mercredi 21 février 2024

"Fajar" ou l'odysée de l'homme qui rêvait d'être poète: l'aube-épine, passe-muraille, alambic, filtre, tamis du réel.

 


Fajar signifie « Aube » en wolof, la langue nationale du Sénégal où est né l’acteur, metteur en scène et auteur Adama Diop. La pièce raconte le parcours initiatique du jeune sénégalais Malal, en quête d’identité, qui se sent l’âme d’un poète. Dans la ville chaude et bruyante de Dakar, comment trouver sa voie entre les traditions et la culture urbaine ? Après la mort de sa mère, Malal est assailli de rêves étranges qui le poursuivent dans la réalité, lui révélant un monde insoupçonné. Peut-on franchir les frontières entre les continents, entre les vivants et les morts, entre l’inconscient des rêves et la vie ? Le spectacle est une odyssée moderne faisant dialoguer images filmées, théâtre, art du conte et musique en live
− alto, violon, ngoni et chant. 


Quand le cinémascope prend une autre dimension, c'est au théâtre! Sur un écran 16 neuvième pour fond de scène ou rideau frontal, ce sont des images qui sont projetées au rythme du défilement du cinéma. C'est le mouvement, le montage, le tempo du 7 ème Art qui sont à l'honneur en introduction de cet objet hybride, ce morceau de bravoure artistique, ce "Fajar" au crépuscule naissant de la pièce. Ni prologue, ni court métrage, le film introduit judicieusement le récit autobiographie de Malal, ce personnage que l'on découvre de très près, en gros plan serré ou dans les paysages urbains de Dakar, au Sénégal. Histoire singulière autant qu'universelle pour l'auteur-réalisateur, metteur en scène et comédien, Adama Diop. Tout semble être ici en osmose jusqu'à la musique live qui sonorise le film, dissimulée au départ derrière l'écran. Immersion totale pour le spectateur dans le monde des média multiples ici réunis pour le meilleur d'un spectacle total. L'empathie avec ce trublion de la scène, Adama Diop, entre virtuel et incarnation fonctionne d'emblée. Alors le voyage à travers le temps, le rêve, la réalité opère et l'on saute d'un univers, d'un espace à l'autre avec aisance et compréhension. La musique est loin des clichés exotiques, baroque, classique, interprétée sur des instruments à cordes et à vent, dont une flûte extraordinaire au son râpeux et rugueux. Instants musicaux magnétiques pour propulser celui qui regarde, écoute et vibre au rythme des séquences. 


Des rêves s'enchainent entre scène et écran comme dans une faille, un précipice qui baille et laisse entrevoir des secrets d'existence. Tout est filtré, passé au tamis de la voix de Malal en direct ou différé, en voix off ou face à nous.Un texte mis en scène par son auteur propre pardonne toute omission ou adaptation tronquée. On plonge dans son biotope, sa destinée dans un conte, une narration singulière. Epique et rocambolesque, haletante autant que tendre et raisonnée. Le rituel théâtral permettant ces va-et-vient entre hier et aujourd'hui où semble se perdre Malal. Égaré, cherchant son fil d'Ariane dans une mythologie contemporaine. Les autres compagnons de route seront des femmes, Jupiter sa femme, Marianne sa dulcinée rêvée. Le questionnant, le rabrouant comme un enfant qui découvre les codes de bonne conduite.Marie-Sophie Ferdane, Fatou Jupiter Touré et Frédéric Leidgens pour complices sur la toile, sur le plateau: on fait le pont ou la passerelle pour franchir les frontières du temps et de l'espace, de la couleur ou du noir et blanc.Et le pays, le Sénégal comme unité de lieu et d'action! Exister à tout prix pour tous, pour les migrants suggérés par ces passages de barque, de traine en profil d’icônes passagères sur le plateau.La poésie comme arme de combat, comme surface de réparation de blessures, de déracinement.Somme de musique, d'images, d'acteurs en chair et en os ou portés à l'écran, le spectacle s'écoule trois heures durant comme un long fleuve intranquille: de l'aube au crépuscule du soir...

Adama Diop est acteur et metteur en scène ; Fajar est son premier texte. Auparavant, il a créé Le Masque boiteux de Koffi Kwahulé en 2006 et Homme pour homme, adapté de Bertolt Brecht, en 2007. Le public du TNS a pu le voir dans les spectacles de Julien Gosselin 2666 en 2017 et Joueurs, Mao II, Les Noms en 2020 ainsi que dans Bajazet, en considérant Le Théâtre et la peste mis en scène par Frank Castorf, en 2022. 

Au TNS jusqu'au 24 Février

0 commentaires:

Enregistrer un commentaire