Sous la houlette de Brigitte Lefèvre, voici une nouvelle vie pour ce festival, si métissé, si éclectique mais dont la ligne éditoriale serait la qualité, la diversité et la pertinence des choix!
Et du dire de sa directrice, de "la sensualité, de la sensorialité"!
"Guests II" signé Josette Baiz et sa compagnie Grenade ne faillit pas à cette détermination: le pluriel, la diversité des "genres" de la danse d'aujourd'hui, et de ses "maîtres" et émergents!
Voici la plus ludique version des accumulations et gestes de Trisha Brown dans les "spanish dance" adaptée pour de jeunes enfants qui incarnent cette nonchalante et rigoureuse fluidité avec malice , charme et décontraction simulée ! Un régal de fraîcheur, de virtuosité et de musicalité traverse cette jeunesse aux prises avec le contrôle du relâchement;
Suivent pour cette soirée, des pièces plus sombres comme celles de Wayne Mc Grégor "Entity", somptueux mélange de brutalité, de verve, de tonus éprouvant les corps et les mentals, les genres et la scénographie. Étonnants sons percutants de Jon Hopkins pour magnifier un univers unique, grave et envoûtant. Hofesh Shechter offre à la compagnie, à l'occasion de "Uprising", la possibilité d'endosser une déferlante énergie et une fougue virtuose très maîtrisée pour ces jeunes interprètes.
Avec "Brilliants Corner" d'Emmanuel Gat, c'est la saisissante grâce de ces enfants, imbibés de sa fluidité, de ses consignes pour les chefs de file changeants qui séduit et convainc par son style assimilé Josette Baiz, la reine de la "traque" pour motiver, mobiliser et faire s'épanouir de jeunes talents très enthousisastes!
Un beau duo de "Désert d'Amour" de Bagouet, lyrique et profondément interprété et voici la pièce de Damien Jallet, "Evocation": fougueuse allusion à des univers épousant la notion de rituel, de sabbats voir de gestes sacrés ou religieux, scandés par des souffles de vie, forts, intenses, ceux de la danse et de la fraternité.Souffles rémanents, hypnotiques, euphorisants.
Une pièce qui résonne par rapport à notre actualité toute frissonnante et ébranlée par les agressions spirituelles physiques et mentales d'un monde barbare.Les jeunes interprètes s'y fondent dans une catharsis partagée, communion rebelle et passionnée d'amour et de fraternité
La danse y trouve toute sa puissance d'expression, sa vérité et la véracité de son langage au delà des mots, des émotions.
Bravo à Josette Baiz, à son "groupe", compagnie à géométrie variable selon les âges mais dont la fidélité et le compagnonnage demeurent une expérience unique de compagnie durable, équitable et inoxydable!
"Tatyana" de Déborah Colker
Voici une singulière version d' "Eugène Onégine" de Pouchkine par une chorégraphe brésilienne, pièce inspirée d'une âme slave, débordante de pugnacité,de verve et de ténacité
Quatre personnages naviguent dans un univers chatoyant, où les costumes, barboteuses ou strictes habits noirs suggèrent une atmosphère rude et passionnée
Un étrange dispositif, sculpture à la Richard Deacon, permet en praticable, de provoquer une gestuelle, sur plusieurs niveaux et perspectives assez intéressante.Ils se débattent pour atteindre des sommets émotionnels sur des musiques russes en majesté, Rachmaninov, Tchaikovski, Stravinski, Prokofiev, en déferlante incessante et submergeante. Les danseurs épuisent vite une gestuelle redondante, bavarde.Et le navire chavire rapidement dans une installation lassante de redites et reprises. .
Quant à Plateforme Studiotrade,
elle proposait quatre pièces, extraits d’œuvres en gestation, de diverses compagnies regroupées par Eric Oberdorff, instigateur de cette unique plaque tournante d'échanges chorégraphiques internationaux; notons "The point at witch is lastmade sens" de Legitimate Bodies Dance Compagny venue d'Irlande pour un duo sur la tolérance, l'acceptation du corps de l'autre: l'un dans sa "perfection" et sa beauté, l'autre avec son handicap, mais loin d'être infranchissable!Belle démonstration généreuse de tous les possibles chorégraphiée par Robin Dingemans et Nick Brison, qui grandit le regard et la réflexion du spectateur.
