dimanche 23 juin 2024

(L) Autre: je n'est pas un autre....Les jeux sont faits, carte sur table...

 


MAMCS - Musée d'Art Moderne et Contemporain le 23 JUIN 15H

Après sa création au festival Music Current à Dublin et avant de débarquer au Sound Festival en Écosse, lovemusic présente (L) AUTRE au Musée d'Art Moderne et Contemporain de Strasbourg.
Puisant ses inspirations de diverses sources telles que la télévision, le trolling en ligne, la théorie académique et la littérature, (L) AUTRE juxtapose des éclats de colère intenses avec des prédictions mystérieuses d'un voyant incompétent. Pendant ce temps, David Patrick Kelley manie un jeu de cartes tandis qu'une flûte basse est accompagnée de deux voix mystérieuses en arrière-plan.
Dans ce nouveau projet, lovemusic explore le concept de l'altérité - l'état d'être différent et étranger à son identité, étiquetant les individus comme subordonnés et les excluant des normes sociales. Le point de départ de ce projet a été une collaboration avec Sasha Blondeau sur une nouvelle œuvre Autres inapproprié•es, qui fait partie de leur nouveau cycle de travaux "Devenir|s mutant es". En référence à la théorie de Trinh Minh-ha et au concept du Cyborg de Donna Haraway, cette nouvelle œuvre questionne l'identité et la différence. Les œuvres de Neil Luck, Ann Cleare et Bára Gísladóttir explorent des thèmes allant de la représentation aux méditations sur soi et le pouvoir de l'anonymat, tandis que The Hyacinth Garden de Finbar Hosie, à travers des vignettes de The Waste Land de T.S. Eliot, explore la désillusion dans la société dans laquelle nous vivons. 
 

Dans l'Auditorium du MAMCS, c'est la rencontre avec lovemusic que l'on attend: toujours innovante, surprenante, inédite. Un éclairage sur "la transition"et ses processus humains et sonores en introduction de Adam Starke pour éclairer notre lecture de ce programme riche en "différences" et autres formes d'identité et altérité tant menacées de nos jours...
 
Plein feu sur le sujet avec l'apparition de bruits de pas, de crissements joyeux de grillons nocturnes...C'est avec la pièce citée que tout démarre:
de Finbar Hosie • The Hyacinth Garden* • performer, clarinet, viola, e-guitar, electronics and lights (2023)
Quatre petites lampes de chevet comme éclairage intimiste, des sons en ratures, stridences, pincements des cordes, chuchotements de voix: du vrai gribouillage, crayonnage ou coloriage sonore, esquisse à la patte picturale des traits de Cy Twombly . Ca grince, ça s’essouffle, alors qu'un officiant, templier ou devin en chasuble, cartomancier ou voyant, murmure et fait ses plans. Fracas, puis silence pour ce prédicateur de l'apocalypse, espoir ou fin du monde pour celui qui ne resterait pas vigilant face aux remous du monde. De la musique savante sachant mettre le doigt là où ça impacte.

Ann Cleare • eyam iii (if it’s living somewhere outside of you) • bass flute & shadow instruments (2015) :la pièce suivante voit apparaitre Emiliano Gavito, en noir et pantalon doré, silhouette se découpant sur le fond d'images vidéo de nuages passagers sur le ciel bleu. Ils défilent comme les sons de son instrument, soliste, sirène prolongée, amplifiée, entre voix et émission de souffle, interrompu, rallongé en extension spatiales: comme un bourdonnement, une plainte.Crachin et postillon, vols d'insectes en bouche, en boucles obsédantes. Danse et volutes, le son tourne, percute l'espace, se fraye un chemin discret jusqu'à nos oreilles.

Suit, de Bára Gísladóttir • Rage against reply guy, • bass clarinet, violin, cello, e-guitar and electronics (2021)
Des flashs lumineux, une ambiance de fond aquatique et tous sont habillés de noir et tissus mordorés, scintillants:les images vidéo passagères, floues sèment l'atmosphère de furtif, d'éphémère. L'ambiance est lascive en longues phrases musicales. La brutalité, dureté de la guitare, blesse et tranche. Irruption inopinée pour une prochaine cacophonie organisée au flux agressif continu.Les cordes apaisent un instant puis c'est la reprise du chaos déchirant: déflagrations, bouleversements tectoniques à l'appui.
 
L'oeuvre de Sasha Blondeau • Autres inapproprié•es* • flute, clarinet, viola, cello, e-guitar and electronics (2024) s’enchevêtre sans interruption, un appel du saxophone désespéré au diapason de cette évocation de "distinction de soi et de l'autre", position à tenir pour instaurer l'écoute des différences. La bande son très riche défile et cloches et prairies surgissent de ce paysage sonore hors norme
 
Au final, de Neil Luck • Deepy Kaye • performer, viola, cello and video (2018) prend la forme d'un discours, prêche tonique de Emiliano Gavito: conteur qui pose carte sur table, en accord avec les gestes des images vidéo projetées simultanément. Du beau travail synchrone, en cadence, bordant les mains directionnelles à l'écran qui semblent désigner, monter. L'accélération des propos, le jeu de pile ou face de pièces lancées au hasard sur l'écran, fait mouche et touche. Les jeux sont faits? La virulence de l'attitude du porteur de mégaphone en fait un "happy end" percutant, chargé de réflexions sur l'audace d'être soi en ces temps de ségrégation et de "distanciation sociale"...
 
Ce concert éclairant, magistralement interprété par le collectif lovemusic est déterminant et grave, plein de lisibilité poétique autant que politique: celle qui se niche en filigrane entre les portées et notations musicales. Pas de "bécarre" ici mais beaucoup de dièse et d'énergie, de tectonique, d'icônes fugaces, de cartomancie et de hasard qui comme un coup de dés jamais n'abolira la vie.
 
* commissioned by lovemusic, premiere
lovemusic
Emiliano Gavito, flute/performer
Adam Starke, clarinet
Emily Yabe, violin/viola
Lola Malique, cello
Christian Lozano Sedano, e-guitar
Finbar Hosie, electronics

mercredi 19 juin 2024

"Médée poème enragé": engagé....Orpailleuse de toison, médusante Médée, monstre ou femme adulée....

