Il a fait des questions d’identité l’un des thèmes majeurs de ses spectacles. Dans Yellel,
le nom du village de son père en Algérie, Hamid Ben Mahi chorégraphie
un voyage poétique. Une façon de témoigner, à travers la danse, des
horizons multiples que les cultures métissées ouvrent à notre temps.
« C’est bizarre d’être issu à la fois de deux endroits et de se sentir
étranger dans les deux. Comme beaucoup, malgré les années, c’est
toujours quelque chose qui me tiraille. » Figure singulière du hip-hop
français, Hamid Ben Mahi a fêté en 2020 les vingt ans de sa compagnie
Hors Série. Nombre de ses spectacles sont portés par cette quête
identitaire. Tourné vers la beauté du monde arabe, sa musique, sa
culture, Yellel s’en fait une nouvelle fois l’écho. C’est en s’appuyant sur un livre d’Amin Maalouf, Les identités meurtrières,
que l’artiste bordelais a chorégraphié cette pièce qu’il interprète
avec cinq danseurs d’origines et de pratiques du mouvement différentes.
Son intention : réunir une communauté pour faire ensemble le chemin de Yellel.
Une traversée en deux temps où les corps résistent avant le lâcher
prise, l’ivresse de la danse, la transe, la fête. Pour le chorégraphe,
il s’agit de mettre en valeur cette richesse multiculturelle
d’aujourd’hui. Une histoire commune portée par les corps, leurs gestes,
les musiques et les mots. Une histoire qui se détache des conflits en
mêlant danses orientales et urbaines, musiques traditionnelles et
contemporaines aux rythmes percussifs, aux tonalités sensibles.
Ce qui les "relie" ce sont les maillons de leur chaine fraternelle, les liens qui tissent leur danse collective, cette main qui frôle et caresse la blancheur d'un mur en projection, prologue à cette cérémonie rituelle de la passation de l'encens en relais, fumées sorties d'un petit pot de terre du pays...Relais, flambeau, solidarité surement! Mais collectif ne renie pas l'altérité de chacun et les six danseurs signent délibérément leur danse, en solo singulier et unique.Le cromalin est passé par là pour confirmer que les couleurs portées par chacun sont bonnes à être imprimées sut un "bon à titré" chorégraphique !La composition est simple et très organisée; chacun s'en détache, seul, à deux, à trois, en bande de mailles qui se tricotent comme des pas de danse traditionnels, quasi "folkloriques". Les sons des souffles, de l'air que chacun expire en cadence et halètements donnent de l'ampleur, de l'espace qui respire.Frappes des mains, rythmes au diapason d'une unisson qui va et vient, se perd en individualités. C'est toute une histoire qui se raconte, un récit autant parlé, qu'écrit sur le mur ou dans le corps de chacun. Maillages de mots, de gestes imbriqués en architecture mouvante avec interstices pour s'y glisser...ICI tout s'en-chaîne, se relie, élastique et souple tricotage, trame et chaine de mouvements simples, inspirés du hip-hop très "revisité" à l’orientale sur fond de dentelles de moucharabiés. Un magnifique solo à la Polichinelle ou Pétrouchka s'en détache, virtuose interprétation d'une quête d'identité; une autre, femme au bord de la crise de nerf se fait singulière et se détache de la tribu.Sur fond d’icône de patriarche!Essoufflée, mais comblée par ce jeu libératoire et salvateur.Un dernier voyage à Yellel peut-être pour ceux qui se cherchent entre deux continents d'origine? La roue tourne pour eux, au coeur d'une empreinte digitale, un recueillement oblige en grappe serrée, soudée, en ronde pour mieux se concentrer. Danse-contact, appuis, surface, poids sont les fondamentaux de leurs relations corporelles , échappée belle de l'abandon, du don de soi à l'autre.Comme un phare, un flambeau le chorégraphe se laisse aller aux regard des autres, repère, balise : on s'encourage, on s'entraide, on se respecte: la danse profonde surgit qui tangue et s'enroule dans les corps..Encore un très beau solo d'une femme cheveux défaits qui tournoient sur l'axe de son corps mouvant, stimulée par ses pairs.Danse des voiles sur fond d'images pulsatiles en dentelle noire qui oscille en bonne "compagnie" en osmose avec cette communauté qui se questionne joyeusement sur ses origines. Danser l'arc en ciel des couleurs, de la fratrie culturelle, en cercle chromatique sans compas dans l'oeil, avec un fil d'aplomb et un niveau équilibré, stable autant que mouvant. Contempler la mer, de dos, dans le flux et reflux silencieux des vagues qui se dessinent sur l'écran sera leur épilogue, leur final. Encore un rebond en match de poufs, jetés comme des balles, relais de leur union indéfectible à l'unisson de leur pas déterminés.Hymne, ode à l'oubli ou à l'abandon -s'oublier aussi-dans des transports joyeux et collectifs, entre unité et singularité.Électrons libres qui se déchainent, galvanisés par la musique, les applaudissements des spectateurs face aux derniers battles qui soudent cet ensemble chorégraphique, très humain, chaleureux, authentique fresque, trace et signe d'altérité!
A Pole Sud du 30 Novembre au 2 Décembre
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