En 1518, une étrange fièvre s’empara de la ville de Strasbourg. Plusieurs centaines d’habitant·e·s furent, en un instant, saisi·e·s d’une maladie qui les poussa pendant plusieurs jours à des mouvements incontrôlés, à une frénésie gestuelle incohérente. Ce que l’on a appelé par la suite la danse de Saint-Guy est au cœur du projet de Nolwenn Peterschmitt, elle-même alsacienne. Que dit l’existence d’une telle manifestation de notre rapport au corps et à l’espace ? Peut-être que, si doué de raison que soit l’humain, il restera une part irréductible de lui-même qui échappera toujours à son contrôle.
Au Moyen Âge, chants, danses, rites collectifs, païens et sauvages, ponctuaient l’existence individuelle et collective et contribuaient à souder la communauté. Quelque sept siècles après cette énigme, qu’en est-il de notre besoin de faire groupe, de notre volonté de réinvestir, par la fête et le dérèglement, les espaces publics ? Avec dix interprètes, sur une bande-son où se rejoignent la musique modale médiévale et les tonalités électroniques d’aujourd’hui, la chorégraphe explore tant notre besoin de rites que notre capacité à accepter l’étrange, à dépasser la norme.
Le public est invité au rendez-vous déjà insolite: le terreplein du Hall Rhénus! A quel sport de haut niveau allons-nous assister, tous rangés en ligne sur les marches du parking extérieur...Une jeune femme nous somme de quitter les lieux pour l'écouter conter l'histoire fameuse et fumeuse de la danse des fous de Strasbourg.On l"écoute, en cercle puis elle nous invite à déambuler en toute liberté sur le tarmac d'où l'on va surement décoller. Puis déjà animée de symptômes divergents de dérangement, la voilà qui nous guide en hurlant et courant vers le bâtiment officiel du Maillon. On y pénètre avec curiosité. La grande salle est transformée: plus de gradinage mais une aire de jeu vide, immense, toute noire. A nous de l'investir, marche, démarche collective, participative, incitée par des "barons", meneurs de jeu qui se détachent du public: danse tout azimut comme des Belzebuth de circonstance.
Le diable va bientôt s'emparer de ces danseurs qui s'improvisent acteurs de cette grande messe, sabbat de sorcière dans des rondes, courses folles, tunnels et autres chenilles, figures collectives et participatives. On se prend au jeu de ces danses folles, histoire de revivre le phénomène d'emprise collective de l'époque évoquée. Ça marche, ça fonctionne grâce au talent de la troupe qui sans forcer la main, provoque la participation de beaucoup d'entre les spectateurs. On peut aussi s'extraire sagement pour adopter un poste d'observation, tant cette foule en délire est fascinante dans son ébranlement spontané. Jouer le jeu sans contrainte et avec plaisir: bouger jusqu'à la transe, hypnotisé par une musique répétitive et omniprésente, envoutante. Le jeu se calme pour laisser place aux artistes au sein du rond de sorcière, arène rêvée pour être observé. Danse de fous qui peu à peu se transforme en hypnose, possession incontrôlée. Assujettis au dérangement, à l'aliénation. Simulation de gestes incontrôlés, de démence, compulsions, soubresauts,les danseurs se vêtissent d'oripeaux dans cette cour des miracles.
Jerôme Bosch et Brueghel veillent au grain et l'ergot de seigle fait son travail. Jardin des délices ou enfer ou jugement dernier? Une idole se façonne par ses adeptes, affublée de tissus et autres pelures bigarrées.Sur des chaussures-échasses, cette créature chemine au ralenti et semble marotte, totem ou égérie adorée, adulée par la tribu en émoi. Du Charles Fréger, assurément !
charles freger |
Petit peuple pasolinien, apollinien, déséquilibré qui bientôt opère une transformation, transmute en horde sauvage, meute animale mal léchée, débridée, animée de désordre mental. Irrespectueuse des lois de la bienséance.On roule, se bouscule, se chevauche sur ce plateau immense. Aux contours délimités de cendres comme pour un futur bucher où brûler les mauvais esprits de sorcellerie. On est bien au pays des fous qui dans une orgie simulée se dévêtissent à l'envi et ruent de plaisir, hurle "ferme ta gueule" pour que tout cela cesse. Charivari, cavalcade et autre carnaval pour rendre vivant ce pan de l'histoire de la Danse de Saint Guy: maladie, ou fantasme, pas de réponse ici. Seule une interprétation singulière et originale, mise en espace et en forme par un collectif de choc, animé d'une énergie compulsive, boulimique, contagieuse en diable. Lucifer aux commandes. L'une d'entre eux s'écroule épuisée, affolée après un solo débridé puis est transportée en cortège funèbre: émotion et rituel sidérant plein de recueillement.On copule,culbute, se renifle comme des bêtes en rut.Sans autre forme de convention ni pudeur.Tout se calme dans de belles lumières et des faisceaux bordent une sculpture vivante qui se fond peu à peu dans l'obscurité. Le bal est terminé. Les corps épuisés se rendent et se soumettent à la loi de la perte des sens et à l'absurdité de cet épisode encore énigmatique et inquiétant. Des "intranquilles", unruhig" et indisciplinés pour mieux perdre ses repères et vivre une expérience de spectateurs-acteurs, insolite...
danse France COPRODUCTION MAILLON
Au Maillon 13 juin 2024 14 juin 2024 21:00
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On se souvient aussi de la "danse des fous, fous de danse" initiée par Mark Tompkins et Degadézo lors de l'exposition: "1518: la fièvre de la danse"en 2018 à Strasbourg au musée de l'oeuvre notre dame
pour l'histoie...
https://www.rue89strasbourg.com/strasbourg-epidemie-de-danse-de-1518-143726
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