 


Médée Poème Enragé :

Médée aime Jason et ira jusqu’à tuer sa propre famille pour lui permettre de s’emparer de la toison d’or. La radicalité de son amour pour lui – lui qui finira par la trahir – l’amènera à commettre un acte tout aussi radical : tuer ses propres enfants. Jean-René Lemoine nous livre ici une version contemporaine éminemment puissante du mythe de Médée. Il y est question de Médée la « barbare », Médée l’« étrangère » ; de celle qui se fera esclave de Jason, qui se révoltera contre son joug, qui se délivrera de la soumission où elle se tenait prisonnière. Ce mythe ne nous parle-t-il pas fondamentalement de ce que sont les féminismes ?

photo robert becker

Allongé au sol, il-elle gît couverte de son manteau, enveloppe de toile, dos à nous, le crane rasé ou tondu...Une longue robe comme vêtement, soyeuse, brillante, des chaussures à talons ouvertes. Femme, homme, hybride ou androgyne. C'est sans doute à une autre Médée que l'on va se heurter, se confronter ou faire communion. Les paroles sourdent de ses lèvres par le truchement d'un micro amplificateur de son vibrant. Sa voix se fait naturelle à travers un texte d'une grande richesse linguistique, au phrasé recherché, au vocabulaire déferlant. 

photo robert becker

D'emblée l'empathie se déclenche, un processus de complicité étrange se met en place grâce à la proximité que le public entretient de fait avec le comédien. .A l'intérieur d'une cave, sous la voute, rassemblé en U, il vibre dans la tension qui s'installe. Tension des propos et de leur crudité, leur cruauté ou au contraire de leur tendresse.Le personnage est évoqué par toutes ses facette, ses relations avec Jason, son frère, ses enfants qui jalonnent le récit, précis, fébrile, envoutant. Parfois médusée, figée, tantôt alanguie dans des postures suggérant les propos érotiques ou orgiaques , Médée pétrifie, asphyxie, déconcerte mais passionne l'auditoire. Longue silhouette enveloppée de satin de soie plissé, sculpture vivante et mouvante, les yeux animés, vifs, virulents, interrogateurs...


Grâce au jeu très subtil et dosé de Simon Vincent, parfait être androgyne, lisse ou plein de plis et replis de sa robe fanée ou en plissés d'amour. Car c'est d'amour fou et passionné dont il s'agit en ces temps et lieux inondés par un texte proféré pudiquement ou rageusement selon les épisodes de la pièce. Monologue rempli de paysages, d'images très cinématographiques qui lancent et propulsent le spectateur dans des sphères sensibles.On "rembobine", on "accélère" le temps et la course des séquences comme un projectionniste en cabine.Paysages sonores d'ambiance, plage, oiseaux, cris d'enfant comme écrin d'évasion et d'espace mental. Loin des clichés picturaux de Méduse ou autre Gorgones mythiques aux vertus pétrifiantes, notre Médée, humaine, féministe, cruelle et maternelle se livre comme une sacrifiée du destin mais résistante et vindicative. Elle fait "cuire l'oncle, tue sa rivalise, sorcière maléfique mais terrassée par les vendanges tardives de l'amour-fou. Sexe cru et scènes de copulations fort bien évoquées par la plume de l'auteur, lui-même "enragé", épris du personnage.Dans "des nuits de satin blanc" ou des intrusions musicales d'opéras dramatiques, emprunts discrets à Tosca et Tristan et Isolde, le comédien navigue et part à l'assaut de cette furie hors norme qui tient autant de la tendre mère que de la criminelle acharnée.

Un personnage à redécouvrir dans la syntaxe de Jean -René Lemoine qui s'attelle à la tache de ressusciter celle qu'on ne connait que par tranche de vie. Par Corneille entre autre auteur. Dans ce décor nu de cave, mur blanc, escalier en marche comme des reposoirs pour notre anti-héros, objet de cet opus singulier dont la mise en espace d'Hélène Schwaller affirme l'existence charnelle. Attractive, envoutante interprétation d'un comédien taillé pour le rôle, sur le fil, dans le déséquilibre permanent, monté sur ses chaussures à talons, échasses vers le ciel. Un moment de théâtre de chambre, d’alcôve qui fait éclater bien des préjugés et autres considérations au sujet de cette mythologie qui ne cesse de nourrir notre appréhension du présent, de l'actualité. Une pièce souterraine autant que sous-marine au pays des dieux qui nous hantent encore.

photo robert becker

de Jean-René Lemoine, mise en scène Hélène Schwaller, avec Simon Vincent. 

Festival de caves – Théâtre Souterrain à strasbourg le 19 JUIN

 

vendredi 14 juin 2024

"Unruhe", Nolwenn Peterschmitt / Groupe Crisis: le bal des gueux, déboussolé, désorienté, déséquilibré, aliéné...

 


En 1518, une étrange fièvre s’empara de la ville de Strasbourg. Plusieurs centaines d’habitant·e·s furent, en un instant, saisi·e·s d’une maladie qui les poussa pendant plusieurs jours à des mouvements incontrôlés, à une frénésie gestuelle incohérente. Ce que l’on a appelé par la suite la danse de Saint-Guy est au cœur du projet de Nolwenn Peterschmitt, elle-même alsacienne. Que dit l’existence d’une telle manifestation de notre rapport au corps et à l’espace ? Peut-être que, si doué de raison que soit l’humain, il restera une part irréductible de lui-même qui échappera toujours à son contrôle.
 

Au Moyen Âge, chants, danses, rites collectifs, païens et sauvages, ponctuaient l’existence individuelle et collective et contribuaient à souder la communauté. Quelque sept siècles après cette énigme, qu’en est-il de notre besoin de faire groupe, de notre volonté de réinvestir, par la fête et le dérèglement, les espaces publics ? Avec dix interprètes, sur une bande-son où se rejoignent la musique modale médiévale et les tonalités électroniques d’aujourd’hui, la chorégraphe explore tant notre besoin de rites que notre capacité à accepter l’étrange, à dépasser la norme.

