mardi 22 mars 2022

"Best regards" : Marco d'Agostin: Welcome épistolaire....en toute lettre!

 


Tellement drôle et tellement physique, c’est ainsi que Wendy Houston rendait hommage à son ami et collègue Nigel Charnock décédé en 2012. L’exubérant chorégraphe, interprète, performer et réalisateur anglais s’est fait une réputation sur les scènes internationales dans les années 80-90 avec des créations aussi iconoclastes que non conformistes.
« Avoir pu le connaître et travailler avec lui en 2010 est une rencontre qui a définitivement influencé ma façon de voir la performance », commente à son tour Marco d’Agostin à propos du solo, Best Regards, que le jeune chorégraphe italien lui a consacré en 2018.
A l’origine de cette pièce une intention sous forme de question : comment commencer cette lettre impossible écrite avec huit ans de retard à quelqu’un qui ne répondra jamais ? De quoi poursuivre le fil de sa démarche artistique en imaginant l’une des géographies complexes qui caractérisent son travail mêlant sons, mots et mouvements. Chez Marco d’Agostin, la danse évolue dans un paysage d’échos et de résonances ou temps et mémoire favorisent la rencontre émotionnelle qu’il recherche : les liens qui se tissent entre ce qui se joue au plateau et celui qui regarde.

Sur le plateau nu, il se présente, humble, sobre et parle de ce trac, de cet abime qui ne vous fait pas encore danser, mais causer...Des lettres, ces missives qu'on écrit, envoie ou ne lit jamais: ce mystère, ce destin des échanges de grands écrivains ou de proches parents. Ses mots sont touchants, ses aveux étonnants et sincères. L'art d'écrire des lettres pour patienter, combler ce "pas prêt à danser"...Puis sur un texte en anglais cette fois, notre "italien" polyglotte se prend au jeu de la danse: poses, attitudes, postures singulières d'un combattant des émotions. Sur fond d'écran où se distingue le texte traduit dans des polices de caractères très plastiques et esthétiques, il se meut à l'mage de son maitre, et l'on songe à "Strange fish" où Nigel se débattait dans sa solitude, en proie à une logorrhée démente, face à ses partenaires de party, indifférents ou affolés par son attitude de trublion, pion ou fou d'un jeu d'échec.Compulsif des mots jetés, propulsés, rythmés à toute allure, projetés dans l'espace. Gesticulant savamment en lignes cassées, angulaires ou gracieux tourbillons, spirales et évolutions comme des courses folles dans l'espace.Le ton de la voix est proche de celui de Nigel et le trouble est grand de retrouver son timbre, sa justesse d'élocution: invasive, contenue dans des mouvements serrés, précis, tectoniques.Une chanson "nouvelle" réinterprétée à sa façon d'une voix assurée et chaude comme hommage à un "mort" qui lui laisse la liberté et la place de danser, danser encore.Comme un disque rayé qui achoppe et se heurte à un obstacle, il répète et reprend mots et sons à l'envi.Un rideau de perles lumineuses comme rideau de fond, se fait passe-muraille, des accessoires en surgissent pour jouer, prétexte à l'urgence de bouger, de parler, de se souvenir à travers son corps de l'enseignement de Nigel.Il déroule le tapis rouge miniature, détourne les objets: tension et performance à l'appui, paillettes et confettis comme des éclats de joie, de fête.Danse, lumière et musique ne font plus qu'un, les mots s’effacent et se taisent. Silhouette découpée devant ces ampoules qui pleurent en ruisseau de lumière clignotante.Et vint au quasi final, en épilogue cette danse au sol dans la semi obscurité, spectre, ombre projetée de celui qu'il adule et vénère en toute sobriété.En toute lettre assurément, la dernière qu'il reçoit à l'instant présent du spectacle et qu'il nous lit et délivre dans l'émotion de la découverte et de la rareté de l'instant présent. La missive délivre ses secrets pour nous aussi spectateurs tenus en haleine dans l'intimité partagée de cette pièce très personnelle aux accents troublants d'un état d'être au monde unique et singulier.

 

A Pole Sud les 22 et 23 MARS

0 commentaires:

Enregistrer un commentaire