Marlene Monteiro Freitas "Mal" – Embriaguez Divina
Généreux et minimal, baroque et contemporain, mythologique et pop, l’univers contrasté de l’artiste cap-verdienne Marlene Monteiro Freitas se prête ici à l’exploration des diverses manifestations du mal. Douleur, tourment, méchanceté, peine, maladie : déplaçant ces formes dans son propre spectre référentiel, elle signe encore une œuvre totale.
Mal – Ivresse divine. Ce titre s’accorde à souhait avec l’audace de Marlene Monteiro Freitas, qui n’hésite pas à mêler les figures grotesques des carnavals de son enfance à ses mises en scène novatrices pour développer des œuvres d’une facture unique, dont l’hybridité fait l’étrange grâce. S’attachant ici aux différentes facettes du mal, elle les débusque dans toutes leurs dimensions : morale, religieuse, politique. Neuf danseurs, dont elle organise la composition graphique ou géographique avec une inventivité aussi exaltée qu’exaltante, sont à l’œuvre pour les introduire ou les incarner. Pas question de Satan ou de Lucifer, de la sorcière ou du mutant ; ici, c’est un groupe aux visages multiples et grimaçant, tantôt tribune, tantôt chœur, qui donne corps et voix, sur un rythme endiablé, à ses hallucinations funestes, témoignages toxiques ou impressions bactériennes, dévoilant la fascination humaine pour le mal, quel que soit son souffle.
Le décor est planté durant l'installation du public: des joueurs de volley s'adonnent aux passes pour se relayer: en collants blancs, gants blancs et tenues bleues à travers un immense filet de ping-pong, plein feux en fond de plateau....Un vigile armé fait irruption, des cris de suppliciés pour l'envelopper, de velours bleu vêtu.Des robots émergent, fonctionnaires à la démarche mécanique, une cascade de fumée bleue pour les dissimuler, un trio sur fond de percussions dans une danse tribale, scandée à la cadence militaire.Un roitelet sur son trône parade, fantoche de pacotille, ubuesque en diable, absurde figure du pouvoir décadent.Beckett ou Ionesco en parallèle...Niché dans une architecture sur trois niveaux, tribune fatale, jeu de massacre ou parade de foire. Des expressions figées de manipulés, sidération à la clef, vassaux ou petit roi dans une cour de pions, brandissant un oriflamme blanc aristocratique...Défilé, marche de dictature enjouée et caricaturale en poupe...En képis blancs, strictes et policés: honnis soit qui mal y danse: danse de pantins masqués de mouchoirs blanc pour mieux bâillonner le verbe et la parole.Théâtre de guignol de l'info pour arène ou aire de jeu.On assiste à la construction d'une cité fragile de papier blanc découpé, à travers un grillage rouge, filet à papillons pris au piège, château de cartes à jouer sans joker, maquette fragile d'un processus de déconstruction permanente.Tout s'effondre sur fond de sirènes et les mimiques de ses neuf apôtres de la décadence se figent en tétanie stroboscopique.Des législateurs, notables en gants violets, bureaucrates tremblotants, fiévreux, inquiets, désuets. Pathétiques à souhait.Bestiaire sonore de chimères animées par la dérision, le mal, le fil à retordre la loi.C'est grotesque et monstrueux, tribal, gouvernance désuète, danse de troncs voués au jeu de massacre, corps tronqués, sciés, manipulés, obéissants à l'envi.Soumis et domestiqués en habits de cérémonie, de velours.Des borborygmes aux lèvres, comme empêchés, muselés: on assiste à une mascarade, parade sonore de carnaval, "polis petits chiens" grondant, politiciens engoncés, dans un rituel de mort, d'arracheurs de dents : on y vocalise en gargarisme du Grieg (Leise flehen), du Strauss viennois: on y applaudit la dérision de cette mascarade politique totalitaire très dignement. La musique du "Lac des cygnes" comme mort prochaine, emphatique tsunami dictatorial sur les corps et les pensées bourgeoises qui se voilent la face! C'est drôle et terrorisant à la fois.Décalé et jouissif, marche funèbre dans une volière d'oiseaux prisonniers coincés dans leur carcan , dans un cataclysme du pouvoir sidérant: le choeur des cygnes qui claquettent, avec leurs gants mauves comme becs: on y met à mal le ballet classique et son public de diplomates, pastiche d'un règne révolu.Automates fébriles et menacés, despote maitre de ballet d'opéra dresseur d'oisillons immatures: lac des signes sur fond de ola de stade pour polichinelles asservis: un bouquet final joyeux secondé par une fin un peu trop "allongée" dans le propos redondant clôt cette vision de cour des miracles . Sur de petits lits blancs bordés, en perspective raccourcie, les corps bavardent encore sous la pression du politiquement incorrect signé par Marlene Monteiro Freitas qui offense et perturbe le plateau à loisir: la danse comme vecteur de dénonciation du pouvoir abusif sur les corps et les pensées.
Au Nouveau Théâtre de Montreuil le 13 NOVEMBRE
Dans le cadre du festival d'Automne 2021
0 commentaires:
Enregistrer un commentaire