Koltès situe l’action de la pièce dans une zone
portuaire abandonnée. Un administrateur de biens, Koch, conduit en
Jaguar par sa secrétaire Monique, choisit cet endroit pour mourir. Il se
jette à l’eau, mais le voilà aussitôt repêché par Abad, être silencieux
et secret. Dans ce lieu en marge de la société, Koch et Monique se
retrouvent exposés à des individus déclassé·e·s, étranges êtres de la
pénombre : Charles, sa sœur Claire, leurs parents Rodolphe et Cécile, et
un certain Fak. Cette pièce interroge les rapports sociaux, le désir
(de reconnaissance) et le devenir - adulte. Ludovic Lagarde, rompu aux
écritures contemporaines, propose d’explorer le continent koltésien
d’une langue dense et raffinée qui sonne comme une tragédie de la
mondialisation et du déracinement.
Le décor est planté, sombre, hostile: deux hangars , murs noirs et lisses justes ajourés de fenêtres aux bords carrés qui laissent filtrer un peu de lumière...Des hommes en seront les habitants, errant au gré de l'onde, de l'ombre, jouant au yoyo, ce jouet qui laisse de l'espace et du temps à celui qui en joue....Jungle où échoue Maurice, Laurent Poitrenaux, méconnaissable instrument déchu d'une société bourgeoise. Voeux d'en finir avec son sort pathétique, longue gabardine pour futur linceul.Monique le rejoint, elle aussi en perdition, victime d'un sentiment de peur extrême...Tailleur seyant moulant son corps, c'est Christèle Tual qui s'y colle et confirme la solitude et le désarroi social. Ici tout s'achète semble croire nos deux anti-héros: le danger à quel prix l'acheter pour en sortir: espèces, carte bleue, montre pour appâter un autre monde qui feinte d'ignorer ou mépriser ces façons de faire "illégales" et trompeuses. Ici toute une population se rejoint pour conjurer le sort d'une vie décousue et morbide, pourtant tissée de liens familiaux ou d'appartenance rassurante à une même classe sociale. L'atmosphère est "glauque" et prenante, tendue, soutenue par une scénographie d'enfermement , jusqu'à ce volet de garage en ferraille qui occulte espace et promesse de fuite, d'ouverture...Seule la mer en images grand écran sera espoir et perspective: mais autant de calme que de menaces. Sirènes de bateau, éclats de salves, tempête et pluie battante pour cette météo du désastre qui prend aux tripes et galvanise ce petit peuple errant, malmené, tanguant au gré des mots, des aveux. Le texte est d'emblée palpitant et édifiant, musical comme structuré d'alexandrins à pieds versatiles et incertains.Prose cependant qui tient et soutient des personnages fragiles mais humains, sordides ou solidaires, odieux, agaçants autant qu'attendrissants...Quai Ouest au départ d'un voyage impossible, escale d'un cabotage qui mène droit dans l'obstacle de l'incommunication...Si boire du café fait grandir et se prendre pour un adulte, alors tout est simple et facile. Et nos héros de méditer à bras le corps,celui de la "marge", des exclus de ce monde naissant de la finance et de ses abus sociaux économiques.Voyou ou trader, ils sont promus , promis à la fatalité d'un monde en marche qui les oublie et les laisse sur le pavé: sordide et implacable portrait d'une société décatie, déchéante. La pièce est forte, sensible, l'empathie avec cette population hybride ne cesse de grandir tout au long de son déroulement, captivant, obscur, saisissant...On s'y jette à l'eau avec ou sans espoir de repêchage !
Révélé par Patrice Chéreau dans les années 1980, mort du sida en 1989, considéré comme un auteur classique, Bernard-Marie Koltès laisse une œuvre publiée aux Éditions de Minuit, traduite et montée dans le monde entier. Ancien directeur de La Comédie de Reims (2009-2018), Ludovic Lagarde dirige aujourd’hui la compagnie Seconde nature. Il a présenté au TNS Providence et Le Colonel des Zouaves, textes d’Olivier Cadiot, incarnés par Laurent Poitrenaux, acteur associé au TNS.
Au TNS jusqu'au 16 Décembre
0 commentaires:
Enregistrer un commentaire