lundi 20 février 2023

"La voix humaine": au bout du fil et sans filet. Patricia Petibon rivalise de talents, tragédienne de Poulenc en majesté.

 


« Allô ! C'est toi ?... On avait coupé... Non, non, j'attendais. On sonnait, je décrochais et il n'y avait personne... Sans doute... Bien sûr... Tu as sommeil ?... Tu es bon d'avoir téléphoné... » Scène ordinaire de la vie amoureuse : une femme tente de joindre l'homme qu'elle aime mais la ligne téléphonique est capricieuse ce soir. Derrière les non-dits et les platitudes échangées sur la journée de la veille, une autre histoire se dessine en filigrane. Celle d'une rupture douloureuse qui ne passe pas, d'un mal de vivre doublé d'un besoin éperdu d'affection. Une histoire sublimement banale qui porte en elle la voix d'une humanité blessée. Mais si l'on pouvait remonter le temps, les mêmes causes produiraient-elles les mêmes conséquences ?


Monodrame poignant et avant-gardiste de Jean Cocteau, La Voix humaine accède en 1959 au rang de tragédie lyrique grâce au génie musical de Francis Poulenc - il aura fallu quarante ans d'amitié pour que les deux artistes se rencontrent enfin autour d'une œuvre commune. La soprano Patricia Petibon relève le défi de ce seule-en-scène exigeant avec la complicité de la cheffe Ariane Matiakh. Elle retrouve pour l'occasion l'univers réaliste et la précision poétique de la metteuse en scène Katie Mitchell qui offre à ce drame un nouvel épilogue cinématographique, porté par une puissante composition symphonique de l'Islandaise Anna Thorvaldsdottir, où se mêlent souvenirs vécus et réalité alternative dans une réminiscence impossible.


Une femme et un téléphone. Il n’en fallait pas plus à Jean Cocteau
pour créer une tragédie du quotidien dans sa pièce de théâtre. Ce

monologue pour voix de soprano est servi par la musique expressive et

émotionnelle de Poulenc.

Patricia Petibon, soprano flamboyante, star d’aujourd’hui, revient

à l’OnR, où elle avait débuté en Sœur Constance dans
Dialogues des
Carmélites
en 1999. Elle retrouve Katie Mitchell, grande femme de
théâtre, avec qui elle a déjà travaillé sur
Alcina au Festival d’Aix-en-
Provence en 2015 et qui travaille pour la première fois à l’OnR.

Parmi les points saillants des choix de mise en scène, le monodrame

de 50 minutes est suivi d’une pièce symphonique contemporaine, liant

la partition de Poulenc à celle d’Anna Thorvaldsdottir, compositrice

islandaise acclamée par la critique.

Ce spectacle mêle théâtre et cinéma : un film raconte la suite de

l’histoire de la protagoniste de
La Voix humaine.
Dans la fosse, Ariane Matiakh dirige pour la première fois

l’Orchestre philharmonique de Strasbourg

Tout démarre en cinémascope et ce format demeurera tout au long du spectacle: un 16/9ème tout a fait adéquat pour une narration scénique forte et soulignée par cette "vitrine" allongée qui laisse supposer un "hors champ" magnétique...A l'écran, une femme rousse, cheveux ondoyants, de feu, flammes à la Jean Jacques Henner, incarnée par Patricia Petibon. Elle rentre chez elle, apeurée, inquiète, et parvient au seuil de son appartement, ferme la porte. Et l'on passe de l'autre coté du miroir. Le rideau se lève sur un décor d'appartement, de chambre cosy, bourgeoise, chaleureusement éclairée. En bleu et vert dominant. Dans un cadre toujours au format cinématographique, bordé de noir, cerclé, encerclant. Femme aux abois, sur "le fil" d'une histoire qu'elle déroule en aveux parcimonieux,parcellaires : un dialogue au départ qui démarre par le branchement à la standardiste, à d'autres interlocuteurs en ligne. C'est un téléphone "portable" anachronique par rapport au livret d'origine au combiné classique de l'époque. Un ordinateur aussi vient s’immiscer pour déjouer les espaces et les images de l'absent; celui qui est "à l'autre bout du fil". Ce fil qui relie ou qui "coupe" le dialogue. Et qui dématérialisé par le progrès, ce fait noeud et menace pour cette anti-héroïne. Seule, elle tente de nouer le contact, se fourvoie dans des "mensonges". Habillée encore d'un manteau et chaussée de baskets, peu à peu, elle se livre, s'égare, arpente le plateau, repousse des objets parsemés sur le sol qui trahissent un grand désordre intérieur. C'est en robe de chambre et pantoufles que le récit sourd peu à peu, dramatique sur les lèvres.Par la voix de la chanteuse qui se donne corps et âme à ce personnage troublé, troublante figure féminine de la soumission, de la pudeur, de fautive âme impure ce cette liaison. Avec un homme lointain que l'on ne connaitra jamais, fantôme de ses angoisses, de sa tentative de suicide qu'elle raconte à ce téléphone sans fil qui la relie à de l'abstrait.Victime consentante, elle se fait petite et courbée, douce et susurrante ou animée de folie virulente Elle perd pied, range tout ce qui "traine" dans un sac qui contiendra tous ses malheurs, ses doutes, ses angoisses.La musique est comme un partenaire qui lui répond, la soutient ou la contredit C'est elle, personnage à part entière qui dialogue avec notre héroïne.et l'accompagne avec ferveur et bienveillance. Le drame approche, les lumières s'éteignent alors que l'actrice cantatrice incarne avec brio et mesure ce personnage envahi de désespoir. Elle ouvre la fenêtre de ce huis clos tyrannique et l'on songe au pire. Songe qui s'avère réalité car la suite "inventée" de ce drame sera à nouveau images, icônes sur l'écran virtuel de cinéma. Rêve ou cauchemar d'une femme retrouvée couchée au sol qui semble renaitre grâce à l'artifice de la "marche arrière" du temps du dé-roulement des images...C'est poignant et inquiétant, redoutable artifice scénique que ce chien omniprésent dans ses rêves au ralenti. Les marches qu'elle gravit ou descend comme des épreuves physiques à surmonter au sortir d'un tunnel au bord du fleuve...Patricia Petibon fait encore ici preuve d'un talent inouï, autant vocal que théâtral et campe une femme désœuvrée très contemporaine, à l'affut du moindre signe de manifestation amoureuse de son téléphone. Addiction ou refuge à distance pour un amour impossible. La mise en scène lui offrant un espace de liberté d'interprétation à la mesure de l'intelligence de sa compréhension du rôle.

 

 Distribution

Direction musicale Ariane Matiakh Mise en scène Katie Mitchell Décors Alex Eales Costumes Sussie Juhlin-Wallén Lumières Bethany Gupwell Réalisateur vidéo Grant Gee Orchestre philharmonique de Strasbourg

Les Artistes

La Voix humaine

Francis Poulenc / Anna Thorvaldsdottir


Nouvelle production de l’Opéra national du Rhin.

La Voix humaine.
Tragédie lyrique en un acte de Francis Poulenc
d’après un monologue du même nom écrit par Jean Cocteau.
Créée le 6 février 1959 à la Salle Favart à Paris.

Aeriality.
Pièce orchestrale d’Anna Thorvaldsdottir.
Commande de l’Orchestre symphonique d’Islande.
Créée le 24 novembre 2011 à la Salle Harpa à Reykjavik


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