Wanjiru Kamuyu Cie WKcollective France duo création 2020 An immigrant’s story
Un corps porte-parole des stigmates migratoires, c’est ce que propose Wanjiru Kamuyu. Entre bribes de récit, chant et danse, son solo questionne sans fard la construction des identités et leur représentation mais aussi le statut et la place de chacun dans le fracas du monde.
Artiste cosmopolite, Wanjiru Kamuyu a vécu en Afrique, en Amérique du Nord et en Europe. Coté danse, elle est passée du classique, qu’elle a pratiqué au Kenya dans son enfance, au contemporain découvert aux USA mais également au butô. Ce nomadisme, ces déplacements avec les transformations qu’ils induisent, la mixité des cultures traversées ont forgé son parcours et l’ont portée à questionner fortement certains sujets d’actualité. La notion d’immigration en particulier, avec ses catégories opposées, celle des privilégiés et celle des défavorisés, mais aussi les flux migratoires et leurs causes probables. Quitter, perdre et se réinventer, ailleurs… Comment s’y retrouver ? De quoi sommes-nous faits ? Quels regards, quelles images définissent l’étranger, en particulier le migrant ? Qui est-il pour lui-même comme pour l’autre ? Vibrant et dérangeant, son solo se fait le récit acéré d’une histoire de l’humanité nourrie par son expérience et des témoignages de migrants. Faisant corps avec son propos, Wanjiru Kamuyu s’échappe du cadre, manie parole et gestes, humour et tragédie, et questionne notre rapport à l’autre avec autant de conviction que de sincérité.
Sur le plateau entouré de chaises renversées, alignées qui donnent l'impression de frontières, de délimitation ou de herses -pièges à oiseaux- une femme apparait dans un éclairage flamboyant.Soliste évoquant de sa voix et de ses gestes comme dans une incantation, un paysage corporel fait de jeux de mains, de doigts très véloces. Sa large envergure déployée; plexus solaire offert, chaleur et bonté rivées au corps. Elle ondoie dans son costume orange vif, sur place, puis sillonnant l'espace dans d'étranges tremblements fébriles.Secousses, balancements en offrande...Elle échange sa "première peau" pour une seconde longue robe découpée de lambeaux et s'adonne à franchir l'espace en sauts et manèges évocant le vocabulaire classique jadis acquis. L'épuisement semble la gagner, la désolation, la pesanteur de quelque chose: l'exil, l'altérité perdue lors de la migration qu'elle a "subi" loin de ses origines, arrachée à sa langue, à son terroir africain.Hésitations, mouvement de recul, abandon. Alors qu'auprès d'elle une autre femme traduit en langue des signes ses paroles et double sans la trahir, de sa danse gestuelle, les propos sur le déracinement.
Des signatures qui converegent
Danseuse, assurément, cette "interprète" , Nelly Celerine traduit à sa manière et devient sa partenaire officielle. La complicité se raffermit, s'impose quand Wanjiru Kamuyu traversa une rangée de spectateurs dans la salle, lui cédant le plateau à part entière.La passation est belle et généreuse, complice, en osmose: langage des signes se métamorphosant en danse évidence qui transmet du sens et de l'image.Jamais la chorégraphie n'a rejoint à ce point la langue des signes et c'est un petit miracle que de voir s'incarner une telle alchimie!Duo de femmes soutenue par la musique qui elle aussi de plus neutre revêt la rythmique africaine ou celle des cordes d'un violon. Tragédie de l'exil, du sacrifice du déracinement. Une voix off raconte l'histoire de la "femme de fer" à la voix chaude et rassurante, évoque la fanfaronnade qui se tisse à propos des "africaines" et des clichés liés à son image en Occident Mais, rebelles, nos deux interprètes se jouent des on-dits et dansent de plus belle, à l'africaine! Dans un duo jovial et joyeux, laissant exprimer leur identité profonde sans se museler pour plaire ou paraitre aux yeux de notre société. Les corps se libèrent, racontent leur histoire d'origine dans des gestes rythmés, sautillants, empreints de sourires et de solidarité. Dans de beaux relâchés, dans une dérision et un humour non dissimulé.Combattre, se soulever à l'envi face à l'exil qui fait souffrir et reculer.Une vision très personnelle et politique de la condition de la femme africaine sur nos territoires européens, victime des flux migratoires qui catapultent "ailleurs" les corps et âmes sans se soucier du "déplacement" cultuel et culturel des êtres de chair et de danse.Un hommage au migrant de toute origine sur le chemin du transfert, du déséquilibre, du renoncement.
A Pole Sud les 25 et 26 Janvier
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