương Huệ Trinh (2025), 15’création

C'est dans la semi-obscurité que s'installe un silence bruissant fait de touches de percussions disséminées dans l'espace. Deux pans de couverture de survie laminées s'agitent, vent léger en poupe. Un pan de tôle froisse des vibrations étranges. Pas de musiciens en vue: tout frémit  pour émettre du son, du son pour lui-même. Fantômes, spectres absence de vie humaine, perte de repères...Les manipulateurs dissimulés se dévoilent enfin: trois silhouettes accroupies au sol, dans un rituel de manipulations de tamis. Du riz gravite selon les aléas des balancements en rythme de ces instruments issus du quotidien de la récolte de cette céréale fondatrice au Vietnam et en Orient. Tout un continent s'ouvre ainsi aux bruits d'un monde vaste et inhabituel. La richesse des sonorités transporte dans un ailleurs alors que les yeux des auditeurs sont rivés sur ce spectacle merveilleux. Des hommes au travail comme l"es Raboteurs de parquet" de Caillebotte. Éclairés par des lumières diffuses et douces. L'atmosphère est au recueillement: on y caresse et frôle les grains de riz, on y fait virevolter les allumettes en autant de paillettes qui s'agitent au gré des manipulations des musiciens.  Une bande son diffuse des cris d'enfants réjouissants, des klaxons de la ville, une grosse caisse abreuve cet univers sonore riche et surprenant. Beaucoup de musique à voir, observer, regarder les sources des sons émis par des matières à priori inappropriées à générer de la musique. Vibrations et tressaillements pour mieux impacter l'écoute et l'émission d'émotions et de sensations inconnues. "Hoang hoai" de Lurong Hue Trinh touche et remue: cette création prolixe de toute beauté sonore résonne encore dans l'espace.



Camatithu
, Nguyễn Thiên Đạo (1975), 17’

Des crécelles, bâtons de bois et autres figures récurrentes d'instruments insolites résonnent en cascade. Puis c'est l'infime et subtil son de silence qui s'installe. Six musiciens au service d'un jeu précis, précieux, éphémère diffusion de sons rares. Cacophonie, sirènes véloces et furieuses pour continuer cette ode à la rivière, à l'eau qui coule, déferle ou s'égoutte calmement. Les contrastes sont saisissants, la puissance des sons gonfle et se déploie, des sifflets inquiétants s'y profilent et ajoute à cette atmosphère, du mordant, de la dynamique énergique. Des unissons percussives grondent, le flot s'amplifie, déferle. Puis retour à l'accalmie, au suspens, à la délicatesse de l'eau qui perle et se fractionne en autant de gouttelettes. La rivière se tarit, disparait pour mieux revenir en résurgence géologique. Pluie de bambous suspendus comme des filets de cascade, des suspensions qui vibrent en rémanence sonore. Tout tintinnabule délicatement en ruissèlement scintillant. L'eau chatoyante de la rivière abreuve l'imaginaire, vivantes particules débordantes. Les échos et ricochets des longues tiges sèches en cascade et rebonds.


Enfin en apothéose et au final, c'est à "Cycles du temps" de  Tôn-Thất Tiết (1999), 27’de succéder à ces deux courtes premières pièces.

Un petit coup de rétroviseur concernant la genèse de l'oeuvre

"Les outils que j'utilise dans "La Danse du temps" sont clairs. Il y a la marche, la course, le saut, les chutes, la transe, l'immobilité, pour servir une danse généreuse, une danse première. Un travail sur le rythme, le passage d'un état à un autre.Ce qui m'intéresse profondément en tant que chorégraphe aujourd'hui, c'est de savoir comment passer d'une danse effrénée à une immobilité, sans mourir. De chercher comment un corps de danseur peut réaliser cette espèce de dilatation entre le temps réel et l'expérience du spectacle. C'est d'entraîner le public dans une autre perception du temps, jusqu'au vertige de ne plus savoir si ce qu'il vient de voir a duré trois heures ou une seconde. C'est cette "perte du temps" qui me fascine." Régine Chopinot citée dans le programme de la création à La Coursive de La Rochelle (novembre 1999) Reportage au studio de la Chapelle Fromentin à La Rochelle, pendant les répétitions du spectacle "La danse du temps", de la chorégraphe Régine CHOPINOT avec Les Ballets Atlantique et la collaboration du compositeur vietnamien Tôn Thât Tiêt, le plasticien anglais Andy GOLDSWORTHY et les chorégraphes Françoise et Dominique DUPUY. 

