mardi 8 juin 2021

"Quand caresse le loup": se perdre et fendre les brèches du récit..à la recherche du temps retrouvé.

 


Le Festival de Caves... Hors Caves ! Cour, jardin, préau... l’édition 2021 s’adapte aux contraintes sanitaires et sort au-dehors.

"Quand caresse le loup", de et avec Simon Vincent, mise en scène Régis Goudot, costumes Louise Yribarren. En coproduction avec la Cie Mala Noche/Besançon. 


Un homme progresse à travers la montagne. Il s'enfonce toujours plus loin, dans le froid. Un chien obéissant marche dans ses pas. À distance, un loup, habitant clandestin de ce monde reculé. Un loup, qui va et vient dans le paysage ; qui se montre et disparaît dans le silence et la discrétion que lui impose sa liberté. 

On se retrouve donc "à la porte du garage" d'un immeuble de Bischheim, cour privée arborescente et fraiche, au crépuscule naissant...les martinets crisant dans le ciel clair Le sourire aux lèvres derrière les masques et l’œil pétillant de curiosité ! Il est là tout proche, on le frôle, assis frontal, en plein air..."Loup, y-es-tu?"....Une table, une chaise où se pose le narrateur, blouson et bonnet noir, jogging au corps: il lit, conte les prémisses de ce qui ne seront jamais des "aventures", mais un récit palpitant, partagé par le narrateur et le personnage, la bascule savamment dosée d'un coté à l'autre de la "lisière", frontière naturelle entre paysage décrit, et vécu d'un homme en "quête" du voir plus que du savoir.


Un périple qui frôle le danger, esquisse un écho comme la muse qui hante les sommets, les creux pour mieux réverbérer le son de ses paroles....et se fondre, disparaitre à jamais dans le roc. Car il s'agit ici de petite géographie, tectonique des plaques et des mots pour évoquer le précipité de la vie, l'abime des instants qui basculent d'un coté ou de l'autre, "vers" l'événement partagé entre corps et géologie, fractures et faille, col et brèche... Vers la bête, celle que cet homme révèle dans ses instincts, ses intuitions premières....Une bière à la main, "il" cause, nous introduit dans le récit d'un homme qui murmure ses impressions, ses morsures dans les cavités, trous et accidents au bord du chaos de l'existence. Quoi "dire" sinon rendre compte de la "rencontre", cette promesse de l'inconnu recherché que l'on frôle sans cesse. Il érafle, s'engouffre, s'enfonce comme un écorché dans un dédale  qui absorbe les bords de la rivière: personnages géomorphiques très présents tout le long du récit et du monologue qui s'étire à nos oreilles.

Marcher dans le crépuscule comme Lenz à la recherche de paysages inouïs, fort bien décrits et suggestifs de montagnes, guide du périple sur ce chemin risqué: une chute dans les eaux glacées concrétise les faits, les actes de ce qui n'est pas "rêverie d'un promeneur solitaire", mais la marche initiatique d'un chasseur, chercheur de sa propre réalité. Un peu de musique rap tirée du téléphone portable pour nous entrainer dans un passé aux pouls tectoniques rythmiques d'un cœur palpitant.Suspendu dans l'étonnement, sorti de sa tanière, effleurant ce qui ne s'attrape pas...Un danseur se dessine à travers corps, attitudes en suspension et verbe fertile en images issues du glossaire de la géologie: traces et couches fondatrices de nos fondements.Telle une description pas à pas, précise, haletante d'un cheminement vers une balade sans guide, partie du milieu dans les plis et replis de la montagne Synclinaux et anticlinaux d'un relief revisité à l'occasion du franchiement des obstacles ou étapes d'un voyage, départ initiatique vers un ailleurs.En déserteur, en "objecteur de toute conscience" obéissance, vers l'indisciplinaire du récit. Il "part" , crapahute, marche bouffonne, loufoque à la Nietzsche. Seul son chien, inquiet semble le prévenir, lui suggérer le retour en arrière, à la voiture, à la niche où stationnent la routine et le connu..Équilibriste du chaos, danseur de corde sans filet, funambule aérien dans le roc montagneux L'itinéraire n'est pas tracé, pas de balise ni de repère: "ne demande jamais ton chemin car tu pourrais ne pas te perdre" !Un détour par un bivouac dans un refuge frustre et rustre vers les crêtes, les belvédères et autres brèches à franchir...Pause au creux d'un feu salvateur: on y "divague" diverti par cet écueil bienfaiteur qui vient calmer le récit, ou le vécu direct du personnage.Il n'a pas de nom, ce marcheur qui bientôt frôle l'animal tant attendu: le loup à peine nommé, "lui" avec les croisements de regards l'un envers l'autre, simplement dans la sobriété de l'évocation de cette rencontre forte et évidente. Le récit toujours suspendu aux cordes du rythme de la syntaxe légère, qui tient en haleine, en apnée Ce sera la voiture au loin repérée, très loin, rouge comme un phare inaccessible qui fera le retour à une réalité rassurante. Adieu le conte, le personnage se retire, c'est la fin d'un aveu au creux du bassin de réception d'un glacier frangé de moraines, qui borderait le lit majeur d'un torrent fougueux: les courbes de niveau pour mieux suivre la pente et éviter les montées ou descentes vertigineuses de cette "histoire", conte ou légende à ne pas dormir debout!


Simon Vincent en soliste d'exception, discrètement façonné par Régis Goudot, profilant ainsi les bords et contours d'un homme sans qualité aux multiples facettes à découvrir le temps d'une "rencontre insolite" aux portes du garage.La grotte et autres "trous" du récit faisant office de caves naturelles...De chambre d'écho où se perd la muse éponyme.

A Bischheim le mardi 8 JUIN

 


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