lundi 28 décembre 2015

Une bibliothèque qui danse:rat ou vers de bibliothèque ?


BOOKWORM, LA BIBLIOTHÈQUE QUI S’ÉCRIT et qui danse !!!!

image extraite du film de Danielle Shirman - Bookworm - arte vidéo - droits réservés
Bookworm est une bibliothèque conçue par l’architecte, designer et artiste Ron Arad en 1993. Cette bibliothèque arrive dans sa production, après une période plutôt marquée par l’époque post-punk de la fin de années 80. Passée cette période, Ron Arad se tourne vers des réalisations utilisant des feuilles d’acier ou d’inox tendues comme des ressorts, notamment avec son fauteuil club « Big Easy ».
Bookworm est en anglais littéralement un « vers de livres », et en français un « rat de bibliothèque ». Entre les effets du temps donc et ses invités indésirables, et la fréquentation continue des livres poussiéreux…
Formellement, c’est une plaque d’acier souple se comportant comme un ressort qui lui permet d’être pliée sans mémoire de forme. D’une largeur d’une vingtaine de centimètres et d’une longueur variable sur plusieurs mètres dans sa première année d’existence, où la fabrication est réalisée de manière artisanale en atelier. Une patine est donnée à l’acier grâce à un frottage au chiffon enduit d’acide et d’huile de vidange brulée, donnant à l’ensemble un aspect noir carbone.
Bookworm s’installe sur un mur à l’aide de « faux-livres » qui, placés sur une face ou l’autre, servent de patères de fixation, permettant de donner à la bibliothèque des formes spiralées variables à composer soi-même.
image extraite du film de Danielle Shirman - Bookworm - arte vidéo - droits réservés
Bookworm en cours d’installation – image extraite du film de Danielle Shirman – Bookworm – arte vidéo – droits réservés
La structure souple de l’ensemble induite par le métal, établi un rapport à la forme courbe, à l’ondulation qui vient s’opposer aux lignes droites des bibliothèques plus traditionnelles.
L’objet produit est une proposition à partir de laquelle chaque possesseur de Bookworm crée sa propre forme. Cette appropriation rend l’objet très attractif en donnant une grande latitude à l’utilisateur de Bookworm, engageant pleinement celui-ci dans l’ère de la participation, signalée par Nicolas Bourriaud dans « Esthétique relationnelle » en 1998.
Le film « Bookworm » de Danielle Schirman [ série « Design » DVD Arte Vidéo ] nous montre Loï Fuller dans une danse aux dimensions plastiques très nouvelles en 1901 et que Mallarmé décrivait comme « l’incarnation même de l’utopie symboliste ». Le poète résume ainsi l’impression que sa danse lui fit : « ivresse d’art et, simultané, accomplissement industriel ». »
Ce rapprochement nous semble judicieux, à la fois pour la proximité visuelle des ondulations produites, mais aussi pour la façon de mêler art et industrie.
La question de la bibliothèque nous renvoie à l’univers des livres, mais aussi à la façon de les agencer ensemble. On pourra prolonger la réflexion de ce côté-ci avec le livre de Walter Benjamin, Je déballe ma bibliothèque, traduction Philippe Ivernel, Rivages poche / Petite Bibliothèque, octobre 2000.
Avec la bibliothèque, c’est tout l’univers de l’écriture qui s’invite, on pense pêle-mêle et avec un certain vertige à la bibliothèque d’Alexandrie, ou à celle – infinie-  de Babel de Jorge Luis Borgès, nouvelle de son livre Fictions, 1944, elle-même inspirée de Carl Theodor Victor Kurd Laßwitz (1848-1910) qui dans La bibliothèque universelle, 1904 (traduite de l’allemand par Philippe Guilbert, publiée en ligne en juillet 2012) écrit :
« Et pourtant, remarqua le professeur, nous sommes en mesure de représenter avec des caractères d’imprimerie tout ce qui pourra être jamais légué à l’humanité en termes d’événements historiques, de connaissances scientifiques, de création poétique et d’enseignement philosophique. Du moins, tant que tout cela peut être exprimé par le langage. Car nos livres transmettent effectivement le savoir de l’humanité et conservent le trésor accumulé du travail de la pensée. Mais le nombre de combinaisons possibles avec des caractères donnés est limité. Donc, toute littérature possible doit nécessairement pouvoir être contenue dans un nombre de volumes fini. » source
Ron Arad a créé une variante de Bookworm qu’il a appelée « This mortal Coïl » ou Le trouble mortel d’Hamlet. Celle-ci est une spirale totalement enroulée sur elle-même, mi escargot, mi toile d’araignée, et destinée à rester au sol et à s’affaisser sous le poids des livres… Elle croise de belle manière la fable de la bibliothèque universelle.
image extraite du film de Danielle Shirman - Bookworm - arte vidéo - droits réservés
« This mortal coïl » en cours d’installation – image extraite du film de Danielle Shirman – Bookworm – arte vidéo – droits réservés
Le passage de la production artisanale (acier) à la production industrielle en série (pvc) amène le designer à parler de « responsabilité ». Il évoque cette question dans le film de Danielle Schirman, mais contrairement à ce qu’on pourrait penser, cette responsabilité ne porte pas sur les conséquences environnementales de sa fabrication mais sur les conséquences financières de ce changement de matériau, de technique et d’échelle.
Depuis 2002, des mouvements en design tel que Cradle to Cradle (ou du berceau au berceau) ont fait de ce soucis environnemental un manifeste, puis un label international, auquel de nombreux produits de design répondent maintenant. La production contemporaine de Bookworm par son éditeur Kartell en a-t-elle été transformée ?
Au delà de cette question de production contemporaine, on remarque également chez Enzo Mari par exemple, que la question de l’appropriation par l’utilisateur est réglée d’une manière radicale en lui transmettant une partie de la responsabilité de la fabrication. Le designer italien a en effet entamé une démarche singulière avec ses «Autoprogettazione » Éditions Corraini, Italie, 2010, qui consistent à fournir les plans des objets qu’il a conçu. Cette pratique du « do it yourself » avant l’heure, inscrit encore davantage l’utilisateur comme un partenaire responsable jusque dans le choix de ses matériaux.
image extraite du film de Danielle Shirman - Bookworm - arte vidéo - droits réservés
planche de signes – image extraite du film de Danielle Shirman – Bookworm – arte vidéo – droits réservés
Ron Arad a proposé avec Bookworm une solution originale de bibliothèque, sa ligne d’écriture sur le mur n’est-elle pas une invitation à écrire soi même… sa bibliothèque.

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