Le public est invité au rendez-vous déjà insolite: le terreplein du Hall Rhénus! A quel sport de haut niveau allons-nous assister, tous rangés en ligne sur les marches du parking extérieur...Une jeune femme nous somme de quitter les lieux pour l'écouter conter l'histoire fameuse et fumeuse de la danse des fous de Strasbourg.On l"écoute, en cercle puis elle nous invite à déambuler en toute liberté sur le tarmac d'où l'on va surement décoller. Puis déjà animée de symptômes divergents de dérangement, la voilà qui nous guide en hurlant et courant vers le bâtiment officiel du Maillon. On y pénètre avec curiosité. La grande salle est transformée: plus de gradinage mais une aire de jeu vide, immense, toute noire. A nous de l'investir, marche, démarche collective, participative, incitée par des "barons", meneurs de jeu qui se détachent du public: danse tout azimut comme des Belzebuth de circonstance. 


Le diable va bientôt s'emparer de ces danseurs qui s'improvisent acteurs de cette grande messe, sabbat de sorcière dans des rondes, courses folles, tunnels et autres chenilles, figures collectives et participatives. On se prend au jeu de ces danses folles, histoire de revivre le phénomène d'emprise collective de l'époque évoquée. Ça marche, ça fonctionne grâce au talent de la troupe qui sans forcer la main, provoque la participation de beaucoup d'entre les spectateurs. On peut aussi s'extraire sagement pour adopter un poste d'observation, tant cette foule en délire est fascinante dans son ébranlement spontané. Jouer le jeu sans contrainte et avec plaisir: bouger jusqu'à la transe, hypnotisé par une musique répétitive et omniprésente, envoutante. Le jeu se calme pour laisser place aux artistes au sein du rond de sorcière, arène rêvée pour être observé. Danse de fous qui peu à peu se transforme en hypnose, possession incontrôlée. Assujettis au dérangement, à l'aliénation. Simulation de gestes incontrôlés, de démence, compulsions, soubresauts,les danseurs se vêtissent d'oripeaux dans cette cour des miracles. 


Jerôme Bosch et Brueghel veillent au grain et l'ergot de seigle fait son travail. Jardin des délices ou enfer ou jugement dernier? Une idole se façonne par ses adeptes, affublée de tissus et autres pelures bigarrées.Sur des chaussures-échasses, cette créature chemine au ralenti et semble marotte, totem ou égérie adorée, adulée par la tribu en émoi. Du Charles Fréger, assurément !
 
charles freger

 Petit peuple pasolinien, apollinien, déséquilibré qui bientôt opère une transformation, transmute en horde sauvage, meute animale mal léchée, débridée, animée de désordre mental. Irrespectueuse des lois de la bienséance.On roule, se bouscule, se chevauche sur ce plateau immense. Aux contours délimités de cendres comme pour un futur bucher où brûler les mauvais esprits de sorcellerie. On est bien au pays des fous qui dans une orgie simulée se dévêtissent à l'envi et ruent de plaisir, hurle "ferme ta gueule" pour que tout cela cesse. Charivari, cavalcade et autre carnaval pour rendre vivant ce pan de l'histoire de la Danse de Saint Guy: maladie, ou fantasme, pas de réponse ici. Seule une interprétation singulière et originale, mise en espace et en forme par un collectif de choc, animé d'une énergie compulsive, boulimique, contagieuse en diable. Lucifer aux commandes. L'une d'entre eux s'écroule épuisée, affolée après un solo débridé puis est transportée en cortège funèbre: émotion et rituel sidérant plein de recueillement.On copule,culbute, se renifle comme des bêtes en rut.Sans autre forme de convention ni pudeur.Tout se  calme dans de belles lumières et des faisceaux bordent une sculpture vivante qui se fond peu à peu dans l'obscurité. Le bal est terminé. Les corps épuisés se rendent et se soumettent à la loi de la perte des sens et à l'absurdité de cet épisode encore énigmatique et inquiétant. Des "intranquilles", unruhig" et indisciplinés pour mieux perdre ses repères et vivre une expérience de spectateurs-acteurs, insolite...

"Dansez, dansez" disait Pina Bausch..."sinon nous sommes perdus"...On songe au roman de Marie Frering "Les souliers rouges": guerre des paysans et folie collective de cette autrice proche du Bastberg, colline aux sorcières mythique en Alsace....

danse France COPRODUCTION MAILLON

  Au Maillon  13 juin 2024  14 juin 2024 21:00

  • On se souvient aussi de la "danse des fous, fous de danse" initiée par Mark Tompkins et Degadézo lors de l'exposition: "1518: la fièvre de la danse"en 2018 à Strasbourg au musée de l'oeuvre notre dame

  • pour l'histoie...

https://www.rue89strasbourg.com/strasbourg-epidemie-de-danse-de-1518-143726

 

 

mercredi 12 juin 2024

"Norma" : divine idole lunaire, hors Norme. Plaque tournante des mélodies d'opéras les plus lyriques..

 


Norma
Vincenzo Bellini Nouvelle production de l’OnR.


Opéra en deux actes.
Livret de Felice Romani.
Créé le 26 décembre 1831 à Teatro alla Scala de Milan.


Alors que la lune est déjà haute dans le ciel, une foule d’adorateurs bruisse de mille rumeurs. Celle qu’ils attendent avec tant d’impatience viendra-t-elle exercer devant eux son art mystérieux ? Certains en doutent, d’autres guettent fébrilement son apparition. Enfin, le silence se fait et leur idole s’avance à leur rencontre pour se prêter au culte ancestral, les yeux fermés et les bras croisés sur une parure sublime. Le temps semble suspendu à ses lèvres qui forment sur son visage impénétrable un sourire énigmatique. Le miracle tant désiré se produit : sa voix d’or s’élève dans le plus grand des recueillements pour entonner son hymne éternel, « Casta Diva », dédié à la déesse lunaire. Derrière cette assurance sans faille se dissimulent pourtant les blessures d’une femme trahie dans son amour et lasse de son sacerdoce.


