dimanche 23 janvier 2022

"L'enfant et les sortilèges": l'envers du music-hall ! Ravel, Colette en coulisse.....

 


« Je n’aime personne ! Je suis très méchant ! » Pour ne pas avoir fait ses devoirs, un enfant est privé de goûter et puni jusqu’au soir. De rage, il renverse la théière, étouffe les braises dans la cheminée, déchire ses cahiers, lacère les tentures, détraque une horloge et martyrise un écureuil. Ivre de sa toute puissance sur ce monde dévasté, il cherche le repos dans un fauteuil, mais celui-ci se dérobe pour aller danser. Sous les yeux ébahis de l’enfant, ses victimes inanimées prennent vie : la théière discute boxe avec la tasse chinoise, le feu gronde et menace tandis que la princesse s’éveille de son conte. Les animaux du jardin – chats, rainettes, libellules, chauves-souris et écureuils – le tourmentent à leur tour, bien décidés à lui donner une bonne leçon et lui enseigner la compassion. À chacun des sortilèges sortis de l’imagination de Colette, Maurice Ravel a donné une couleur musicale et un style singulier. Jazz, valse, danse espagnole, sarabande néo-classique et envolées lyriques se succèdent dans un opéra-kaléidoscope qui se fait nomade grâce à un spectacle de chambre itinérant, présenté dans le Grand Est par les chanteurs de l’Opéra Studio et quatre instrumentistes.

L'envers du décor, les coulisses, d’amblé nous transportent dans l'intimité de l'avant  spectacle, du trac ou des péripéties inhérentes à la préparation, la bonne marche du spectacle et la mise en place de tous...Ce petit monde se focalise vite sur les caprices d'un enfant, grand et large pull-over rouge, enfant rebelle et mauvais bougre...Tout s'agite autour de lui, s'affaire et il rompt  avec cette organisation horlogère qui tout à coup va réagir à ces obstacles intempestifs.Les personnages du livret multiplient leurs efforts pour endiguer cette rage soudaine: l'enfant-femme qui détruit et casse, brise et rompt la quiétude, la routine.La mère, figure phare de ce conte sacré et initiatique inaugure et clôt cette "fantaisie scénique", personnage central qui répond par sa pratique artistique, aux frustrations de l'enfant submergé par les objets troubles de sa jalousie possessive.Tout vole en éclats alors que se profilent moultes acteurs de l'imagination de cet"enfant" livré à lui-même.Belle prestation de Brenda Poupard , riche en nuances et gestuelles inspirées de la peur, de la colère de l'émoi de l'abandon.Habiter cette innocence blessée est subtile et très mesurée.L'ambiance autour de lui est pourtant magnétique, virevoltante, très chorégraphique: un duo de swing, des élucubrations rocambolesques, du quasi music hall venant célébrer les amours de Colette pour la musique et le théâtre! Un troupeau de peaux de moutons pour incarner la bergère !!!!Un duo de chats séduisant vient emporter ce bestiaire fabuleux qui se délivre quand l'envers du décor laisse voir un jardin étrange dans l'obscurité: on pourrait presque y entrevoir une vision catastrophe d'un champ de bataille, évocation du contexte de création de la pièce originelle. De ce fond trouble, sortent les animaux magiques ou maléfiques aux costumes très seyants: un écureil-escargot remportant le trophée de l'originalité, un matelas enroulé sur le dos! La rainette est étrange et royale et danse comme il faut quelques pas tandis que la musique "de chambre" éclaire ce petit monde fidèle à l'ambiance peu commune de cette fantaisie, féerie-ballet, opéra des Années Folles, composé de séquences, numéros, saynètes multiples qui brouillent les pistes et rebondissent fréquemment. Une version inédite et "légère", transportable comme la maison de l'escargot, sur le dos et auprès de tous les publics.Emilie Capliez donne ici une version quasi psychanalytique de l'oeuvre initiatique et fondement de la notion d'amour en partage, si délicate pour les enfants comme expérience humaine et existentielle. Les chanteurs honorant très justement et avec talent chaque nuance musicale chères à Ravel:magie de l'atmosphère, suspens et suspension atonale, swing, jazz, néoclassicisme, espagnolade....Oleg Volkov et ses compères de l'Opéra Studio de l'ONR toujours prouvant leurs talents de comédiens-chanteurs déjà bien rodés à la scène et plein de verve et d'enthousiasme....

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