Tout est dit de la complexité, de la mouvance des avancées, des pas de cet opus crée pour la danse explosive et révolutionnaire de Régine Chopinot. Dans cette version concertante "Cycles du temps" se regarde aussi au profit des gestes et de la mise en espace des musiciens, six interprètes à l'écoute, à l’affut des moindres interventions des autres. Quatre vibraphones et xylophones en tête de gondole émettent les sons de perles de musique égrenées en collier magnétiques. Sensibles avancées de pas qui s’accélèrent, agiles dans l'espace à conquérir ou retenir. Piétinements d'impatience ou allongement du temps métronomique qui passe malgré tout les efforts de rétention. On songe à Françoise et Dominique Dupuy aujourd'hui disparus pour qui l'oeuvre a été créée. Le temps s'écoule lentement dans la grâce des corps dansants pour l'éternité. Un beau trio "à la baguette" sur support percussif émeut dans cette atmosphère de crépuscule du soir ou d'aube éclairée subtilement en touches lumineuses diffuses. Un compte goutte, une clepsydre semble y distiller les secondes dans des gammes burlesques et vivaces. Trois grosses caisses puisent leur sonorités dans les gestes précis des interprètes. Toujours aux aguets. Les mouvements déjà en soi chorégraphiques. Un combat martial, martellements continus en frappes colossales vient tout faite chavirer. Des multitudes de sons résonnent, le temps est compté, la vie passe...

Un concert "dans le rétro" qui magnifie le talent du groupe des Percussions de Strasbourg et l'inventivité des pistes de recherches de programmation qui anime ce collectif hors pair.

Les Dupuy à l'oeuvre 1999


Au Théâtre de Hautepierre le 6 MARS
 
🥁 Pin-Cheng Chiu, Hyoungkwon Gil, Théo His-Mahier, François Papirer, Enrico Pedicone, Lou Renaud-Bailly
 

mercredi 5 mars 2025

"Transfiguration" Olivier de Sagazan : mutant, zombie et compagnie

 


Performance historique, qui fit naître à la scène le plasticien Olivier de Sagazan, Transfiguration a déjà été jouée plus de 350 fois. En costume cravate, il y déploie l’histoire de son désir jamais assouvi de sculpteur, de donner vie à sa création. Dans une semi-obscurité, il entame un rituel au cours duquel il s’immerge dans l’argile, et laisse ses mains pleines de peinture danser sur sa tête. Cette matière malléable, mouillée et mêlée à d’autres (paille, branches…), devient la source d’extensions instinctives et d’enveloppes difformes, façonnées à l’aveugle par surmodelages et effacements successifs. Se noue un jeu d’hybridités animales et monstrueuses, de disparition totale de visage humain pour mieux laisser émerger ses perceptions intimes et profondes, les identités cachées qui le possèdent. Sculpture vivante, Olivier de Sagazan éructe et psalmodie à la limite de l’audible, en malaxant sa prochaine mue, toujours en quête de découvrir qui il est sous ses masques, et qui est le marionnettiste : « Je suis sidéré de voir à quel point les gens pensent qu’il est normal d’être en vie. Tout mon objectif est de rendre compte de l’étrangeté même d’être là. La défiguration en art est pour moi un moyen, par la puissance même des images qui peuvent apparaître, d’accéder à cette prise de conscience. »