S’enchaîne un duo masculin, très prometteur de Sharp/ Arno Schuitemaker des Pays Bas, "The fifteen Project": duo malin, en miroir qui se déploie d'un espace restreint, à tout le plateau dans une extrême écoute de chacun des danseurs
Tenue décontractée, gestes fluides et nonchalants, échos et résonances, complicité partagée de deux hommes en mouvement, solides et performants.
"Queer elegies" de Ket C Kekalainen et Compan, chorégraphiée et interprété par Sanna Kekalaineny, propose une lecture enjouée, ludique et mesurée du corps dans la crudité de sa nudité charnelle, érotique et cependant basique. Un corps nu est un corps nu, point.Mais si drôle et distancé, aux grimaces de chaque pli et repli de chair vivante, de rides, de regards: un régal de gestes et attitudes inopinés pour dire la richesse de la simplicité, de la danse dans son plus simple appareil!
Au final de cette présentation de projets, "Tsunemasa" de La compagnie "Humaine" de Eric Oberdorff : une danseuse seule, Mariko Aoyama, se taille la part belle de se laisser brosser un portrait unique sur mesure, à sa démesure. Elle danse son être avec malice, clins d’œils et regards complices avec le public qui rassasient notre appétit de communiquer avec elle. Belle empathie avec une artiste qui a judicieusement inspiré son metteur en scène pour un solo en résonance avec tissus, objets et autres parures du corps si gracile et pourtant si ancré dans le sol de cette radieuse femme japonaise qui danse.
"Dbddbb" de la compagnie Hiatus" de Daniel Linehan: sans doute la révélation du Festival
Ce tout jeune chorégraphe belge, formé à PARTS a un "souffle" à vous le couper! Plus d'une heure durant, quatre danseurs s'exposent à faire vibrer le son de leur voix, leur souffle pour rythmer leurs évolutions, leurs parcours et bâtir ainsi une danse "chorale" hors pair. Costumes singuliers, pastels, asymétriques dans des formes géométriques décalées, baskets colorés, mode, qui feutrent leurs pas, les sons de leurs déplacements, élastiques, rebondissants, gracieux. En constante élévation de par ce souffle, scansions rythmées de bruits, de sons et onomatopées singulières, les voici se répondant en échos ou ricochets détonants.Sans faillir, jamais dans une coulée incessante, un flux déferlant, hypnotisant, fascinant. Suspendus, en pâte de verre ou plastique, des baskets translucides et des tiges lumineuses, oscillent et ravivent un espace désert, plateau nu.Pantoufles de vaire que des voix vont briser?,
Enfin, les sons du corps, les respirations, les jeux de timbres et tons se fabriquent dans l'instant: pas de musique enregistrée, ni empruntée, quel régal, quelle lucidité dans cette proposition si musicale dans les corps épris de rythmes, de légèreté et de sincérité. Un geste chorégraphique fort séduisant, très prometteur de Daniel Linehan du groupe "Hiatus": un vrai "souffle" nouveau qui le portera sans doute très loin dans le vent 'et le souffle d'Eole! Le dieu du vent, de la respiration pour ces performeurs haletants toujours au tempo d'un métronome absent: Kurt Schwitters veillait au grain en compagnie de Hans Arp pour mieux parrainer ce défi hors pair, radical d'un jeune chorégraphe audacieux et sa tribu chatoyante à l'unisson de son désir de créer ce qui lui ressemble: une fantaisie saisissante, ode à la musicalité du corps dansant.La poésie sonore a un bel avenir tout tracé!l
Bella figura" et autres chorégraphies de Jiri Kylian par le Ballet de l'Opéra de Lyon
Un répertoire pour le Ballet de l'Opéra de Lyon qui semble taillé sur mesure tant les interprètes possèdent et épousent le style virtuose de Kylian à qui ce spectacle rend un hommage d'excellence.