De tous les rôles du bel canto romantique, celui de Norma est réputé comme l’un des plus exigeants, nécessitant de la part de son interprète des qualités exceptionnelles. Délaissé au début du XXe siècle, c’est Maria Callas qui le sort de son oubli relatif et fait de sa cavatine un air signature, allant jusqu’à proclamer : « Bellini a composé
Norma pour moi. » Depuis, les plus grandes interprètes s’en sont emparées. C’est au tour de Karine Deshayes de perpétuer cet héritage dans un nouveau spectacle de Marie-Eve Signeyrole dirigé par Andrea Sanguineti.

De la Callas, il sera question tout au long de cette adaptation audacieuse du livret de Norma. Qui est le clone de qui? Callas faite Norma pour la postérité, la légende et l'éternité! La difficulté d'être soi-même pour une icône de la voix, du belcanto, de l'opéra.L'orchestre introduit l'action, les intrigues et autres rebonds d'une histoire singulière. Entre Gaulois et Romains, ce village d'Astérix redonde d'images de mise en scène qui glisse d'un espace à un autre grâce à cette mythique scène tournante, ici surexploitée. Quatre espaces où les personnages vont et viennent, se glissent à travers le miroir et nous guident dans les méandres physiques et psychologiques de Norma, figure et idole adulée. Mais oh combien humaine et troublante. Le morceau de bravoure, ce "Casta Diva" qui habite plus d'un mélomane, file sans heurt. Karine Deshayes incarne cette femme de légende avec aisance, noblesse et respect. Sa voix puissante autant que modulée en fait une passeuse d'émotions, de grandeur: entre pudeur et folie meurtrière et destructrice. Face à elle dans un duo extraordinaire, Adalgisa, Benedetta Torre rivalise de charme et de technicité vocale, prouesse et vertige des aigus, densité et rondeur des vocalises, fuite des mélodies savantes. Une caractéristique des opéras de Bellini, entre récitatifs et chant lyrique.Le destin fait traverser des lieux incongrus aux personnages qui passent d'un lieu à l'autre, la scène tournante, comme un livre dont on feuillette les pages en les tournant.


Des images vidéo au dessus des têtes pour troubler l'espace, les dimensions entre réalité, fantasme, mémoire et fiction. Callas nous livre des propos épistolaires scellés sur l'écran, alors que Norma se débat avec sa destinée.Décor et costumes plutôt sombres, contemporains ou échappés d'une époque révolue. Noir, c'est noir pour cette égérie de l'Opéra, cette oeuvre que l'on rencontre ici avec bonheur et intérêt. Les hommes de l'histoire, Pollione, Norman Reinhardt et Oroveso, Onay Kose comme de véritables partenaires de plateau pour ces deux divas de la tragédie. L'orchestre et le choeur en osmose avec la narration musicale, puissante et très présente, ornement de poids de cet opéra fétiche. Les histoires s'entremêlent, Callas et son environnement social et artistique se fondant avec les héros de l'opus. Une position, proposition originale de la metteure en scène, radicale, Marie Eve Signeyrole qui peut se défendre pour aboutir à une complexité étrange. Un spectacle qui tient de la prouesse vocale assumée, à la tourne inévitable de destins qui font "révolution", retour éternel et répétition des affres de la vie agitée de ces figures de proue de l'Opéra. Cap sur l'actualité de l'époque de la Callas, obnubilée et prisonnière de son image, fatal déclin et descente aux enfers en filigrane.

 


Distribution

Direction musicale Andrea Sanguineti Mise en scène et conception vidéo Marie-Eve Signeyrole Décors et costumes Fabien Teigné Dramaturgie Louis Geisler Lumières Philippe Berthomé Vidéo Artis Dzerve Chef de Chœur de l’Opéra national du Rhin Hendrik Haas Chœur de l’Opéra national du Rhin, Orchestre symphonique de Mulhouse

Les Artistes

Norma Karine Deshayes Adalgisa Benedetta Torre Pollione Norman Reinhardt Oroveso Önay Köse Clotilde Camille Bauer Flavio Jean Miannay

 photos klara beck

 A' l'Opéra du Rhin jusqu'au 20 juin

lundi 10 juin 2024

"S'approcher": Exposition de Véronique Boyer - S'apprivoiser, se cotoyer, se taire....Et dessiner, peindre l'indicible.

Cette exposition au cloître nord de la chartreuse de Molsheim, rappelle la présence des pères et frères Chartreux durant presque deux siècles de 1598 à 1792. Discerner, éprouver, questionner, s’approcher, seraient au plus près de la démarche de Véronique Boyer. 

Dans le cloitre Nord de la Chartreuse de Molsheim, l'artiste peintre met en scène deux toiles qu'elle affectionne de part leur force, présence et radicalité esthétique. Face à face dans la perspective question/ réponse de cette partie retranchée et close du cloitre resplendissant, elles parlent et questionnent l'espace: distanciation pour un rapprochement possible, timide, sacré, respectueux des distances. Comme un miroir que l'on pourrait franchir. L'une suspendue, teintée de jaune, parcelles ou déchirures en collage comme des débris, des parcelles de ciel étoilé, fragiles, fragmentées.
 
 L’éblouissement de St Paul sur le chemin de Damas nous fait entrer dans le mystère d’une présence/absence. Paul est projeté à terre, environné de lumière. Il se relève du sol, et, les yeux ouverts, il ne vit rien. Commentant ce passage, Maître Eckhart dit : « Or ce rien, ce néant, était Dieu. » (Sermon 71). 
 
Chute d'un corps en miette, brisé, au sol, gisant et prêt à rebondir pour mieux s'élever à nouveau.L'autre ouvre comme un chemin de table, étendu, qui se déroule sur son socle, vague déferlante jusqu'au sol. Sans fin, roulée à l'envi cachant quelques secrets, quelques mystères indicibles. Flux et reflux de part et d'autre de cette salle, couloir, sentier, chemin à défricher, à déchiffrer. Et sur les murs de part et d'autres des figures géométriques, comme des stations de chemin de croix, sensibles traces de mémoire, strictes, concentrées. De teintes grises, sobres, discrètes comme s'effaçant devant le silence et le recueillement. Se taire et laisser vibrer les résonances, les échos que cette peinture lyrique laisse sourdre de ses accents toniques. Une partition simple emplie de sonorités qui résonnent dans ce couloir étroit où le son s'engouffre et vient percuter les murs. 
 