Il ne restera pas longtemps en costume cravate, courant pieds nus dans la pénombre...Cet homme susurrant, se murmurant à l'oreille des tas de choses inaudibles va peu à peu enduire son visage d'une pâte à modeler grasse et visqueuse comme des tentacules de méduse. Se transformant en un bestiaire singulier de volatile, de faciès de singe et autre oiseau de bon augure. D'abord à l'aide de signaux rougeoyants tracés dans le vif sur son visage et de points noirs qu'il se fixe comme des yeux noircis. Avec doigté, précision il maquille à rebrousse poil sa peau, la métamorphosant en autant de personnages. Se pétrissant, malaxant sa chair comme une pâte à modeler l'improbable.Ces signes reconnaissables se transformant eux-même en autant de figures complexes à décrypter de suite dans le vif du sujet. Toute trace est éphémère mais finit par constituer un palimpseste d'images furtives qui collent à la mémoire de celui qui regarde. Plutôt être hybride que monstre à la Quasimodo, le voilà à genoux devant nous.Devant un triptyque résonnant de sons métalliques. La sculpture est son credo, sur soi et il en use et abuse à loisir pour façonner autant d'identités multiples. La position verticale lui sera douloureuse dans une érection quasi biblique: pose de Christ ressuscitant dans la douleur plutôt que dans la grâce divine! 
 

Saint Jean Baptiste de l'art brut de coffrage, singulière figure de proue d'un street art fait pour la scène. En direct, comme une performance sidérante et hallucinante. Une voix de haute-contre sort de ses tripes doublée par un possible Klaus Nomi..Comme une toile ou des portraits cabossés, défigurés sculptés de Markus Lupertz, Arnulf Rainer ou de Asger Jorn.......A la Bacon avec ses visages déformés.
 

Un discours de dictateur en bouche accompagné de gestes évocateurs de tyrannie et le voilà un autre. La matière lui collant à la peau, terre glaise qu'il érige en phallus pétrissant la viscosité jusqu'à la faire dégringoler de son piédestal. Il flanque son rejeton au mur après avoir bercé cet être venu de ses entrailles en accouchement douloureux.Tout est suggestion, évocation, secrètement façonnées devant nous dans l'instant, in situ. "Je suis un peintre" dit cet homme sauvage qui se pare d'atours arte povera, paille ou tignasse exubérante digne de masques de rituel africain. Une oeuvre d'Art singulier se fabrique devant nous de chair et de sang. Derrière lui se façonne une sculpture murale, passe muraille ou passage de miroir fantasque étonnant. Dégoulinant de glaise bien huilée, organique, suintante  et suante à souhait. Joseph Nadj et Miquel Barcelo ne renieraient pas ce travail à la "Paso Doble", performance crevant un écran d'argile mouillé, mou et glaiseux.Beaucoup d’icônes, de sons résonnent à l'issue de la vision rocambolesque de cette frise fantastique, tableau d'une galerie vivante, physique éprouvante: qui donne une claque comme se l'impose cet homme jeté dans la bataille pour le meilleur d'une performance mémorable. Olivier de Sagazan mutant se métamorphosant à l'envi pour inventer des formes mouvantes au gré de sa férocité. Le geste pictural vif argent d'un performeur incarnant un portrait à multiples facettes, kaléidoscope de visions étranges et inédites. Avec un petit clin d'oeil à La Argentina de Kazuo Ono dans l'épure, le lambeau et la blessure.
 
Olivier de Sagazan est né au Congo en 1959. Après des études de biologie, il enseigne pendant deux ans avant de se lancer dans la peinture. L’idée omniprésente de questionner le vivant organique le mène à la sculpture, puis à la performance. Depuis une trentaine d’années, le plasticien trace un sillon singulier dans les arts vivants. Adepte des performances hybrides, il explore la monstruosité et l’informe, la bestialité et l’humanité. Son univers sans nulle autre pareille a tapé dans l’œil de David Lynch, FKA Twigs, Wim Vandekeybus. Ses deux filles connaissent également un succès foudroyant : la compositrice-autrice-interprète Zaho de Sagazan et la chorégraphe Leïla Ka. Olivier de Sagazan a présenté La Messe de l’Âne au TJP.

