samedi 11 février 2023

"Zugzwang": les murs murmurent, les tapis se rient de tant de chausse-trappe, de trous, de failles architectoniques: une galaxie, accessoire en diable!

 


Après Optraken en 2019, le Galactik Ensemble poursuit son travail sur le rapport de l’homme à son environnement dans une aventure joyeuse et débridée. 


Dans le vocabulaire des échecs, le zugzwang désigne une situation dans laquelle le joueur est contraint de réaliser un coup qui va affaiblir sa position. Une belle métaphore pour dire ces moments où ce ne sont pas les corps qui habitent et aménagent l’espace, mais bien l’espace qui mène sa vie propre et contraint les corps au mouvement. Tel est le monde farfelu de Zugzwang : les tables vacillent, les tapis glissent, les murs s’affaissent, les pots de fleurs tombent. Sans cesse il faut s’accrocher, se déplacer, s’adapter. Le risque du déséquilibre est un état permanent. Un nouveau lieu prend forme, une situation se met en place, une histoire commence à s’écrire et déjà s’interrompt pour reprendre, peut-être, plus tard. Dans cet espace aux multiples vies, les corps des cinq circassiens, avec humour, se meuvent tant bien que mal et tentent de trouver l’équilibre là où la fragilité est la règle."Zugzwang"

Entrée en matière où d'emblée les dés sont joués: ambiance absurde, débridée dans une "stube" surannée au gout douteux et kitsch, tapisserie et tapis de mise, tableau, cadre suspendu. De tous ces objets vont naitre des personnages animés: une nappe devient suaire à carreaux écossais, un tapis, tanière de bestiole rampante, une lampe, un projecteur baladeur inquisiteur...Cinq escogriffes style Pieds Nickelés s'ébattent, épris d'une danse de Saint Guy contagieuse. Les chaises sont molles et flexibles à la Dali, les tables démontables à loisirs comme un mobilier à la George Brecht, improbable ustensile accessoire à tiroir, objet détourné. Ou objets introuvables de Jacques Carelman. Tout se brise, se casse dans de grands fracas, fatras sur scène et en coulisse. Un tremblement de terre au lointain comme oiseau de mauvaise augure. C'est un peu "Alice au pays des Merveilles" que ce damier de jeu d'échec, manipulé par des démiurges, Man Ray et  Marcel Duchamp... Doublé de références à "Entrac'te" de René Clair où tout bascule en déséquilibre invraisemblable, surréaliste .


La musique remaniée de "Tombe la neige" en prime comme fond sonore. Un passe-muraille étonnant brise à l'envi les parois des murs et ces être dits hydrocéphales, de crâner, de survivre, de surnager de ce chaos joyeux. Un solo de circassien en prime à la Wim Vandekeybus pour déboussoler. Des corps tronqués sortent des panneaux à la Robert Gober . Le processus de création s'avère couler de source quand les cinq ostrogoths tanguent à la vue d'un des leurs qui tente de suspendre droit un cadre au mur. Ça oscille, tangue, se déplace aux orientations à vue de celui qui va taper avec son marteau, le coup fatal dans le mur au bon "endroit". Inclinaisons des corps penchants, niveaux d'architectes et "maitres à danser", "mètres à danser" pour toiser tout ce petit monde métamorphique. "Suivez le guide" semble nous murmurer le chorégraphe improvisé... 


C'est grand-guignolesque, comique, burlesque, grotesque en diable et l'on se régale, se réjouit de toutes ces tentatives de survie déglinguée, cabossée, toute en couleurs chamarrées comme les costumes de chacun. Un trou dans le mur, et c'est l'effondrement de gravas puis l'évasion de ces taulards de service qui tenteront plus tard de réintégrer leur geôle avec force difficultés à réintégrer l'autre côté du miroir. Un beau duo au sol de deux des protagonistes, un tapis qui marche et évolue à son gré, voici venir "la fin de partie" à la Beckett de cet échec et mat , thématique sous-jacente de la pièce montée de toute part. Encore un radeau de la Méduse qui se dérobe et laisse son équipage au port d'attache, un toboggan périlleux ou chacun tout en blanc se risque à des glissades, sauts et pirouettes de génie. Danger au poing qui vous tient en haleine, à leur risque et péril. La tour prend garde à cette diagonale du fou où les pions échappent au sort, où roi et reine sont détrônés au profit d'une joyeuse zizanie contagieuse. Au générique de fin, on sort de ce "cinéma" ravis et comblés, choyés par tant de malice et d'ingéniosité. Chaplin et sa baraque sortie tout droit de "La ruée vers l'or" aurait apprécié ce pastiche kiné-matographique à la Robert le Diable.

Au Maillon jusqu'au 11 Février

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