samedi 27 novembre 2021

"L'étang" sont durs ! Que vienne Gisèle , vilain petit canard des temps, signe-cygne- de beauté étouffée par le joug familial....

 


C’est l’histoire d’un jeune garçon qui se sent mal aimé par sa mère et, au comble du désespoir, simule un suicide pour vérifier l’amour qu’elle lui porte.

S’ensuit un dialogue avec celle-ci, si intime que les limites entre réel et fiction semblent s’estomper. Famille et voisins paraissent bien présents autour d’eux, mais ils pourraient tout autant être le fruit d’un imaginaire agité.

La metteuse en scène Gisèle Vienne déploie subtilement un jeu de perceptions incertaines. Adèle Haenel et Ruth Vega Fernandez interprètent les deux personnages tout en prêtant leurs voix à une galerie d’autres figures qui surgissent du récit onirique. Acclamée par la critique, cette adaptation d’un court texte de l’auteur suisse Robert Walser interroge les strates de la narration. Que faut-il lire et entendre entre les lignes ? Quand notre lecture est-elle de l’ordre de l’intuition, quand relève-t-elle de notre interprétation ? Mouvement et immobilisme, voix incarnées et silences sont ici les éléments d’une composition scénique sensible où se superposent différentes réalités.

Les emblématiques mannequins de Gisèle Vienne sont déjà sur le plateau: figures de jeunes adolescents oisifs en tenue de sport, allongés sur un lit de fer ou à terre parmi un fouillis d'objets non identifiables...Un par un, un manipulateur vient nous les dérober du regard: en restera-t-il un, vivant ? Non, la scène se dénude pour laisser place à deux personnages, pénétrant les lieux à pas de loup, au ralenti dans une énergie douce,pondérée, aux appuis teintés de prudence, d'hésitation. Dans quel univers allons-nous intervenir, nous, public agressé par une musique d'enfer aux décibels augmentés signée Stephen O Malley? Deux femmes sans doute au premier abord, puis s'avère au gré du texte, femme, mères de deux adolescents et un jeune androgyne dégenré, garçon manqué incarné par Adèle Haenel en personne.La démarche lente et pesante laissant libre cours à une gestuelle très alanguie, sensuelle, libertaire exposition d'un corps de blanc vêtu, virginal, éthéré..Il-elle-avoue être délaissé, incompris par sa famille, ses proches, frustré et mal aimé, abandonné, non reconnu.Des souffles et lentes respirations off accompagnent la diction vivante, urgente de cet être paumé, rehaussé par les répliques de l'autre: femme en jean moulant et longue chevelure, gracieuse créature qui fait face ou ombrage à ce pantin mal dans sa peau.Dans ce white cube scénique, vidé de tout décor, les lumière se font froides: bleu, vert ou parfois rose, couleurs fondantes et fluorescente enrobant, enveloppant cet univers étrange et peu "familier" Car il s'agit ici des membres présents et absents d'une famille peuplée d'idiots à la Dostoïevski, entourage non choisi par notre anti héros qui souffre et blasphème poliment. Incarnant plus d'une dizaine de personnages, membre ou proche de cette famille toxique, notre jeune révolté ne mâche pas ses mots et joue avec virtuosité sur plusieurs registres vocaux impressionnants. En écho et réverbération sonore puisant dans des timbres, tonalités, durées variant selon les caractères incarnés.Adèle Haenel se révèle dans un langage corporel engagé, sensuel, maitrisé dans une énergie ponctuée de surprises et modulations très travaillées.Univers bleu, univers jaune, les lumières changent et enrobent le plateau.Elle se vautre languissante sur sa couche métallique sur fondu suave d'éclairages chaleureux.Des bruits et sons de cataclysme opérant pour une ambiance d'inconfort, de vertige, de déséquilibre. Et le texte de sourde de leurs lèvres ou d'une bande son off, étranges personnages virtuels peuplant cette jungle familiale si peu accueillante!Adolescent, garçon manqué à la gestuelle très maitrisée, Haenel fait mouche et surprend, sa voix nous est familière et son talent d'actrice pour le théâtre s'y pose différemment qu'au cinéma.Des pleurs, des chants de sirènes comme ambiance démoniaque, intranquille. L'étang sera ce personnage absent qui semble vouloir engloutir, absorber le malaise et l'incompréhension du monde vis à vis de ce "vilain petit canard" cygne des temps, signe d'étang qui passe et engloutit rêves et cauchemars au profit d'une réalité sombre et implacable: famille, je vous hais, mères je vous déteste, vampires et dresseuses d'animaux obéissants et dociles...

Au Maillon jusqu'au 28 Novembre

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