lundi 23 septembre 2013

"Les nuits" d'Angelin Preljocaj: le "bassin" méditerranéen du corps dansant, musical!


Faire danser les corps, en duo, en chorus ou chorale, à l'unisson ou en solo....
Et surtout pour "Les nuits", sur les compositions musicales de Natacha Atlas et Samy Bishai!
Audace judicieuse de programmation dans le cadre du festival Musica, la danse très empreinte de lyrisme et de tectonique d'Angelin Preljocaj est autant un hommage à la femme Shéhérazade, qu'à l'homme.L' "homme qui danse", ce mâle qui hante toute son œuvre d'homme de culture albanaise où l'on ne plaisante pas!! (lire à ce propos le livre de sa sœur Catherine Preljocaj "Le bonheur pour une orange"sur la femme albanaise dans le giron familial machiste.)
Bref tout démarre pour cette évocation des mille et une nuits par un magnifique tableau à la Ingres où des femmes évoluent, lascives dans une sorte de hammam, bain vaporeux dans des gestes lents, et voluptueux: l'orientalisme sera dès lors le fil d'Ariane de cette oeuvre chorégraphique qui depuis sa création fin mars à Aix, a pris de l'ampleur, du poids, de la maturité
L'art de Preljocaj pour une danse hachée, violente, passionnée et tétanique nous rapelle sa passion pour l'énergie des corps, pour la beauté revendiquée du corps qui danse et se laisse à voir. L"obscène" clarté du désir, celle qui se révèle de derrière le rideau, éclate et jaillit dans la composition chorégraphique.
Les portés sont voluptueux, sensibles, au risque de la dérobade.
La sexualité des hommes et femmes qui dansent est révélée aux regards: quand le remix de la mélodie de James Brown "it's man's man's man's world" déferle dans les corps des danseuses, alignées comme au Moulin Rouge dans les "petites robes rouges" signées du styliste Alaia.
Quand à leur tour les hommes sur le même leitmotiv exécutent des mouvements très évocateurs d'une virilité assumée, c'est "pince moi je rêve", comme des fantasmes vécus, montrés.
Adam et Eve s'en régaleraient, le serpent aussi. La consomation de la sexualité, jamais vulgaire est affichée, rebelle et consentante.
C'est beau et énivrant comme une "liqueur de chair" qui se distille dans "la peau du monde".
Angelin s'accompagne de la très belle partition de deux auteurs du "sud", chaleureux et érotiques en diable pour cette évocation du désir et de sa communauté. Natacha Atlas et sa voix suave, Samy Bishai pour son inspiration orientale, ses mélodies et impacts musicaux sidérants.
Ce "bassin" devenu méditerranéen de la "danseuse classique" évoqué par le philosophe Pascal y prend tout son sens: il est mobile comme fait pour cette danse du ventre, porteur de sensualité, rond et tounoyant, évocateur des mouvements torides d'un érotisme non dissimulé.
Et les costumes de Alaia, de tournoyer comme autant de vêtements qui baillent ou flottent
Petites robes noires, caleçons seyants, comme ces braguettes du XIX ème siécle qui magnifiaient les parties sexuelles du corps masculin, merveilleuse petite robe blanche portée à l'occasion d'un magnifique pas de deux, en final...
Quant à la scénographie et aux décors de Constance Guisset, les volutes des arcades, les arabesques, les torsades et autres clairs-obscurs lumineux, dessinent les contours d'un univers à demi révélé, ajouré, pas toujours dans la visibilité et la transparence
Cachée, comme voilée aussi au travers d'un moucharabié, la danse de Preljocaj est tendre et féroce à la fois, servie par une ligne musicale tendue autant que lassive et souple
Une entente très "cordiale" entre le chorégraphe et les musiciens!
"belle nuit, oh nuit d'amour, sourit à nos ivresses"......

Le Trio Arbos à Musica: la musique de chambre contemporaine "bien chambrée"!


Premier accueil à Musica, du trio espagnol très engagé auprès de la création contemporaine comme l'illustre ce concert matinal et dominical qui lui est consacré au sein du festival.
Quatre œuvres pour illustrer ce compagnonnage fertile: "Trio" de Georges Aperghis , pièce courte rebondissante, claire, légère, comme froissée et frémissante entre les mains des interprètes(piano, violon, violoncelle), "Trio" de Toshio Hosokawa, création mondiale qui s'interroge sur la facture d'un trio classique vers une refonte plus "orientale".
Inspiré par le chamanisme, cette pièce brève illustre la représentation du monde sensible et invisible sous ses aspects divins et cachés.Ésotérique et énigmatique, la musique enchante et se dérobe à notre entendement."Funfzehn Bagatellen" de Ivan Fedele est une composition originale basée sur la volonté de modifier la perception de l'événement sonore pour l'auditeur: une aventure acoustique singulière pour les sens en éveil, bousculés par l'inventivité très tonique de la partition.
Le "Lied ohne Worte" de Michael Jarrell développe les motifs comme autant de germes qui se génèrent, s'accouplent et donnent naissance à des formes musicales hybrides.
Son travail sur le geste instrumental et sur l'organisation de la forme par rapport au timbre s'y glisse harmonieusement et insidieusement.Il y travaille sans relâche un même objet, une même idée et travaille le matériau musical de façon arborescente.Ce lied "sans parole en est une belle illustration sonore, sans les sonorités liées aux mots, au sens et à la sémantique: bel excercice de style empreint de poésie et de sensibilité à "autre chose" d'inédit.
Au coeur de ce concert se glissait une oeuvre vidéo de Robert Cahen, comme une respiration dans ce flot de propositions musicales inoues.

