vendredi 10 février 2023

"Burning bright": Hugues Dufourt "Blake is black". Des "accessoires" comme des "sots l'y laissent" dans un salon des refusés!

 


BURNING BRIGHT, Hugues Dufourt


"Dans ce poème incandescent, William Blake exalte le choc des contraires, véritable matrice du monde et condition originaire de toute manifestation de la puissance créatrice. Le conflit primordial de l’ « innocence » et de l’ « expérience », ces deux états extrêmes de l’âme humaine, traverse tout l’œuvre poétique de Blake, lui imprimant sa dimension tragique et son style visionnaire. Non-conformiste et libre-penseur, violemment hostile à la moralité répressive ainsi qu’à toute forme d’oppression théologique et politique, Blake prit le parti de la Révolution française et dénonça la mise en esclavage des noirs d’Amérique, sans renoncer à une forme de quête mystique – dans la lignée de Dante et de Milton -, seule capable à ses yeux d’exprimer la splendeur des illuminations intérieures. La fureur éruptive et hallucinée de ses visions inspire crainte et effroi. Plongé dans les abîmes d’une condition de misère, l’homme peut néanmoins voir sourdre dans le monde une lumière brûlante qui lui indique, sans promesse aucune, la possibilité d’un règne autre que celui des prédateurs."
 

 
"Burning bright"
   Avec les percussions de Strasbourg: un puissant "Burning bright", une reprise depuis sa création en 2014 au TNS dans le cadre du festival Musica..
On retrouve avec enthousiasme et impatience la formation légendaire percussive,dans une configuration scénique en demi-cercle, le plateau occupé par une multitude d'instruments hétéroclites autant que "classiques".
Ambiance feutrée, fine et subtile pour rendre visible et perceptible  "The tiger", l'un des plus célèbres poèmes de la littérature anglaise de William Blake.Style tragique et visionnaire qui se plait à flirter avec les mille et une sonorités des percussions.
Multiples timbres et résonances, amples, diffus, dessinant un espace sonore inédit, étrange.
Secousses telluriques, sismiques et très tectoniques pour une œuvre inspirée par la profondeur universelle de la poésie, sans récit ni anecdote.Un spectacle aussi, grâce aux visions de science fiction qu'offre  ce déferlement de gestes des interprètes virtuoses de ces percussions surprenantes: un bac d'eau scintillant où parfois le musicien plonge ses plaques de cuivre résonantes....Une empathie singulière s'installe , une communion unique se forge tout au long de la prestation avec la tension, l'attention des musiciens sur le plateau, sur le fil d'une dramaturgie musicale faite de sons en couche, en strates qui gravissent les parois sensibles d'une audition collective en sympathie.
C'est comme un univers qui "grelotte", qui vibre, chiffonné. Des disques, des toupies frissonnent , réverbèrent la lumière en une scénographie magique et rituelle, en demi cercle chamanique.Ça grésille, frissonne, vrombit, rissole, crépite à l'envi comme un enfer de sons inédits. Embrasement, effondrement, fricassée orientale de gongs comme dans un temple maudit.On s'y engouffre, on résiste à la vision de cette avalanche tectonique, géologique en diable, cette usine à broyer le son, en tréfonds aquatique, en ventilation de tourniquet de mauvaise augure... Du granit rugueux dans ce séisme, cet ouragan, ce raz de marée où des tournesols lumineux scintillent comme une toile de Van Gogh sous la tourmente.
Du grand art pour cette performance saluée chaleureusement par un public, ce soir là, conquis par l'atmosphère apaisée, douce et planante au final de l'oeuvre proposée.
Des univers visuels et fantastiques au coeur de la création contemporaine! Hugues Dufourt, à la "hauteur" des ses péchés capitaux: les interdits harmoniques, "triolets" savants diaboliques. Un cabinet de curiosité, un "enfer" musical à observer en toute" obscénité". Ob-scène: derrière la scène.


Depuis le milieu des années 70, Les Percussions de Strasbourg et Hugues Dufourt entretiennent une relation complice. Près de quarante ans après Erewhon, le compositeur leur dédie une nouvelle œuvre phare en 2014.
  En 1977, à Royan, la création de Erewhon pour six percussionnistes et 150 instruments marque l’avènement d’un compositeur de trente-quatre ans et inaugure l’ère des grandes pièces pour percussions, ces symphonies modernes déjà expérimentées par Edgar Varèse ou encore Iannis Xenakis.
Grâce à cette partition extraordinaire, Hugues Dufourt, compositeur, philosophe, chercheur, entretient à l’évidence un rapport personnel et historique avec le groupe de Strasbourg et son prodigieux instrumentarium. Il n’avait pourtant pas remis l’expérience sur le métier, à l’exception de la brève Sombre journée (composée peu de temps après Erewhon en 1976-77) et, en 1984, La Nuit face au ciel, créée cette fois-ci par d’autres jeunes percussionnistes.
Burning bright est donc à la fois un retour aux sources et une nouvelle exploration de ce continent infini qu’est la percussion.
 
A l'issue de la représentation,Hugues Dufourt donne quelques clés pour appréhender cette œuvre nouvelle sur laquelle il travaille depuis 2010 : réflexions autour du geste (tailler, assembler, déplacer et briser), sur les modes de jeu, sur les associations instrumentales et la substance sonore. À ces objectifs théoriques correspondent des objectifs artistiques qui combinent essence de la percussion, temporalité, essence de la composition et esthétique.Et la notion d'accessoire se fait évidence pour cette opus de "l'inquiétude collective" aux formules et associations inédites."Un véritable magasin d'accessoires", les laisser pour compte de l'histoire, les "rebus" de la musique.De cette "cérémonie cannibale" les instruments se font festifs, reliques des interdits, retour des refoulés, des refusés, des revenants. A l'encontre des normes, la "hauteur" qui a la primauté dans l'écriture et la composition musicale Pas de registre fonctionnel, mais des apparitions brutes, terrifiantes pour un rapport à l'au delà menaçant fruit de l'épouvante. Le "waterphone" y devient la synthèse de l'angoisse filmique, cinématographique en diable. Le crime est presque parfait dans cette oeuvre sombre : comme plusieurs accessoires en un seul, trouvé en Afrique qui aspire à la hauteur, rauque dans cette "raucité" emblématique de l'opus.La notion de métamorphose platonicienne, transformation perpétuelle y fait rage: on "pèche", on se réincarne sempiternellement dans des pulsions qui ne savent plus quelle forme prendre... L'animalité échappe à la percussion dont l'avenir serait bien l'informatique!
Avec ce dernier point, Hugues Dufourt définit en quelque sorte le contour de son projet : « L’esthétique récente a souvent pris l’entropie pour un principe libérateur, alors qu’elle ne faisait que consentir à la pulsion de mort et sombrer dans un univers anomique et dépressif. Le propre de la percussion est au contraire de tirer son pouvoir d’émergence de son exploration des profondeurs. »

  Minh-Tâm Nguyen, Alexandre Esperet, François Papirer, Thibaut Weber, Hsin-Hsuan Wu, Enrico Pedicone
 
 

Jeudi 9 février 2023, 20h
Théâtre de Hautepierre, Strasbourg 
 


1 commentaires:

Anonyme a dit…

Très touché ! Hugues Dufourt

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