Au TJP jusqu'au 7 MARS dans le cadre des "micro giboulées"

"Moé moé boum boum" Kaori Ito & Juliette Steiner en balade: yeux dans les yeux à fleur de peau!

 


Les enfants sont invités à prendre place dans un espace qui rappelle une clairière ou un campement, composé d’étang et de tentes dans lesquels ils et elles pourront s’installer.

Arrivent deux créatures, mi-humains mi-Yokai. Amies, ennemies ? Alors que chacune tente d’implanter son campement, un drôle de jeu se met en place. Jeu d’imitation ? De transformation ? Parviendront elles à s’entendre et à créer quelque chose ensemble ?

Petit à petit, Marvin Clech, danseur qui mélange le contemporain au krump, et Naëma Tounsi, comédienne et chanteuse aussi à l’aise chez Mozart qu’Ella Fitzgerald, vont s’apprivoiser pour mêler leurs imaginaires pour finir par inviter les enfants à prendre part à leur joyeuse ronde du changement.



Pour leur première création pour les tout·e-petit·es, les metteuses en scène Juliette Steiner et Kaori Ito utilisent le plaisir de la transformation magique pour donner vie à un rite carnavalesque. La joie de devenir un monstre, un animal, un objet, une plante ou un être hybride, repose sur la liberté de bouger, chanter et danser. S’élabore ainsi collectivement la possibilité de renverser les perspectives, de réinventer un monde de tous les possibles où le changement est source de joie, de rire et d’espoir.

 

Les bambins tout juste sortis de la crèche sont rassemblés autour d'un cercle ovoïde magique illuminé, serpentin et petite clôture pour ne pas dépasser les limites du jeu des acteurs. Public chatoyant comme seront les lumières et costumes de ce spectacle de poche, petite mise en boite charmante de nos désirs d'évasion. En route, sac à dos et chaussettes à doigts de pieds bien confortable pour une virée, une escapade au pays de l'inconnu. Une jeune exploratrice part à la découverte du pays des sons et sonorités, tout en chantant merveilleusement et tout doucement des extraits de mélodies enchanteresses De quoi bercer et conquérir ces petits bouts de choux, graines de jeune public à l'écoute.Elle séduit par un jeu sobre et malicieux, complice des enfants assis à hauteur de sol le temps de se régaler de sa voix bien timbrée, juste et soutenue sans faille. C'est joli et charmeur à souhait. De son grand sac à dos, elle sort une belle couverture de survie, toile dorée et d'un sommeil profond se réfugie dans ses rêves. Le temps qu'un espiègle complice arrive, dansant de ses mains un vrai ballet de signes secrets rejoigne son territoire et s'y installe. Le bonheur de leurs évolutions se fait d'emblée ressentir parme ces trois petits panneaux amusants de signalisation: directions diverses et petits yeux malins qui vous regardent...Des fleurs sortent du sac de cet espiègle créature aux cheveux bouclés, à la ligne épurée, aux gestes précis et dansant à souhait. La scénographie participant à cette atmosphère joyeuse de rêves et autres pérégrinations quasi burlesques. Et toujours accessibles en diable, bruits et sons ponctuant les intrigues et la narration corporelle de nos deux protagonistes. Des yeux partout pour mieux voir le monde et s'en réjouir. Juliette Steiner, en plasticienne avisée fait vivre et vibrer les objets et accessoires qui deviennent personnages et compères. La danse incarnée par  le talentueux Marvin Clech, la voix par Naema Tounsi font mouche et touchent, sensibles instruments d'une épopée singulière. C'est un monstre majestueux qui fait aussi partie de la fête, de cette cérémonie, rituel sauvage. Un simple sac à dos se métamorphose en bestiole comme dans une parade de carnaval ou de nouvel an chinois! Très belle et inventive forme qui nous décale et nous renvoie à un univers onirique de toute beauté. Chaleur des couleurs, des tissus déployés, esthétique lumineuse et féerique à souhait. Un espace de jeu chorégraphié par Kaori Ito qui révèle une fois de plus son amour et respect pour la petite enfance avec intelligence et sans concession. Le bonheur partagé avec les petits et grands à l'issue du spectacle, tendrement encadré par des adultes dont la part d'enfance ne s'est pas retirée!On s'y colle des yeux en sticker pour ne rien rater et découvrir le monde fabuleux d'un pays de cocagne où règnent en majesté tendresse, lumières et félicité. On y joue à cache-cache, apparition-disparition comme dans un conte de fées! Un ravissement enchanteur.