Une exposition qui s'organise judicieusement dans cet espace singulier, aire de jeu et de chant, de danse et de pas directionnels. Ce sera l'objet de performances dans le cadre des journées du Patrimoine,
 
 le DIMANCHE 22 SEPTEMBRE à 15H/ 16H et 17H, interprétées par Geneviève Charras, performeuse, charivarieuse.
 

2 Peintures 225 X 160, monotypes et encres

 Jusqu'au 15 Octobre dans le cadre de Chemins d'Art Sacré en Alsace Cloitre de la chartreuse de molsheim

 


Véronique Boyer vit et travaille à Strasbourg. Après une maitrise d’Arts plastiques à l’Université de Strasbourg, elle suit des cours de gravure à la HEAR (Haute école des arts du Rhin). Cet art graphique a beaucoup influencé son travail. La poésie et la littérature accompagnent sa recherche. Elle expose en France et en Allemagne.Elle a fait de nombreuses interventions au Musée d’art moderne et contemporain de Strasbourg ainsi qu’à la HEAR. Collaboration avec Arte en 1994.Cette artiste a souvent travaillé auprès de populations marginales.La création d’un atelier à la maison d’arrêt de Strasbourg, service de psychiatrie, fut une expérience très enrichissante. Elle y intervient pendant 18 ans.

« A travers les fragilités se révèlent de grandes forces. Seules les failles laissent passer le souffle », dit-elle.

pour mémoire.....

https://genevieve-charras.blogspot.com/2023/09/veronique-con-carnet-une-exposition-de.html




"Un songe, une nuit, l'été": j'ai fait un rêve...Shakespeare découronné , déculotté dans la Vallée de la Faveur menacée...

 


"Un songe, une nuit, l'été"

Que le premier que tu verras
Ane, chien, orvet ou belette,
Ours, tigre ou cancrelas,
T'ensorcèle le coeur et la tête
Et les sens les moins exercés
Comme les plus perfectionnés.
Joli programme .... Shakespeare, notre contemporain
 
"les vents nous ont amené des brouillards malsains et des pluies violentes qui ont frappé de démences les plus humbles rivières. La confusion et le trouble règnent. La lune bouleverse les mers. Le travail des champs est anéanti. Le blé pourrit avant de mûrir. La boue et les herbes recouvrent tout. Les saisons ont changé leurs habits. Les mortels ne savent plus comment se vêtir, les rhumatismes pullulent et les poètes ne peuvent que célébrer une cacophonie de météores" Tout ça c'est la faute a Titania Obéron qui se font la gueule il parait... Mais nous on s'en fiche. On jouera quoi qu'il advienne !"
 

 Quand Shakespeare prend ses quartiers d'été, on songe avec bonheur à un théâtre de plein air, peuplé de fées, de chimères, de sorcières...Et voici le grand Sabbat épaulé par la compagnie du Matamore: un sabbat à la Goya sans nul doute mais plein de verve, d'humour et de distanciation! 
 

Par un beau soir de printemps, nous voici jetés et projetés après l'apéritif de bienvenue offert par les hôtes du site du Guensthal dans une odyssée truculente des pérégrinations d'un petit peuple bigarré et chatoyant. Les présentations sont de bon ton et ouvrent le chemin aux futures intrigues et rebondissements. Dans la prairie, un cercle magique, rond de sorcières où les chapeaux des bonnes ou mauvaises fées seront champignons hallucinogènes et autres fabuleuses images d'Epinal. Imagerie Wentzel du musée proche de Westercamp à Wissembourg...
 

Deux couples amoureux qui rêvent d'être au diapason alors qu'ils ne s'aiment pas seront dirigés et contraints par les autorités parentales et royales. De quoi alimenter les coups de théâtre, les empoisonnements ou autres hypnotiseurs de fortune. Un personnage clef, phare des embrouilles et autres quiproquos sera responsable de ce charivari, ces imbroglios magiques.Un fou qui fait des diagonales et hante ce petit monde sensible, humain, désopilant. C'est Yann Siptrott qui s'y colle avec malice et truculence comme un diablotin, électron libre qui flatte, interroge et solutionne tous les problèmes liés à l'existence de ces treize personnages fameux. Face à son maitre, il virevolte, esquive, ment et détourne pour mieux faire régner la zizanie dans le rétro! On suit avec délectation les faits et gestes de cette tribu, au sein de ce manège, arène bucolique auréolée de petites lucioles de lumière au crépuscule du soir. Ambiance de clairière aux fées garantie.Théâtre "forestier" affuté, futé, inventé par ses deux protagonistes, Serge Lipszyc en Bottom et Yann Siptrott,en Puck également impliqués dans le jeu et la mise en espace.
 

Leurs compères et complices de cette farce rocambolesque, tous plus intuitifs et glorieux les uns que les autres: Magalie Ehlinger, Helena, en pleine forme, pleine voix ainsi que sa rivale amoureuse ravie ou trahie, Hermia-Emma Massaux-, forte personnalité dramatique.
Charles Leckler – Lysandre (Jeune Athénien),charmeur et charmant,Geoffrey Goudeau – Démétrius (Jeune Athénien), ferme et déterminé. Que de destins indescriptibles et attachants que l'on suit avec empathie et beaucoup d’intérêt  solidaire. Grace à la magie du lieu qui fait rêver et "songer" avec beaucoup d'incarnation des rôles, à cette nuit shakespearienne de toute intensité.  On se prend les pattes dans les étoiles d'araignées, on rit et sourit face aux déboires et désespoirs des uns et des autres. Les costumes de Maya Thébault épousant tous les personnages: du "bleu de travail" très pastel et tendre de la troupe de théâtre invitée aux noces des amants contrariés, aux froufrous aguichants des mêmes héros de pacotille lors d'une représentation très "nanar" d'une comédie désuète et naïve. La mise en abime du théâtre dans le théâtre pour mieux nous troubler et nous renvoyer à une mythologie de demi-dieux bien charnels et joueurs...Car il y a du sentiment, du grotesque, de l’appuyé dans le jeu de tous qui rivalisent de punch, de tonus.Les courses folles et autres échappées belles des amants torses nus dans la prairie lointaine sont croustillantes...La mise en espace jouant sur les profondeurs de champs, la petite estrade derrière laquelle apparaissent et disparaissent les personnages comme dans un jeu de guignol burlesque. Du bon, du beau pour ce spectacle estival généreux, inventif et captivant: un rêve éveillé au pays de l'impossible bonheur et de la réconciliation. 
 
