CE QU’IL FAUT DIRE
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- du Samedi 6 Novembre 2021 au Samedi 20 Novembre 2021 au TNS
- Avec Gaël Baron, Océane Caïraty, Ysanis Padonou, Mélody Pini et la percussioniste Lucie Delmas
Que signifie se déclarer « blanc » et désigner d’autres personnes comme étant « noires » ? Qui a décidé que « l’Afrique » se nommerait ainsi ? Loin de se satisfaire des formules et pensées toutes faites, l’écrivaine Léonora Miano vient bousculer les mots et les récits forgés par une Europe conquérante, détisser le langage de la colonisation et du capitalisme, pour retrouver le fil de l’humain − son désir de spiritualité et de beauté. Dans la mise en scène de Stanislas Nordey, trois actrices afropéennes interprètent les trois chants poétiques et politiques qui composent Ce qu’il faut dire. Quelle mémoire veut-on garder vivante ?
Peut-on se libérer des assignations et être soi ? - Elle s'avance sur le plateau pour s'y figer, devant un micro, face à une caméra en direct qui projette son visage sur grand écran: surdimensionné, en couleurs, il apparait calme, lisse, accueillant... Assise, longue silhouette noire découpée, elle chuchote, murmure aux creux de nos oreilles des aveux tendres et confidences très proches sur "ce noir de peau" qui faisait dire à Nougaro que nos os, eux n'auraient plus de couleurs une fois la camarde passée par là....Belle et attentive à ses paroles pesées qui sourdent de ses lèvres sensuelles, la comédienne Ysanis Panodou, la femme incarnée est tel un archétype de tout ce qui serait "beau" dans la "différence". Suit une autre femme de rouge habillée Mélody Pini qui casse cette ambiance rassurante et enveloppante: être noire, venir d'"Afrique" ce continent peuplé de gens de "couleurs", n'est pas simple ni aisé. L'assimilation, la "question blanche" qui fait de la peau noire une question de valeur se transforme en ""Le fond des choses" à dire, à ne plus se voiler la face: elle s'adresse au public pleine de verve et de conviction, ferme et décidée à faire de cette cause quelque chose dont on "cause" sans violence mais avec détermination, conviction, foi et engagement.Tambourin, caisse claire au poing, une percussionniste Lucie Delmas l'accompagne, petit soldat apprivoisé qui martèle le sol de face militaire.Des images filmées en noir et blanc de toute beauté, au grain scintillant rappelle que le noir et blanc coexiste pour le meilleur dans cette montée technologique de la pellicule qui imprime le monde, ces visages de "black"....en "noir" et blanc. Black is back (le titre d'une très belle exposition à la Galerie Stimultania sur le noir et blanc en photographie) est de retour et n'a jamais disparu dans les écrits de Léonora Miano, auteure, écrivaine noire dont les textes sont ici enchevêtrés et mis en scène par Stanislas Nordey, battant artisan de toutes les causes virulentes ou aiguës dans notre monde. Dédié à la scène, tous ces propos résonnent justes aussi sur les lèvres de Océane Cairaty et aiguisent notre "curiosité" sur le sujet: comment traiter la question noire sans heurter mais en soulevant mémoire, présent, histoire et actualité pour mieux réfléchir ce monde.Le choix des jeunes comédiennes de couleur noire issues de l'école du TNS n'est donc pas fortuit et elles se révèlent audacieuses ambassadrices de la question à travers attitudes et propos sensés, féroces, judicieux, jamais ne frisant la caricature ou la tentation de convaincre Plutôt enseigner, sensibiliser par le verbe un peu fou, la question non pas du racisme mais de la responsabilité individuelle que chacun porte sur la question. Surtout ne pas broyer du noir mais le rendre "outre-noir" comme Soulages ou noir Vénus d'ébène de Baudelaire...La scénographie de Emmanuel Clolus intrigue: au sol un marquage de piste de jeu de ballon, gymnase ou salle de sport: un sport où les noirs excellent, un sport où l'on applaudit l'autre, différent, du moment où il remporte des médailles nationales, de bon ton "français", blanc de peau?....Ou simple aire de jeu théâtral où les buts sont comptés pour vaincre ou résister, se passer le relais pour gagner du territoire, de la place à la légitimité de l'individu quel qu'il soit...Et les costumes "united colors of...." de Raoul Fernandez révèlent les couleurs fondamentales comme seconde peau, masquant notre pigmentation...Identité, résilience, altérité font de cette pièce hybride et très relevée, une ode au "même pas peur" de s'affirmer, de se laisser reconnaitre et apprécier hors critères externes abusifs. La souche comme emblème de cette fausse légitimité à être supérieur, du cru, depuis des générations qui autorise à l'autorité et à l'incompréhension, au rejet ou à l'exploitation de l'un par l'autre.CQFD marqué en grand en fond de scène....On ressort "touché", impacté par une bonne gifle méritée qui pointe notre "responsabilité individuelle et collective" sur la question noire, ces "pointes noires"que vise aussi Sophie Noel dans son roman sur le "rose et blanc" du monde de la danse...Mysti Copeland ou Joséphine Baker en figure de proue....Sur "l'écran noir de nos nuits blanches", "noir ou blanc de peau", et si tout pouvait se dire et non se taire, s'écrire et se voir: chose faite et assumée !La gentrification cesserait?
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