Au TJP  jusqu'au 16 Mars dans le cadre des "micro giboulées"

coproduction  TJP CDN & Cie Quai n°7 


 

Kiyan Khoshoie Cie KardiaK "Wannabe" : mimétisme et construction intime

 


Wannabe Suisse solo création 2024

Après un Grand Écart réjouissant l’an passé, à la croisée des genres, entre théâtre et one man show, stand up, danse et performance, Kiyan Khoshoie poursuit le questionnement de sa pratique. Il replonge avec Wannabe dans sa chambre d’enfant et sa fascination pour les clips de MTV. Ce moment charnière où l’on s’invente en copiant les modèles qui nous fascinent. Formé à la Rotterdam Dance Academy aux Pays-Bas, le chorégraphe suisso-iranien explore les traces de cette époque sur fond de titres iconiques : Rock your body de Justin Timberlake, Never Ever des All Saints ou encore Who do you think you are des Spice Girls. Il renoue en solo avec les émotions qui le saisissaient en copiant ces danses, tout en nous offrant les clés intimes de sa somathèque : ce qui, précisément, l’animait et le poussa à la créativité. Chacun est ainsi renvoyé au dialogue intime avec l’enfant qu’il a été, invité à le regarder avec ses yeux et son cœur d’adulte pour s’autoriser, de nouveau, à jouer.


A Pole Sud les 4 et 5 Mars

samedi 1 mars 2025

"La Forteresse": Groupe 48 TNS : une petite humanité en miettes.

 


Espace Klaus Michael GrüberÉcole du TNS
 On peut retracer le chemin du loup à la perdrix dans la boue à partir des empreintes qu’ils y laissent. Il ne leur viendrait jamais à l’esprit de les effacer. Les hommes, eux, fabriquent des traces qu’il est parfois bon de remettre sur le chemin qui les a vu naître. Imaginons un pays qui, cherchant à se débarrasser de ses « inutiles », ferme progressivement ses établissements psychiatriques. Imaginons une clinique où sont déployés au quotidien les principes de la psychothérapie institutionnelle. Ici, comme à St Alban ou à La Borde, on soigne l’institution pour soigner les malades.

Ici, des hommes et des femmes ont fait tomber les murs pour faire de ce lieu clos un lieu de passage, pour faire d’un lieu de soin, un lieu de vie. Cet îlot est menacé par la montée des eaux : sa fermeture depuis longtemps redoutée est annoncée. Comment prendre soin jusqu’au bout de ce qui s’est vécu là ?  Les utopies doivent-elles nécessairement mourir pour renaître ailleurs ?


"Les nouveaux trésors": bruts de coffrage.

Le spectacle débute par une déambulation dans une exposition : 3 entrées possibles avant le début de la représentation en salle. Exposition des trésors retrouvés à l'intérieur de l'hopital psychiatrique désaffecté: un véritable panel d'Art  Brut à l'état brut! Collection improbable qui va sans doute inspirer notre bande d'écrivains en prise avec un récit qu'ils inventent de toute part avec brio. On déambule à loisirs dans ce cabinet de curiosités pour y puiser déjà quelques bribes des futurs propos de la pièce: sculptures énigmatiques en tête  de gondole qui fait la une du flyer: tête d'oiseau, bateau ondulé, tôle froissée rouge sang...Tout est ici facteur et source d'interprétations diverses: on entre dans le monde de la différence, de la singularité et de l'identité avec une judicieuse clef de lecture.