Jamais "Bella figura" ne revêtit une telle sensualité, la musique de Pergolèse et autre Vivaldi venant border la grâce de ces gestes ciselés et précis, de ces corps, bustes dénudés des femmes qui dévoilent des silhouettes sculptées par la danse au plus près de la beauté.Costumes designés, rouge comme le sang, espace découpés par des pendrillons qui se jouent des rythmes et révèlent des images cadrées saisissantes, comme cinématographiques. On s'enroule dans les toiles et tapis de sol, comme un vêtement surdimentionné, surréalisme au poing, imaginaire à l'envi Très picturale, cette oeuvre voyage au cœur de la danse hachée, saccadée de Kylian, celle qui tord les corps, les affole en toutes directions et divagations subtiles. "Heart's Labyrinth", offre des duos sensuels remarquables, un quartet virtuose en hommage au chagrin de la mort d'une disparue. Les danseurs frolent le sol, glissent, s'abandonnent dans une extase proche de la catharsis avec le public sous le charme de cette féerie."27' 52", pièce pour six danseurs sur une musique de Dirk Haubrich offre un panel complet de l'univers de Kylian, la grâce incarnée par des interprètes de taille, galvanisés par un style qui semble leur appartenir depuis l'aube des temps. Compagnie sous la houlette de Yorgos Loukos,directeur et "maître" de ballet puissant et plein de respect et d'ambition pour des danseurs épris de musicalité de d'empeintes stylistiques multiples. Une troupe irréprochable qui distille le bonheur de l'excellence toute naturelle au demeurant!
"Les nuits barbares ou Les premiers matins du monde" de Hervé Koubi
Que dire d'une oeuvre qui peut questionner, interroger les lois de la liberté et de la conscience? Sur des musiques puissantes de Wagner, Fauré, Mozart en mode réquiem, une tribu masquée de casques rutilants, comme des parures étrusques, cornées de lames d'armes blanches apparaît, puissante, impressionnante. Glaçante et terrorisante. En imposant de sa placidité dévastatrice: où sommes nous ? Sur un champ de bataille où chacun se jette , furieux et aveugle, en transe hip-hop ou capoeira virtuose saisissante? Ou dans une arène où le combat est roi et règne en despote contre toute expression autre que celle de la barbarie des comportements rebelles? Une ceinture d'armes blanches pour couronner un sacrifié , porté en triomphe par ses pairs comme un symbole d'appartenance à un rituel communautaire, qui relie les uns aux autres dans une tribu! Guerriers, samouraïs, Huns, vikings, tout se fédère et parle de résistance à l'oppression..
Alors, on comprend en écoutant Hervé Koubi parler de ses origines algériennes , de ses métissages et de son terreau culturel pour ensemencer les différences et "tolérer" l'autre au delà de toute racine. De la fraternité, de la laïcité dans ses vœux et souhaits exprimés mais dont la forme est extrêmement ambiguë.Si la danse est un art de combat, qu'elle le soit comme chez Preljocaj par la force et la beauté de l'engagement physique.
Ici, assister à la dépense éperdue de ces corps glorieux, épuisés devant nous comme "on achève bien les chevaux" en donnant au public des jeux et du pain en pâture, ne semble pas de bon aloi. Sauf si la fin justifie les moyens: communier par la danse au delà des mots, certes, mais ne pas oublier qu'elle fait sens et est vecteur de moultes interprétations possibles à partir des gestes et symboles. Mise en garde contre la barbarie et le despotisme que dénonce Hervé Koubi avec des armes trop proches d'une métaphore à double sens.Demeurer en éveil, c'est ce que Hervé Koubi insuffle à sa pièce au demeurant forte et courageuse, interprétée par des danseurs, galvanisés par une gestuelle virtuose et engagée. Comme un champ de fleurs qui tourbillonnent et sèment dans la tourmente, les graines d'une réconciliation universelle.Les "barbares" ces peuples migrateurs, chassés de leurs terres , ne sont pas ces semeurs de désordre et de terreur, loin de là l'esthétique et le propos d'un chorégraphe concerné de très près par ce sujet qui tient à cœur, qui tient au corps et aux empreintes de la mémoire collective. Aurait-il déjà signé son "sacre du printemps", ode au rituel chamanique et sacrificiel ?
"Carmen" de Johan Inger par la compagnie nationale d'Espagne José Martinez
Et voilà pour finir le bal et clore ce festival si riche en signatures chorégraphiques et stylistiques, un "Carmen" qui dépote et enchante par son originalité La compagnie Nationale d'Espagne, dirigée par José Carlos Martinez en est le porte drapeau fidèle et virtuose à souhait.