ROBERT CAHEN: chaman de l'image "animée", plasticienne.

"Dernier Adieu" de 1988 est une sorte d'hommage à Jean Marc Tingaud, photographe de la mer. Ensemble, ils façonnent un scénario-images pour évoquer l'idée même de la photographie, sans montrer aucun cliché de l'artiste en question. Ces images seront évoquées plus tard simplement en fin de course, dans la narration comme les œuvres qui vont s'en aller voguer dans des bouteilles lâchées aux quatre coins de douze mers et océans du globe.
Flux et reflux des images vidéo floutées par le ralenti des mouvements de vague, de la verticale à l'horizontale, du bas vers le haut.
Les spectres d'un phare, les volutes et circonvolutions  voluptueuses de la caméra au régime de la lenteur très pondérale des masses de lumière, apparaissent, disparaissent opérant comme un révélateur d'images fantômes.
La musique d'Olivier Messiaen "Vingt regards sur l'enfant Jésus" illumine le tout, nous embarquant dans un voyage maritime au long cours.
L'embarcation est légère, l'image vidéo, mobile et "futile", fébrile comme tous ces électrons libres qui la constituent
Le montage d'Ermeline Le Mézo en souligne le vertige, le déséquilibre permanent. La fluidité aussi de cette lumière capturée, scintillante et vibratile des images sensibles de la mer: autant de vagues jamais échouées qui reviennent, planent et préfigurent déjà l'écriture de Robert Cahen, ce plasticien de l'image, ce chamane vibrant de constellations créatives et sensibles. 0n songe à "Tombe avec les mots", à "Solo", "Parcelles de ciel", écrits pour les chorégraphes Roberto Montet et Susan Buirges dans les années 1989...Et aussi le magnifique "Puits de l'épervier", manifeste de l'image dansée de Hideyuki Yano dansée par lui-même et Yves Aubert.
Danses des surfaces de lumière, immergées comme celles de la méduse de Paul Valéry, cette danseuse aux ondulations saccadées, plongée dans les mouvances maritimes.liquides...
Ce chant du mouvement et du temps, cette ode à la pesanteur autant qu'à l'apesanteur des choses de la vie: autant de "cartes postales" d'un lointain pays des merveilles où la mesure des choses n'est plus tout à fait la même.

dimanche 22 septembre 2013

Les nuits" de Preljocaj à MUSICA: l'obscure clarté du désir

"Les Nuits" de Angelin Preljocaj: un conte d'effets magique

"Les Nuits" s'annonce comme l’étendard du "Pavillon Noir", centre chorégraphique du Ballet Preljocaj à Aix en Provence.
Œuvre créée dans le cadre de "Marseille, capitale européenne de la culture", ce morceau de bravoure renforce la ligne éditoriale de ce démiurge chorégraphe, en possession d'une pleine maturité
Sans Shéhérazade et ses héroïnes féminines, les Mille et une Nuit n’existeraient pas. De leurs aventures, Angelin Preljocaj extrait les notes les plus sensuelles, pour une rêverie flamboyante. Double retour aux sources avec ces Mille et une Nuits. D’abord aux sources de la littérature, grâce à ces contes orientaux et millénaires ayant inspiré une production artistique foisonnante depuis l’Inde jusqu’en Occident. Ensuite aux sources même de l’art de Preljocaj : en privilégiant la dimension érotique de ces contes, le chorégraphe promet d’écrire une pièce lumineuse et fantasmée, dans la veine de Liqueurs de chair. C’était il y a vingt ans. Depuis quelques années, dans des registres très différents, Angelin Preljocaj a pris goût à travailler à partir d’écrits pour plusieurs de ses récentes créations : Blanche-Neige, Le Funambule, l'Apocalypse selon Saint-Jean, Ce Que j’appelle Oubli... Chaque fois, il en livre une lecture totalement éclairée, magnifiée par une esthétique absolument impressionnante où l’espace se découpe géométriquement au gré des mouvements.
Accompagné d’Azzedine Alaïa pour les costumes, de Natacha Atlas, Sami Bishai et le collectif 79D pour les musiques, et de Constance Guisset pour la scénographie, ces Mille et Une Nuits s’annoncent d’ores et déjà comme une machine à fantasmes, comme une ode à la figure tutélaire et puissante de la femme émancipée, mère de désirs et de poésie, d’adversité et de passion.C'est bien d'un Ange dont il s'agit, celui qui ouvre des univers étranges, qui crée une gestuelle vif argent, ciselée et précise, une danse chorale où à l'unisson, les êtres vibrent et se confondent.Preljocaj est ce peintre capable d'orchestrer les corps, de les mettre en résonance, en état de grâce. On se souvient d' "Annonciation" de "Trait d'union" ces deux duos emblématiques de son écriture chorégraphique et filmique."Les Nuits" sera sans doute une toile tendue d'énergie, d'urgence: celle de l'alerte, de l'alarme de sa danse, mais aussi de la sensualité sauvage émanant de l'interprétation virtuose de ses danseurs.Rendre des comptes à cette immense odyssée de l'amour, à cette fresque amoureuse que sont "les mille et une nuits" est une gageure, un défi!
Calligraphe de la danse, Preljocaj trace le récit des corps de cet ouvrage mythique, oriental et romanesque, flux de mots et de textes fantastiques.
A MUSICA ce dimanche 22 Septembre 17H à la FILATURE à MULHOUSE