sophie thomann: le mur

Entracte autour d'une bonne potée, goulasch concocté par les patrons Sonia et Georges Flaig de chez Anthon à Obersteinbach: les nourritures terrestres à portée de bol collector signés Siptrott et de bonnes petites pyramides de fromage caprin. Une expérience théâtrale hors norme, une compagnie qui nous ressemble, fédérée, partageuse et joviale. "Cum panis"-en bonne compagnie- pour rompre la monotonie et déguster sans modération dans une riche adaptation, didascalies incluses, le patrimoine théâtral "classique" qui a bien de la réalité et de la diversité, de l'impertinence autant que de la pertinence. Du culot, du suspens, de la cadence, du chant choral a cappella pour dérider un public ravi et conquis par cette version du "Songe d'une nuit d'été"....Et l'on "songe" à "la chanson du fou": "Elles vont errer, crains d'en rencontrer quelqu'une, les lutins de l'air vont danser au clair de lune"...de Bizet et Victor Hugo. Et un âne bâté en vaut bien deux! Emballé, c'est "dans la vallée"!
 
Au Guensthal Vallée de la Faveur les week-end jusqu'au 7 Juillet.
 

Distribution :

David Martins – Thésée (Duc d’Athènes) et Obéron (Roi des fées) Muriel-Inès Amat / Blanche Giraud-Beauregardt – Hyppolite (reine des Amazones) et Titania (Reine des fées) Patrice Verdeil – Egée (Père d’Hermia), Toile d’araignée (Fée au service de Titania) et Snut dit Le douillet (menuisier) / le lion dans l’intermède Yann Siptrott – Philostrate (Maître des réjouissances) et Robin Goodfellow, dit Puck la caresse (Serviteur d’Obéron) Charles Leckler – Lysandre (Jeune Athénien) Geoffrey Goudeau – Démétrius (Jeune Athénien) Emma Massaux – Hermia (fille d’Egée et ,Jeune Athénienne)Magalie Ehlinger – Hélèna (Jeune Athénienne) Isabelle Ruiz – Peter Quince dit Lecoing (charpentier) / prologue dans l’intermède et L’elfe (Fée au service de Titania) Sophie Thomann – Tom Snout dit La truffe (rétameur) / mur dans l’intermède et Grain de moutarde (Fée au service de Titania) Bruno Journée – Francis Flute (raccomodeur de soufflet) / Thisbé dans l’intermède et Phalène (Fée au service de Titania) Serge Lipszyc – Nick Bottom (tisserand) / Pyrame dans l’intermède Muriel-Inès Amat / Blanche Giraud-Beauregardt  – Fleur des pois (Fée au service de Titania) et Robin Starveling dit L’éflanqué (tailleur) / la lune dans l’intermède

Adaptation et mise en scène: Serge Lipszyc Lumières: Jean-Louis Martineau Scénographie: Sandrine Lamblin Costumes: Maya Thébault

C'est une histoire complexe dont l'action se déroule à Athènes en Grèce et réunit pour mieux les désunir deux couples de jeunes amants : Lysandre et Hermia d'une part, Démétrius et Héléna d'autre part. Hermia veut épouser Lysandre mais son père, Égée, la destine à Démétrius, dont est amoureuse Héléna. Lysandre et Hermia s'enfuient dans la forêt, poursuivis par Démétrius, lui-même poursuivi par Héléna. Pendant ce temps, Obéron, le roi des fées, a ordonné à Puck de verser une potion sur les paupières de sa femme, Titania pour se moquer d'elle. Pendant la nuit, une grande confusion règne parmi tous les personnages.

La scène la plus connue est l'apparition de Bottom, qui porte une tête d'âne, avec Titania, qui, par la magie de Puck, en est tombée amoureuse.

 

 

samedi 8 juin 2024

"Foreshadow" , Alexander Vantournhout fait le mur, murmures d'escapade.


 Une surface verticale est un défi lancé aux danseur·euse·s, dont la gravité contraint toujours le mouvement. Ce défi, Alexander Vantournhout le relève en faisant du mur le point d’appui des corps et le point de départ d’une chorégraphie originale. Avancé jusqu’à quelques mètres du public, le fond de scène devient un partenaire de jeu pour huit artistes contraint·e·s de réinventer les moyens de l’équilibre en s’inspirant du mouvement des geckos. Le groupe devient le moyen de réaliser des figures acrobatiques que toute verticalité exclurait normalement, une autre manière de dire, sur le mode symbolique, la nécessité de la collaboration : lorsque l’entraide devient la condition de la réussite, la danse devient un contre-modèle aux idéologies de la concurrence. Une musique rappelant le rock et le punk, littéralement vivante, accompagne la perpétuelle recherche de l’équilibre par ses variations de rythme et de volume. Avec Foreshadow, le mur n’est plus un obstacle mais au contraire le moyen de déployer les possibles du mouvement.

Ca démarre au quart de tour à partir d'un trio qui s’enchevêtre à toute allure bientôt rejoint par un autre partenaire qui vient s'adjoindre à ce tissage de corps-relais qui n'a de cesse de continuer ces entrelacs. En autant de combinaison de corps possibles...Puis c'est au mur de prendre la parole: en réception, adhérence et scotchage garanti sur une paroi, mur aimanté pour insectes grimpants! En plongé, sans ligne de fuite ni perspective, la profondeur est réduite, l'effet d'optique saisissant. Des accrochages pendulaires, des courtes échelles, des cordes comme des draps noués, se balancent. L'illusion est constante donnée à ces corps épinglés ou suspendus à des cimaises invisibles. 


