Noir et blanc...de peau
Tout démarre par un jeu de mime entre les protagonistes, dissimulés par un rideau de fortune, dans des halos de lumière de théâtre de Guignol: portrait, jeu de massacre ou simple préambule à la non conformité du spectacle: les dés sont lancés et à nous de tisser les liens entre Weill et Schonberg dans ce grand cabaret de l'infortune , ce "mahagonny songspiel" où tout est troublé, décalé, désorganisé pour mieux interroger et surprendre, impacter la notion de "cabaret" et en faire un vaste panorama, chanté, dansé, récité, mimé.... Une joyeuse bande défile, en noir et blanc, costumes seyants de carnaval sombre et morbide. Et si le rire et la mort étaient voisins dans cette diatribe, cette mascarade sur "le noir" de peau, le "blanc" de chair, cette notion curieuse de "mahagonny" qui n'en finit pas de rebondir sur les lèvres des chanteurs ?....
Petites cérémonies rituelles qui s’enchaînent pour mieux souder les trois femmes, sensuelles, démoniaques et perverses: deux chanteuses et une danseuse qui se tétanise en autant de petits bougés syncopés, hachés, électriques....Danses inspirées du foxtrot ou de shimmy, à l'époque grande vogue des bals mondains où l'on s'encanaille...La danseuse, Wendy Tadrous épouse la chorégraphie de Amir Hosseinpour avec célérité, volupté et vélocité, remarquables. Elle incarne cette facilité, cette vigilance aiguë et précise qui dompte le rythme et délivre cette société de ses contradictions éparses. Elle danse l'implacable destin de ces marionnettes à fil, ces pantins désarticulés au service du pouvoir, dans des comportements stéréotypés, calqués sur des modèles convenables qui cherchent à se libérer cependant des étiquettes guindées. Des jeux de jambes, de gambettes, des "postérieurs" bien en évidence pour brosser un portrait de cette tribu hommes-femmes quelque peu en perte de repères dans un monde glissant à la dérive. Le cabaret pour sauver la face, sur cet échafaudage majestueux où l'orchestre siège en beauté. Une voie de circulation, jaune en fond de scène où une automobile est immobilisée, en perspective de plongée, fait basculer l'ambiance.
Alors c'est en "sandwich" que se glisse "Le pierrot lunaire", oeuvre énigmatique, toute de sprechgesang, sombre, ardue et prophétique. Il fallait oser faire la glissade et proposer une version plus "légère" de cette oeuvre charnière, abrupte et cependant très poétique. Ce sont les trois femmes qui mènent chant et danse lors de chacun des chapitres: la lune, pierrot, la madone...la nuit.Autant de figures incarnées, psalmodiées par Lauren Michelle et Lenneke Ruiteny, toutes deux différentes, l'une lunaire, charnelle, sensuelle, l'autre plus retenue.
Après l'entracte,déferlent "les sept péchés capitaux" une oeuvre jouée sur un ring, penché, en déséquilibre où vont se jouer les destins des personnages dans tous les "sens" animés: belle volupté, orgueil affirmé, avarice suggérée;bref, la musique enchante on y renoue avec Weill avec bonheur et la mise en scène bâtit des châteaux de cartes du haut des praticables échafaudés ourlés de néons à la Morellet,qui maintiennent en survie cette petite population agitée de "bons" sentiments. La danseuse sur pointes fait bonne figure, chorégraphiée par Beate Vollak: inspirée de la danse d'expression allemande, plus émotive et retenue, plus expressive que dans les deux pièces précédentes.
Un spectacle, coup de poing à sa manière qui bouscule le cabaret, ravive les uns et les autres embaumés, vivifie et dépoussière une époque complexe et manipule des ingrédients en mélangeant les genres avec audace, sans complexe, affirmant des choix assumés et revendiqués!
à l'Opéra du Rhin jusqu'au 28 Mai à Strsbourg
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