vendredi 25 mai 2018

"Je crois en un seul dieu" : jour deux fêtes...


"Texte de Stefano Massini - Mise en scène de Arnaud Meunier - Avec Rachida Brakni. Le metteur en scène Arnaud Meunier - directeur depuis 2011 de la Comédie de Saint-Étienne - met en scène pour la troisième fois un texte de l’auteur italien Stefano Massini. Je crois en un seul dieu, pièce écrite pour une actrice, raconte les trajectoires de trois femmes au cœur du conflit israélo-palestinien : une jeune étudiante islamique palestinienne, une Israélienne, professeure d’histoire juive, et une militaire américaine. Rachida Brakni donne corps à ces femmes, nous plongeant dans leur quotidien ainsi que dans le secret de leurs pensées intimes et politiques."


D'abord, il y a Shirin, celle qui va commettre l'irréparable, le meurtre, celle qui, endoctrinée , sera la plus fragile, silhouette toute de noir vêtue, frêle, debout, de profil, le geste sobre et lent, la démarche assurée, mais menacée, manipulée par des voix étrangères à son corps.
C'est grâce au jeu de Rachida Brakni que l'on plonge au cœur de la complexité des choses, dans une rare empathie, physique, intellectuelle, humaine, sensible et inspirée.
Vélocité, prise de risque infime mais réelle et bien campée par une interprète qui habite, vit et donne chair à ces femmes éperdues devant les faits, le terrorisme. Les lieux évoqués, supermarché, frontières, rappellent au devoir de mémoire et l'ère du soupçon ne fait pas se ternir l'âge des héros qui peuplent le propos. Tout y est dans ce paysage dévasté, pour bâtir un "panorama" de cette abréaction", empathie ou catharsis du spectateur avec le propos.
Puis, dans un savant entrelacs de gestes, voici la première transformation, médusante: discrète, ténue métamorphose, le professeur Eden Golan. Fière allure, décontractée, animée de la passion de l'échange, du partage, de la compréhension par l'intelligence du savoir, de l'histoire: oui, la connaissance sauve de l'obscurantisme et efface les différences. Belle et charmante incarnation du savoir, féminine et savante, pour mieux "inter ligere" les êtres humains, accompagner ses étudiants dans le chemin des lumières !
Et puis, il nous manquait  l'américaine, engagée dans les forces armées, volontaire, abrupte et brute de coffrage: Mina Wikinson, les deux pieds bien ancrés au sol, radicale bienfaitrice de l'humanité, basique et simple rapporteuse des événements: il y a chez elle du "bon sens près de chez vous" qui n'échappe pas aux paroles banales, entendues partout.
Sur le thème du terrorisme, la pièce, long monologue, articulé savamment entre les trois personnages qui tricotent en alternance trois caractères fondamentaux. La soumission aux voies de Dieu et de l'endoctrinement, la sagesse de la réflexion, la bonhommie du quidam de la rue, passif et fataliste.
Quelle "opinion" se faire à propos de chacune, sinon écouter leurs arguments, entendre leurs souffrances, stupéfactions ou indifférence. L'auteur, très subtil navigateur dans une marée de mots pesés, choisis, calibrés pour ne pas être de la langue de bois,se fraie un chemin, hors des sentiers battus 
Le sujet interpelle, questionne, séduit, engage notre réflexion sans concession, mais sans brutalité, ni prise d'otage!
On se sent libre d’interpréter ses attitudes contrastées, vraies, justes, mesurées. Le verbe, volubile, incarné par une comédienne qui endosse les trois rôles en passant de l'un à l'autre en de subtiles glissades corporelles, est touchante et convaincante.Et si "tous les discours et les commentaires trahissent une gigantesque abréaction à l'événement même et à la fascination qu'il 'exerce" selon Baudrillard dans "L'esprit du terrorisme", la pièce ne démontre rien, n'endoctrine aucun esprit susceptible d'être séduit ou passionné, déshumanisé par une attitude radicale et obscurantiste.



Le corps suit aisément dans l'ombre ou la lumière sur le plateau, huis clos entre trois murs et trois issues possibles: fermées ou ouvertes, laissant filtrer tous les possibles 
Le metteur en scène jour sur le fil, en funambule averti, maîtrisant équilibre, espace et déséquilibre dans un paysage meurtri où les mémoires de chacun voudront bien peser le pour et le contre sans manichéisme


Mais quand survient l'impossible, le meurtre de deux amies par Shirin, piégée par ses pairs, le consternation survient. C'est troublant, opaque et terrifiant !
Chorégraphié, mis en corps par Loic Touzé, le jeu est celui du sensible , ce qui "émeut" et fait bouger la comédienne: d'une figure sobre et soumise, tête baisée, au corps planté et glorieux de la battante américaine, soldat, la professeure se love dans un phrasé ondoyant, joyeux, saisissant de naturel.
Le corps incarne les trois facettes du texte, les mots qui sourdent de ses lèvres, de sa pensée.Le flux des gestes, en petite danse minimaliste et très opérationnelle, rebondit et permet les métamorphoses de cette chrysalide habile et labile.



Jour de fête ou de mort, jour qui tétanise sans rétrécir nos pensées abasourdies par la violence des faits ou la simplicité des informations, toujours les mêmes, au sujet de ce qui anime l'histoire d'aujourd'hui.

AU TNS jusqu'au 3 Juin


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