On pénètre l'espace du jeu: le plateau sombre dévoile une sorte d'arche, porche qui dévoile un intérieur: celui d'une salle qui servira à bien des épisodes comme espace de jeu: cuisine, établi, salle à manger. Bref, multi services et fonctions fort judicieux. Et ici va se mouvoir une petite tribu, famille de résidents et soignants d’hôpital psychiatrique. Jamais clinique ni froid, plutôt très humanisé, peuplé de six personnages bien distincts. Et c'est cette diversité de jeu, d'attitudes, postures qui fait la richesse de l'interprétation des jeunes comédiens. 

Deux heures durant ils s'adonnent à incarner une humanité complexe, faite de rituels, de tocs, de manies toujours très finement et judicieusement observées puis vécues. Histoires de résidents mises en texte, en bouche avec subtilité, sobriété et grand respect. Pas de caricature pour ces princes qui se meuvent dans une grande délicatesse de mouvance et de diction. Suzie qui fait "son manège"comme Petit Pierre, Eric qui a chuté et tenté de "rebondir" dans la vraie vie, Angèle qui de patiente devient soignante, Sylvain aussi entre autre, tous sont fort attachants, sensibles, authentiques. Talent de comédien à l'appui, cette famille se constitue devant nous, vit ses instants quotidiens dans la sérénité et le charme d'une institution à l'écoute.Quand vient l'idée d'une "fête des larmes" c'est toute une organisation qui se met en place avec les codes et rituels de circonstances. Pourtant il y aura des surprises, de la transgression, des écarts et de la fantaisie. Les pleurs seront recueillies dans des seaux! C'est palpitant, édifiant et la gente psychiatrique décortiquée de façon savante, renseignée, documentée avec véracité. Jusqu'aux postures et attitudes, poses et déambulations sur le plateau. Deux scènes croustillantes : celle du sandwich aux beurres et des miettes de pain égrenées sur la table du festin, celle des boulettes de pâte jetées comme des confettis sur le sol..Belle observations des us et coutumes, comportements "déséquilibrés".


Et cette valse entreprise par deux protagonistes qui libèrent leurs angoisses dans les bras l'un de l'autre, virevoltant en pleine liberté! Maison de fous, "Bonjour l'Asile" ou juste "Un p'tit truc en plus", le sujet est brûlant d'actualité et toujours tenu en total respect.On se souvient de la trilogie documentaire signée
Nicolas Philibert qui nous embarquait en immersion “Sur L’Adamant”, au plus près des soignés et des soignants entre autre.

La scénographie judicieuse enveloppe le tout et permet à chacun de trouver son rôle, ses marques. Costumes ingénieux et appropriés aux fonctions, déguisements et autre variantes.
Une expérience de théâtre très aboutie, bien entourée et conseillée par de multiples partenaires: un cum-panis à partager absolument.


Spectacle de et avec les élèves artistes du Groupe 48 

[Mise en scène] Elsa Revcolevschi
[Dramaturgie] Vincent Arot (intervenant extérieur)
[Scénographie] Mathilde Foch 
[Costumes] Salomé Vandendriessche
[Lumière] Clément Balcon
[Son] Paul Bertrand
[Régie plateau et générale] Mathis Berezoutzky Brimeur 

De et avec  
Judy Mamadou Diallo - Sylvain 
Thomas Lelo - François 
Gwendal Normand Mathias
Blanche Plagnol Angèle 
Maria Sandoval - Freudellina
Apolline Taillieu Suzie

Au TNS Gruber jusqu'au 1 MARS