Et si le silence n'était pas l'absence de son ? Et si le silence était lui aussi musique ?
Dans un parcours du baroque à nos jours, Clément Lebrun nous guide sur le chemin de ces musiques à demi-mots, susurrées, chuchotées, en laissant flâner nos oreilles, toujours à l'affût du moindre son. Un concert tout en surprises, en nuances, en... Chut ! Écoutons !
Et tout démarre de façon classique: l'orchestre entame son premier morceau quand tout à coup surgit un perturbateur qui demande à faire cesser la musique: "silence, on ne s'entend plus"! C'est perturbant et inquiétant; est-ce une répétition, une "générale" que l'on peut interrompre à tout instant? Et bien, non! Ce sera notre maitre de cérémonie, notre Monsieur Loyal qui va tisser du lien et "inter-ligere" les morceaux choisis du programme concocté sur la thématique du silence...Rien que pour son talent d'"animateur" on assiste à cette lec-dem (lecture-démonstration à la Alwin Nikolais) avec délectation, se laissant guider par sa pertinence, son humour, son âme d'enfant émerceillée par toute les facettes de cette "notion" de silence dans le domaine musical! Alors en avant la musique pour notre plus grand plaisir...
Introduction avec Brahms et sa "Symphonie n°1 en do mineur, 1er mouvement" (extrait):Très douce mélodie pour mettre dans l'ambiance du recueillement.Et se mettre en état d'écoute pour mieux saisir la complexité des différents "silences" que l'on peut envisager: celui de Haydn par exemple avec
"Symphonie n°64 en la majeur, 2ème mouvement".Il y a des "trous", des respirations salutaires pour retarder les phrases musicales, pour les suspendre, en apnée, en levée comme sur des oeufs: le silence impose l'écoute: les pauses précieuses nous initient à des changements dans notre comportement d'écoute...Et si les applaudissements étaient aussi silencieux comme dans la sphère des personnes malentendantes? Chose enregistrée car le public se prête au jeu et secoue les mains....En silence!
Va suivre Webern avec "Cinq Pièces pour orchestre, Sehr ruhig und zart": harpe et glockenspiel pour ornement de discrétion pour créer du son posé dans le silence, regardé, observé à l'envi pour créer un univers bien à la Webern, calme et tendre: des chuchotements dans un silence assourdissant comme on "parle en silence"...Au tour de Kaija Saariaho avec "Nymphéa reflection" de 2001: les instruments y chuchotent dans un joyeux désordre doublé d'un texte susurré à peine perceptible, ténu et aérien, volatile...Infime texture sonore pour une sorte d'endormissement, rêve poétique ou peur indicible pour une écoute exacerbée.A Rameau avec "Dardanus, Acte 4 – Scène 2 : Sommeil", de nous émouvoir avec une berceuse, genre universel qui crée des moments de silence, passages obligés comme des "airs de sommeil" en contraste avec son génie de l'orchestre magistral! Il y suggère le silence sans en faire, sur demi-pointes de maitre à danser du roi, : élévation, retenue, sobriété de cette basse-danse générée par l'encombrement, l’empêchement de se déplacer avec aisance tant les costumes d'apparat sont entravants. Et lourds! Grâce et distinction de ces retenues infimes qui semblent flotter, paisibles...
Ravel vient ensuite avec "Ma Mère l'Oye, Pavane de la Belle au Bois Dormant":pavane, danse de l'endormissement, glissades des pieds sur le sol, révérence, réserve des attitudes, postures de dentelles en notes posées comme des couleurs. Flûtes et petits pas mesurés: un régal de retenues, de petits silences suspendus à une gestuelle de danse baroque fertile en surprises, tours et détours savants de niveaux. C'est Schulhoff avec "In Futurum" qui succède à ce ballet, cette valse de conceptions de "silences", imagés et vécus par Clément Lebrun, autant acteur, conteur que musicologue éclairé, chanteur de surcroit et animateur idéal pour un public tout jeune, néophyte ou éclairé! Musique du futur pour orchestre, de vrais silences dadaistes en diable pour ce "tais-toi" fait de signes, de soupirs en suspens qui respirent librement: ponctuation, pondération au menu: sons du sang qui coule dans nos veines, battements de coeur et vibrations à l'envi.Les "soupirs" comme notation de composition silencieuse !
Avec Haydn et sa "Symphonie n°45 en fa dièse mineur « Les Adieux », Finale", ce rythme de coeur qui bat régulier se retrouve, moteur de ce final, tonique avec pulsations, pouls effervescent, totale musique avec vents et cordes: mais, oh surprise, les musiciens s'en vont un par un, pupitre par pupitre pour laisser place à l'essentiel: le silence devant une cheffe d'orchestre étonnée qui continue à battre la mesure en silence devant un parterre vide! C'est drôle et inattendu, le clou du programme peut-être; des adieux pour nous quitter: mais pas encore! car Cage nous offre "Sculptures musicales", une expérience du silence, posé comme une sculpture en rond de bosse, en pertes ou absences de sons à "écouter" comme calme et volupté de la musique absente! Aussi longtemps que l'on peut exécuter du silence perceptible, perturbé toujours par les bruits du quotidien qu'il se plaisait à discerner. Rappelons nous de son 4′33″, un morceau composé par John Cage, souvent décrit comme « quatre minutes trente-trois secondes de silence »1,2
mais qui est en fait constitué de sons de l'environnement que les
auditeurs entendent ou créent lorsque le morceau est interprété3. Le morceau a été écrit en principe pour le piano et est structuré de trois mouvements principaux. Sur la partition, chaque mouvement est présenté au moyen de chiffres romains (I, II & III) et est annoté TACET (« il se tait » en latin), qui est le terme utilisé dans la musique occidentale pour indiquer à un instrumentiste qu'il doit rester silencieux pendant toute la durée du mouvement.
Et Nina Šenk avec "Extraits de Shadows of Stillness", de nous embarquer pour une danse sur une corde raide entre bruit et silence pour créer des ombres spectrales d'immobilité, fil ténu de l'écoute avec les cors discrets qui murmurent.Strates, "lasagnes" de sons d'instruments entre bruit et silences: des ombres de l'immobilité s'y profilent, comme une pâte à modeler le son, matériau à transformer: ça plane en envolées linéaires sur l'horizon, ample, savoureux, gouleyante dégustation de musique, comme des nuées, nuages ou brumes matinales qui se répandent, s'étirent, s'étalent dans l'espace! Entendre et écrire dans le silence, c'est la gageure, le pari de la compositrice, intelligence spirituelle du processus de création.Imaginer la musique sans la produire d'emblée. Et si Beethoven avec sa "Symphonie n°7 en la majeur, 3ème mouvement", était le chantre de cette magnifique séance de sensibilisation sur le silence? Sourd et handicapé par cet obstacle à l'écoute le voici galvanisé par des sons puissants, monumentaux qui défient justement le silence; des coups d'éclats, des surprises, des montagnes russes d’émotion pour créer un tsunami de musique contrastée, elle aussi suspendue aux surprises et chuchotements en contradiction avec des vagues tonitruantes de musique symphonique...
Lucie LEGUAY direction, Clément LEBRUN conception et présentation
Au PMC par l'OPS LE 27 NOVEMBRE
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