Résumé
En 2004, la photo d’une soldate américaine tenant en laisse un prisonnier nu et à terre dans la prison d’Abou Ghraib paraît dans la presse. L’écrivaine Claudine Galea la découvre et, sous le choc, l’épingle sur son mur de travail. Qu’est-ce que cette image déclenche en elle ? Pendant quinze mois, elle tente d’écrire, n’aboutit pas, jette tout. Jusqu’à ce qu’elle parvienne à articuler, dans le jaillissement d’une langue poétique et crue, ce que cette image fait ressurgir en elle des rapports de pouvoir, de la volonté d’humiliation, de l’enfance, de la sexualité. Stanislas Nordey met en scène cette parole hors norme, où une femme ose s’attaquer à l’inhumain pour en extraire une force de vie.
Le rideau de scène est tendu: une photo s'y révèle lentement, surdimensionnée, en négatif: une silhouette tient au bout d'une laisse, un homme agonissant....Un sceau l' y laisse, empreinte d'une véronique indélébile Apparait celle qui en solo, va incarner l'écrivaine, l'auteure de ce texte, révélation, aveu pudique d'une relation passionnée à cette image, fixe, abusive des sentiments extravertis que l'on peut y puiser. Comme un tombeau, un espace renversé, bleu à l'infini, le décor lui offre un écrin de perdition, une sorte de piscine évidée sans fond...Mise en abime des mots qui jaillissent des lèvres de l'actrice: au bord, au bout, à la lisière de l'indicible, de innommable, de l'intolérable icône.Le récit de cette étrange relation femme et contenu de l'image nous mène savamment au bord d'un gouffre, d'une faille. Cette "fille" sur l'image devient objet de séduction, de tentation amoureuse pour celle qui nous fait face et se trahit d'un amour pour cette "fille" séduisante, geôlière, Dépunaiser l'image du mur pour se l'approprier et en faire le récit d'un passé violent de relation mère-fille..."Je suis la laisse", dit-elle,ce lien, ce cordon ombilical fatal et funeste aux yeux de l'autre."Je laisse ma fille" en moi malgré cette attache, cette entrave qui relie image, souvenir, et horreur.Cécile Brune, vêtue de noir et bleu,se meut subtilement dans ce personnage à vif, remuant passé et fiction au creux de cet étrange espace cubique renversé.
La force des images devenues mythiques est ici questionnée, dans la cruauté du verbe, dans l'émission de ces mots qui sourdent peu à peu en aveu de tentation de séduction, de dépendance, d'addiction à l'image, à son pouvoir d'évocation.
Beau travail de sobriété de la mise en scène de Stanislas Nordey dans cet univers pourtant enjôleur et quelque peu déroutant.Travail poétique et politique sous la plume engagée de Claudine Galéa, au "bord" , à la frontière, à la lisière de l'indicible De quel côté va-t-on basculer?
Au TNS jusqu'au 29 JUIN
Claudine Galea est écrivaine de théâtre, de
romans, d’albums et de textes radiophoniques. Les éditions Espaces 34
ont publié une quinzaine de ses pièces. Sa dernière pièce, Un sentiment
de vie, paraît en mai 2021 dans la nouvelle collection de littérature
pour la scène, « Hors cadre ». Au Bord a été lauréate des Journées des
auteurs de Lyon 2010 et du Grand Prix de Littérature dramatique en 2011.
Dès sa parution, Stanislas Nordey avait invité Claudine Galea à la lire
à l’occasion d’une carte blanche à Théâtre Ouvert, lui faisant part de
sa volonté de la mettre en scène.
PARAGES | 09 lui est consacré.
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