vendredi 7 mars 2025

"Camatithu" Nguyễn Thiên Đạo, Tôn Thất Tiết, Lương Huệ Trinh: un triptyque percutant qui distille la temporalité en rivière et rizière mythiques

 


Ce programme en récital propose une immersion dans le répertoire des Percussions de Strasbourg qui aura croisé la route des deux grands représentants de la musique contemporaine vietnamienne que sont Nguyễn Thiện Đạo, élève d’Olivier Messiaen et Tôn Thất Tiết, élève de Jean Rivier et André Jolivet. Pour ce programme, l’ensemble a également commandé une nouvelle œuvre à l’artiste Lương Huệ Trinh, proposant ainsi un voyage dans le temps entre 1975, 1999 et 2025, au croisement entre musique traditionnelle vietnamienne et technique de composition occidentale.

Hoang hoải, Lương Huệ Trinh (2025), 15’création

C'est dans la semi-obscurité que s'installe un silence bruissant fait de touches de percussions disséminées dans l'espace. Deux pans de couverture de survie laminées s'agitent, vent léger en poupe. Un pan de tôle froisse des vibrations étranges. Pas de musiciens en vue: tout frémit  pour émettre du son, du son pour lui-même. Fantômes, spectres absence de vie humaine, perte de repères...Les manipulateurs dissimulés se dévoilent enfin: trois silhouettes accroupies au sol, dans un rituel de manipulations de tamis. Du riz gravite selon les aléas des balancements en rythme de ces instruments issus du quotidien de la récolte de cette céréale fondatrice au Vietnam et en Orient. Tout un continent s'ouvre ainsi aux bruits d'un monde vaste et inhabituel. La richesse des sonorités transporte dans un ailleurs alors que les yeux des auditeurs sont rivés sur ce spectacle merveilleux. Des hommes au travail comme l"es Raboteurs de parquet" de Caillebotte. Éclairés par des lumières diffuses et douces. L'atmosphère est au recueillement: on y caresse et frôle les grains de riz, on y fait virevolter les allumettes en autant de paillettes qui s'agitent au gré des manipulations des musiciens.  Une bande son diffuse des cris d'enfants réjouissants, des klaxons de la ville, une grosse caisse abreuve cet univers sonore riche et surprenant. Beaucoup de musique à voir, observer, regarder les sources des sons émis par des matières à priori inappropriées à générer de la musique. Vibrations et tressaillements pour mieux impacter l'écoute et l'émission d'émotions et de sensations inconnues. "Hoang hoai" de Lurong Hue Trinh touche et remue: cette création prolixe de toute beauté sonore résonne encore dans l'espace.



Camatithu
, Nguyễn Thiên Đạo (1975), 17’

Des crécelles, bâtons de bois et autres figures récurrentes d'instruments insolites résonnent en cascade. Puis c'est l'infime et subtil son de silence qui s'installe. Six musiciens au service d'un jeu précis, précieux, éphémère diffusion de sons rares. Cacophonie, sirènes véloces et furieuses pour continuer cette ode à la rivière, à l'eau qui coule, déferle ou s'égoutte calmement. Les contrastes sont saisissants, la puissance des sons gonfle et se déploie, des sifflets inquiétants s'y profilent et ajoute à cette atmosphère, du mordant, de la dynamique énergique. Des unissons percussives grondent, le flot s'amplifie, déferle. Puis retour à l'accalmie, au suspens, à la délicatesse de l'eau qui perle et se fractionne en autant de gouttelettes. La rivière se tarit, disparait pour mieux revenir en résurgence géologique. Pluie de bambous suspendus comme des filets de cascade, des suspensions qui vibrent en rémanence sonore. Tout tintinnabule délicatement en ruissèlement scintillant. L'eau chatoyante de la rivière abreuve l'imaginaire, vivantes particules débordantes. Les échos et ricochets des longues tiges sèches en cascade et rebonds.


Enfin en apothéose et au final, c'est à "Cycles du temps" de  Tôn-Thất Tiết (1999), 27’de succéder à ces deux courtes premières pièces.

Un petit coup de rétroviseur concernant la genèse de l'oeuvre

"Les outils que j'utilise dans "La Danse du temps" sont clairs. Il y a la marche, la course, le saut, les chutes, la transe, l'immobilité, pour servir une danse généreuse, une danse première. Un travail sur le rythme, le passage d'un état à un autre.Ce qui m'intéresse profondément en tant que chorégraphe aujourd'hui, c'est de savoir comment passer d'une danse effrénée à une immobilité, sans mourir. De chercher comment un corps de danseur peut réaliser cette espèce de dilatation entre le temps réel et l'expérience du spectacle. C'est d'entraîner le public dans une autre perception du temps, jusqu'au vertige de ne plus savoir si ce qu'il vient de voir a duré trois heures ou une seconde. C'est cette "perte du temps" qui me fascine." Régine Chopinot citée dans le programme de la création à La Coursive de La Rochelle (novembre 1999) Reportage au studio de la Chapelle Fromentin à La Rochelle, pendant les répétitions du spectacle "La danse du temps", de la chorégraphe Régine CHOPINOT avec Les Ballets Atlantique et la collaboration du compositeur vietnamien Tôn Thât Tiêt, le plasticien anglais Andy GOLDSWORTHY et les chorégraphes Françoise et Dominique DUPUY. 

Tout est dit de la complexité, de la mouvance des avancées, des pas de cet opus crée pour la danse explosive et révolutionnaire de Régine Chopinot. Dans cette version concertante "Cycles du temps" se regarde aussi au profit des gestes et de la mise en espace des musiciens, six interprètes à l'écoute, à l’affut des moindres interventions des autres. Quatre vibraphones et xylophones en tête de gondole émettent les sons de perles de musique égrenées en collier magnétiques. Sensibles avancées de pas qui s’accélèrent, agiles dans l'espace à conquérir ou retenir. Piétinements d'impatience ou allongement du temps métronomique qui passe malgré tout les efforts de rétention. On songe à Françoise et Dominique Dupuy aujourd'hui disparus pour qui l'oeuvre a été créée. Le temps s'écoule lentement dans la grâce des corps dansants pour l'éternité. Un beau trio "à la baguette" sur support percussif émeut dans cette atmosphère de crépuscule du soir ou d'aube éclairée subtilement en touches lumineuses diffuses. Un compte goutte, une clepsydre semble y distiller les secondes dans des gammes burlesques et vivaces. Trois grosses caisses puisent leur sonorités dans les gestes précis des interprètes. Toujours aux aguets. Les mouvements déjà en soi chorégraphiques. Un combat martial, martellements continus en frappes colossales vient tout faite chavirer. Des multitudes de sons résonnent, le temps est compté, la vie passe...

Un concert "dans le rétro" qui magnifie le talent du groupe des Percussions de Strasbourg et l'inventivité des pistes de recherches de programmation qui anime ce collectif hors pair.

Les Dupuy à l'oeuvre 1999


Au Théâtre de Hautepierre le 6 MARS
 
🥁 Pin-Cheng Chiu, Hyoungkwon Gil, Théo His-Mahier, François Papirer, Enrico Pedicone, Lou Renaud-Bailly
 

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