Les Frères Karamazov est le dernier roman de Dostoïevski,
paru en 1880. Les fils Karamazov, qui n’ont pas grandi ensemble, se
retrouvent dans la maison paternelle et font connaissance. Trois mois
plus tard, le père, Fiodor, sera assassiné par l’un d’eux. Sylvain
Creuzevault, avec son équipe, explore depuis plusieurs années l’œuvre de
Dostoïevski. Pour nous parler d’aujourd’hui, il s’attaque à ce monument
fascinant, où l’auteur creuse toutes les contradictions d’un monde
hanté par ses démons originels. Dans ce jeu de pistes aux multiples
facettes, il interroge ce que veut dire innocence ou culpabilité.
Y-a-t-il de bonnes raisons pour ne pas tuer le père ?
C'est trois heures durant une épopée picaresque qui se déroule servie par des comédiens hors pair. C'est dire si c'est "du théâtre" où les personnages sont rendus attachants et percutent avec une verve, un tonus une dynamique incroyable.Dans un décor très "iconique", très orthodoxe, on fait la part belle à la colère, à la passion dans des costumes liturgiques ou en simple appareil civile. Il faut entendre et voir Nicolas Bouchaud en Fiodor exalté, ce père indigne qui revient au "foyer désuni" avec un débit verbal hallucinant de tectonique sonore et corporelle, il faut se laisser apprivoiser par tous ces hommes et femmes excessifs: Servane Ducorps, à fond dans sa gouaille de Mamounette, Blanche Ripoche, suave et rigide Katérina....Et Arthur Igual en Aliocha sublime, drôle, naïf et séduisant d'innocence feinte dans ce galimatias familial et social décoiffant. La musique live accompagne toutes ces péripéties, ponctuant la dynamique, l'énergie des corps jetés dans la bataille: Sylvaine Hélary et Antonin Baillon aux commandes!En seconde partie, le décor fait office de no mans'land, friche industrielle aux néons de couleurs où va se dérouler encore l'expression débordante de passions, de colère, de jalousie. Enfermé dans une cage qui bouge ou librement jeté dans l'espace, les corps sont au combat, en verve, se soulèvent ou désespèrent: toute une humanité au bord de la crise de nerfs telle que Dostoevski aurait imaginé sans doute sa saga, série palpitante et haletante!Quand tout est dit sur le patriarcat, Dieu, l'Etat, le père et ses avatars politiques, on ne peut qu’adhérer à la façon très humaine de Creuzevault de traiter le sujet du communisme, du pouvoir, de la filiation. C'est grandiose et émouvant, palpitant et audacieux. La jeunesse, elle aussi, traitée avec sa voracité de vivre ou d'en finir avec ce "père" castrateur abominable monstre déferlant de haine ou d'amour. Une narration textuelle pour nous accompagner dans cette complexité épique ou picaresque quasi digne d'un roman-fiction-réalité qui puise dans la vie intime de chaque personnage; on y fait aussi la fête à l'image du metteur en scène qui n'a de cesse de nous poursuivre de sa passion dévorante pour l'oeuvre quasi complète de Dostoevski!
Sylvain Creuzevault est metteur en scène et acteur. Après Baal de Brecht en 2006, il compose plusieurs spectacles : Le père tralalère, Notre terreur, Le Capital et son Singe. Au TNS, il a créé en 2016 Angelus Novus AntiFaust et a présenté, en 2019, Banquet Capital. Il est artiste associé à l’Odéon-Théâtre de l’Europe où il a créé Les Démons de Dostoïevski en 2018 et Le Grand Inquisiteur d’après
Dostoïevski, en 2020. Depuis 2017, il est installé à Eymoutiers, en
Haute-Vienne, où il transforme d’anciens abattoirs en lieu de théâtre.
Au TNS jusqu'au 19 MARS
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