Tissage et plessis, nattes, tresses végétales, lacets, noeuds, treillis entremêlés comme figures de prouesses virtuoses.La paroi murale comme support-surface, appui et rebond. Cette vannerie savante fonctionne en pyramide, en socle ou reposoir d'attitudes en construction constante, en énergie végétale d'osier souple, flexible. La matière corporelle se confondant avec un tonus ruisselant. Pas de coupure pour ce plan séquence, ce travelling très cinématographique où tout est réglé au cordeau. Un sans faute ni faille pour cet opus de haute voltige ou le trapèze volant n'est plus un agrès mais une chaine corporelle solidaire, en toute confiance. Des reposoirs éphémères pour tremplin, des figures de proue comme postures fugaces et très poétiques. Des images se forment à foison. 


Le tout dans des couleurs bleu-vert variables, des lumières et ombres portées de toute beauté.Un solo d'une interprète se détache, les mains et bras en adhérance au mur..Les séquences s'enchainent dans une logique implacable, l'écriture de Vantournhout se précise, s'affirme, se renouvelle sans cesse. Sans rature ni retouche, la bobine se dévide en torsade et sur le métier à tisser du geste, les engrenages sont bien huilés. Chateau de cartes fragile, sculptures mouvantes, voici une imagerie d'Epinal, un abécédaire en enluminures dignes d'un Codex savant. On songe à Abracadabra de Philippe Decouflé, ex circassien, magicien de l'apesanteur.Encore un manège de roulades au sol, une ascension de la paroi vertigineuse, une échelle de corps qui grimpe et ne rompt jamais...Cette "annonce" comme un indice de préfiguration dans un conte d'anticipation prévisible où l'imagination rendrait les corps en suspension, hors sol pour le meilleur de l'évolution humaine: dans une galerie de créatures sportives et musclées vers un avenir proche d'adaptation.

Au Maillon jusqu'au 8 juin

mercredi 5 juin 2024

VanThorhout , Alexander Vantournhout / not standing : à Thor et de travers sans avoir tord...On la tourne-boule


 

VanThorhout , Alexander Vantournhout / not standing

Fils d’Odin et dieu du Tonnerre, Thor n’est pas seulement une figure d’un lointain panthéon scandinave. Les bandes dessinées et surtout l’industrie cinématographique en ont fait un représentant incontournable de l’univers Marvel. Non sans ironie, c’est donc à une véritable icône du présent que s’attaque Alexander Vantournhout, jouant au passage avec son propre nom pour donner son titre au spectacle.Son marteau Mjöllnir à la main, soumis au point qu’il lui revient quand il le lance, le héros incarne sans ambiguïté tout à la fois la force, l’autorité et la maîtrise des éléments naturels. Mais l’artiste inverse le rapport de force : devenu plus long, plus souple, c’est désormais l’objet qui imprime son rythme à l’homme qui doit composer avec lui, dans une chorégraphie exclusivement circulaire, qui n’est pas sans rappeler la tradition des derviches tourneurs. En jouant avec l’image du surhomme, Vantournhout déjoue les codes de la virilité, propose une vision décentrée du monde et trace par le mouvement dansé les contours d’une humanité sensible à son environnement.

Torse nu et musclé, il apparaît sur scène en tant que Thor,  Dieu guerrier nordique, accompagné de son emblématique marteau,  tellement puissant qu’il peut créer la foudre ou arrêter les tempêtes.  Jouant avec cet objet phallique, il le transforme en un marteau souple, à  la fois puissant et fragile. Il explore la gestuelle d’images  archétypales et en déploie de nouvelles qu’il relie au contrôle de son  corps pour devenir un héros non-violent. Un spectacle fascinant,  amplifié par les sons des objets, des mouvements et de la respiration !  

Il est seul avec son axe comme partenaire et se met à tournoyer à l'infini, l'énergie sans cesse maintenue dans une fluidité continue. Danse du tourbillon, de l'aspiration vers la gravité, de la torsade et de la vrille. Ses bras l'enveloppent, le caressent, le protègent, tel une peinture d'Egon Schiele, quelque peu acrobatique dans des figures et attitudes incroyables. Puis devient arbre au tronc qui se noue et enlace son propre fut. Il s'écarte de son axe vertical , vis ou chignole aspirante, siphon avaleur de gravité, pour affronter les quatre points cardinaux en autant de fendus en tierce et de figures voisines et apparentées aux arts martiaux: en en prenant l'énergie et la qualité de mouvements très respirés, sentis, habités.En manège de capoeira ou de vocabulaire classique ou circassien .Derviche tourneur inspiré par les sons de ses pieds rivés au sol, les glissements furtifs ou appuis de ses plantes des pieds bien ancrées. Toupie lancée dans des réverbérations de tours et rémanences optiques. 

Un marteau et son maitre

Au tour d'un partenaire de faire duo avec un marteau au long cou, Vantournhout s'emparant de cette prothèse pour créer à nouveau tours et contours de son corps en spirale. L'objet le guide, le conduit, l'induit dans des courbes et cercles magiques dignes d'un chaman. Rituel païen de toute beauté, le souffle animant ses courbes à l'envie. Marteau rigide qui peu à peu s'assouplit et lui impose d'autres mouvements flexibles. Allumeur de réverbère, laveur de vitre, balayeur, tantôt vers le sol, tantôt vers le ciel dans de beaux enlacements de gestes de qi qong. Torse nu, jupe culotte pour simple costume. Mouvements inspirés du monde du travail sans pour autant flirter avec le mime ou la reproduction . Il a le bras long notre héros Thor qui ne va pas de travers!

