samedi 25 janvier 2014

"Madame rêve" et monsieur se livre.Emmanuelle Konstantidinis papillonne.



Bashung et la danse...Il dansait sa vie et chantait la danse des mots...
Le "if you couldn't see me" après Trisha Brown! (solo entièrement de dos de la grande chorégraphe américaine)
Elle est danseuse de toute sa peau, de tous ses muscles qui apparaissent à fleur de peau: un solo qui lui va comme un gant, comme un justaucorps, minutieusement tissé en haute couture.
Ce soir là à la librairie "L'usage du monde", elle évoluait au sol, de dos, sur ces deux ischions, de noir vêtue.
Longue robe déployée pour mieux faire deviner les écarts, les profondeurs, les failles  d'une "origine du monde" dissimulée. Elle danse sur "Madame rêve " de Bashung.Ça tangue comme dans le "C'est extra" de Léo Féré. Ses bras s'animent comme ceux d'un cygne affolé, d'une Léda se mouvant avec grâce et volupté.
Sobriété des mouvements, étrangeté de ce dos qui se soulève, se délie, se détend, s'étire pour mieux s'abandonner.Sculpture, modelée, révélée.
L'adaptation "physique" et très charnelle d'une des plus érotiques chansons de Bashung, fait mouche et touche.

Nous sommes à présent sa proie, elle a tissé sa toile arachnéenne, subtile .Sans y voir, on pénètre dans cette atmosphère ouatée, sensuelle de la voix du chanteur. Ils font corps, ils s'aiment et se rejoignent.
Elle se lève, évolue en volutes dans un espace restreint: elle le prolonge, l'agrandit et franchit les frontières du réel.
Solide, robuste et fin à la fois, son corps se déploie, se tend, s'enroule, ses bras sont d'une envergure phénoménale qui vibrent, scintillent, s'affolent.
Sa longue robe noire, dont l'attache lui encercle le cou et dévoile ce vertige dorsal, guide ses gestes, accompagnent les flux et reflux du corps qui danse, de la musique qui s'apaise et s'endort en suspension. Carlson n'aurait pas renier cette filiation esthétique, cette langueur si suave, ses changements de directions si versatiles, déroutants...C'est beau et émouvant. La proximité de la danseuse avec ses spectateurs autour d'elle renforce l'intimité mais crée aussi de la distanciation. Son regard est figé, rien ne bouge sur son visage. Elle semble absente, ailleurs déjà, au nirvana.Les courbes s'affirment et prolongent la course de sa robe, ses pieds s'enfoncent dans le sol.
Elle évolue, grave, concentrée, très présente.
A ses côtés, un homme de noir vêtu démarre la lecture de Virginia Woolf, les "Phalènes".
Sobre, timbrée sa voix s'impose après la musique et la danse. Un texte sur l'éphémère, ce papillon d'un jour qui danse lui aussi jusqu'au dernier soubresaut de vie, sur le dos, les pattes en l'air pour mieux toucher déjà le ciel, les cieux. Bon choix pour prolonger les pulsations, les frémissements de la danse.La danseuse, sa danse serpentine et son corps se plient aux caprices des mots, se figent sur des silences prometteurs On respire le texte, on écoute la danse.
On regarde l'homme, la femme le temps de la rencontre.Conclure par ces deux qui s'attrapent, elle se ruant sur lui, dans un porté en apné, qui revient, recommence, est très juste. Surprenant dans la dynamique. Prise de corps éprise de corps après la prise de paroles.
Puis tout cesse. On se tait aussi devant la grâce enfuie qui laisse tant de rémanence dans les yeux.
Jean Lorrain, Emmanuelle Konstantinidis: une rencontre aux prises avec le corps: celui des mots, celui du geste, du texte. En "corps", encore, s'il vous plait, comme un instant que l'on voudrait suspendre et retenir à jamais. Serait- ce l'amour?

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