Tout démarre avec l'ouverture du Carmen de Bizet, en bonne compagnie donc et avec quelques références culturelles obligées qui surgissent de notre inconscient collectif.
Oh surprise, c'est à une enfant gracile, footballeuse en costume sportif d' ouvrir le bal. Elle semble interroger le monde et passe le relais à un étrange personnage, corbeau noir, menaçant qui plane sur une ambiance étrange Tout démarre ainsi dans une inquiétude, présage du drame à venir sous de mauvaises augures Et la narration de tenir son cap, les personnages se dessinant, fidèles à leur sombre destin. Carmen, juvénile à souhait, fragile et précieuse, face à son destin, dans sa robe à volants rouges, designer mode, se joue des hommes qui semblent séduits par tant de naïveté. Ils sont versatiles, différents, de Don José au Toréador, ils gravitent et se font piéger dans ses filets . Des structures mobiles transforment l'espace, libérant ou enfermant nos héros dans leurs destins tout tracés par la fatalité Pas d'issue de secours dans ce palais des glaces où Carmen se joue de son image et de celle du monde fébrile
Belle prestation du ballet pour cette version toute personnelle de Johan Inger, venu du nord pour mieux déceler les facéties d'un pays du sud où tous les possibles de la séduction engendrent la mort.
Un festival multiple aux couleurs de la danse d'aujourd'hui, de la création, du patrimoine revisité et de l'audace.
"Etonnez-moi", bien sûr et toujours serait le maître mot, fil conducteur en hommage à Rosella Hightower, maîtresse d'un territoire qu'elle à irrigué et fertilisé par son oeuvre et son enseignement!
Brigitte Lefèvre, en maîtresse de maison, accueillante, animatrice hors pair face à un public conquis et nombreux venu partager ses choix, ses aventures avec le monde de la danse .Car dieu sait si la danse a encore des secrets pour elle, cette navigatrice pionnière de la danse qui ose toujours les défis en extrême symbiose avec l'univers des danseurs. En respect et avec des compétences à la hauteur de l'art qu'elle défend, celui de l’éphémère qui construit du "durable" pérenne dans les esprits et les corps depuis la nuit des temps en échappant à l'obscurantisme et au fanatisme du discours verbal!
Un édifiant colloque" Danse en compagnie" deux journées durant étayait la manifestation de son éclairage pertinent sur la notion de "compagnie" en ces temps délicats d'économie artistique précaire. De la "troupe" au collectif, de la compagnie indépendante, au centre chorégraphique national, quel "modèle" quel outil pour le développement de la culture chorégraphique, des projets artistiques des uns et des autres?
Pour animer ce débat et donner du sens , une "brochette" de personnalités plus que compétences du monde de la danse se rassemblait autour d'Agnès Izrine et Brigitte Lefèvre, pour réfléchir 'utile" à de nouvelles formes pour mieux servir l'art du "danseur" ce prestigieux instrument au cœur du dispositif et de la création: l'interprète au centre des préoccupations de Jean Christophe Maillot, Rachid Ouramdane, Eric Vu Han et bien d'autres acteurs, porteurs de projets et directeurs de compagnie!
Et encore, en sus, le bonheur d'inaugurer les nouveaux studios de l'Ecole internationale de danse de Rosella Hightower à Mougins!
Inspirée de l'Orient et de ses moucharabiehs, l'architecture magnifie l'espace et la lumière pour un confort optimum du danseur, apprenti à devenir meilleur ouvrier de son art, en toute rigueur et humilité
Une réussite dans un environnement durable où les Algécos pour enseigner sont customisés d'allégories à Rosella et aux élèves: sa silhouette ainsi immortalisée dans une forme Street art est émouvante et tellement d'actualité!
La danseuse de" Piège de lumières" veille au grain sur la pépinière de jeunes pousses de la danse!Un outil à la hauteur des ambitions de l'école!
Et l'affiche de nous rappeler que la danse ne fait pas que des ronds dans l'eau, mais déclenche des ondes bienfaitrices et lumineuses!
1 commentaires:
Merci pour votre regard pointu sur ce beau festival.
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