samedi 26 juin 2021

"Inflammation du verbe vivre": Wajdi Mouawad et son double plissé.



 Wahid, metteur en scène, double théâtral de Wajdi Mouawad, doit monter Philoctète, une des sept tragédies de Sophocle parvenues jusqu’à nous. Le décès de Robert Davreu, qui devait traduire le texte, le rend profondément triste et lui fait perdre le goût et le sens de la vie. Il décide alors de partir seul en Grèce, sur les traces du grand guerrier Philoctète, puis de rejoindre les morts dans l’Hadès, le monde obscur et intercalaire des morts-vivants. Inflammation du verbe vivre est l’histoire d’un homme qui, dans une traversée cauchemardesque au pays des ombres, retrouve contre toute attente la force d’exister.


 On vient tout juste de le quitter dans son rôle naïf et bienveillant dans" Sous le ciel d'Alice ", un film réalisé par Chloé Mazlo avec Alba Rohrwacher, et le voici à nouveau, sur scène, seul,Wajdi Mouawad, l'acteur, comédien, metteur en scène de tous les combats, politiques, poétiques, artistiques....

Seul, certes en chair et en os, projeté au pays des morts, nous les spectateurs, sans âge ni origine...Une façon bien à lui d'interroger le monde des vivants en allant fouiller la mythologie et ses héros légendaires.Mais toujours relié aux autres territoires de la Grèce, paysages cinématographiques dans lesquels il se fond, le temps d'un épisode de cette quête en solitaire sur le sens du mot "vivre". En bonne compagnie de protagonistes virtuels, comédiens et penseurs d'un vaste projet de fresque théâtrale, contesté dans sa forme par ses collaborateurs réunis à l'écran, alors que lui, circule dans ce monde virtuel avec aisance, en dialogue perpétuel avec les images. Autant de spectres et fantômes désincarnés pour entamer le dialogue. Une véritable performance d'acteur, traversant le miroir comme un passe-murailles, se glissant dans les failles, sur la brèche de l'écran tendu. C'est beau, séduisant, attirant comme autant de passages initiatiques dans d'autres mondes, étape, bivouac pour accéder à son Graal comme des marches à suivre.A la caméra, il a filmé, "film de chevet" inspiré de Robert Davreu, filmé la Grèce comme autant de paysage maritime où se fond son corps jeté dans la bataille avec les éléments: l'eau en particulier comme bain de jouvence ou gouffre sans fond.Interroger les morts, guidé par son chauffeur de taxi, pour restituer parfums, sons et impressions du pays d'Hadès, pays des ombres privées de lumière.Se jeter dans la mer pour échapper à la dette, se confronter aux sensations pour expérimenter avec courage, audace ce que vivent les autres....Un "enfer" à la grec que de se propulser dans l'obscurité.Des images projetées sur un écran de 700 fils, cordes qu'il traverse à l'envi comme rideau, brise-bise,au delà du réel. Passer de l'autre côté pour mieux nous perdre dans un labyrinthe d'épisodes, un récit morcelé qui va et vient sans cesse pour tisser une narration fantaisiste, haletante dans les plis de la vie, à la Deleuze ou Michaux."Com-pli-quer" les choses pour mieux sim-pli-quer et faire plisser les événements comme de la haute couture à fourreau plissé à la Mariano Fortuny et sa fameuse robe "delphos". Miyaké en pensée, comme un corps éventail qui s'ouvre et se ferme au gré des instants de la vie. Un être fabuleux aux prises avec les dieux pas toujours disposés à accueillir sa détresse.

Au TNS jusqu'au 2 JUILLET

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