Des moulinets à vent pour un Don Quichotte circassien

Au tour d'un drapeau blanc, étendard ou bannière,simple tissus accroché à une perche, d'être complice de ce jeu entre corps et objet. La toile vibre, enfle, bruisse sous l'effet du vent et de l'air déplacé. Le jeu des appuis est sidérant, passant du maintien, à la prise, puis aux appuis sur le dos de la main. Comme une danse contact qui génère des épousailles avec le corps sans cesse impliqué comme support-surface. Une nouvelle Loi Fuller est née: tissus dansant au bout d'une tige pesante induisant un effort considérable de maintient et guidage.Des instants de grâce où le danseur interprète conte et raconte des récits épiques dignes d'une odyssée ou d'un bréviaire animé de héros mi-dieu, mi-homme. Une performance qui au final est douce caresse de la toile au dessus des spectateurs, en rond, autour de l'artiste. La banderole bruissant au dessus de nos têtes comme un signe, un appel au vent, au souffle, à l'effacement. Hissez le Pavillon blanc comme indice de paix et réconciliation.Vantournhout comme un électron libre fasciné par la gravité, l'attraction, la pondération. Extrême concentration d'un performeur hors du temps, dans le risque et le danger constant de perdre ses repères. D'un Don Quichotte et ses volis de moulin à vent débonnaires...Boussole déboussolante, hypnotique, enivrante, ensorcelante. Cap sur l’inouï et l'indicible sans une once de musique ajoutée. Les sons et bruits du corps et des objets comme orchestre de chambre. Tours et détours d'objets aimantés par une force divinement magnétique !

Au Maillon jusqu'au 6 JUIN

Alexander Vantournhout a d’abord étudié la roue simple, l’acrobatie et le jonglage à l’École Supérieure des Arts du Cirque (ESAC) de Bruxelles. Il a ensuite intégré l’école P.A.R.T.S afin de se former à la danse contemporaine et à la performance. Fondateur de not standing, il écrit le solo chorégraphique Caprices puis, en collaboration avec Bauke Lievens, le solo ANECKXANDER et Raphaël, son premier duo. Peu après suit Red Haired Men, sa première pièce pour quatre performeurs inspirée par la prose surréaliste de l’écrivain russe Daniil Harms (accueillie au Maillon en 2018). Après Screws (accueilli en 2021) et Through the Grapevine en 2020, Alexander Vantournhout crée Contre-jour en 2021 où il endosse pour la première fois le rôle de chorégraphe et donne la parole à un groupe de cinq interprètes venues d’horizons multiples. Très atypique, son langage scénique se caractérise notamment par la recherche du potentiel créatif dans la limitation physique et la relation entre performeur et objet.

mardi 4 juin 2024

"Un requiem allemand" : Brahms au zénith pour un "requiem humain"

 


Contrairement à Mozart, Berlioz, Verdi ou Fauré, qui écrivirent des requiem latins, Brahms choisit de composer un Requiem allemand, c’est-à-dire non pas une messe des morts mais une méditation sur le devenir de l’Homme dans l’au-delà. Il choisit lui-même une série de textes dans la traduction allemande de la Bible, et imagina une vaste partition pleine de foi d’où les accents de terreur sont bannis.Ébauchée en 1856, au moment de la mort de Schumann, l’œuvre fut créée en 1869 ; Brahms y laissa infuser le temps, preuve de la confiance qu’il mettait dans sa propre inspiration et dans la clémence de Dieu qui baigne la partition tout entière. Le timbre lumineux de Pretty Yende et la noblesse de Ludovic Tézier sont ici les voix de l’apaisement.

Impressionnante entrée des membres du choeur de l'Orchestre de Paris qui remplit l'estrade lentement et s'installe pour interpréter ce morceau de bravoure et d'excellence qu'est "Le Requiem Allemand" de Brahms. Requiem, oratorio, ode funèbre ou cantate? L'office funèbre traditionnel semble bien loin...Sept mouvements pour magnifier et réinventer le genre. Un requiem "pour l'homme" universel et porteur d'un message de paix au final, empreint de magnificence, du brio du choeur qui exalte et semble frémir et jubiler de grandeur et d'émotions musicales. La masse sonore est dense et impressionnante, tantôt fine et sensible, tantôt grandiloquente et puissante. Contrastes qui font vivre et exister nuances et frontalité de la partition, sans égale. L'orchestre rivalise de présence et d'intensité alors que les deux solistes Pretty Yende et Ludovic Tézier animent cette ode de leurs interventions spirituelles et prégnantes. Des moments de pur bonheur, de concentration, dévotion  et logique implacable à la fois sur le plan dramatique et harmonique. L'ovation du public attestait ce soir là de la très grande qualité musicale de l’exécution d'une oeuvre phare et emblématique qui demeure une référence de non conformisme et d'universalité d'un genre dévolu aux morts et à leur célébration. Ici l'humain exulte et frémit et s'adresse plus aux hommes qu'aux fidèles.Promesses de paix et de réconciliation au final qui met tout le monde au diapason.

Petite histoire

La création partielle d'Un Requiem Allemand a lieu en 1867, comprenant les trois premiers mouvements. Si les 2 premiers mouvements sont bien reçus, une monumentale gaffe du timbalier dans le 3e mouvement noie le succès prévu sous un déluge de protestations qui l'imputent au compositeur. Malgré ce coup d'essai peu satisfaisant, la première complète de l'oeuvre en 1868 sera chaleureusement reçue.Dans son choix de textes pour le Requiem allemand, Brahms se montre très désireux d'avoir un propos très large sur la mort, et sur la consolations à apporter aux vivants. D'où un texte plus spirituel que religieux. Le choix du 5e mouvement (composé en dernier), comprenant le verset "Je vous consolerai comme une mère console son enfant" tiré du livre d'Esaïe, fait également office de dédicace de Brahms à sa propre mère, dont la mort inspira son requiem. Brahms au reste, n'avait-il pas déclaré qu'il "supprimerait volontiers du titre le mot "allemand" pour le remplacer simplement par "humain" ?

Aziz SHOKHAKIMOV direction, Pretty YENDE soprano, Ludovic TÉZIER baryton, Chœur de l’Orchestre de Paris, Richard WILBERFORCE chef de chœur  

Au PMC le 4 Juin