dimanche 11 février 2024

"Polifemo": au sommet du baroque: on la tourne ! Le péplum, ça fait pas un pli.

 


Polifemo
Nicola Porpora Création française. Nouvelle production.Coproduction avec l’Opéra de Lille.


Opera seria en trois actes.
Livret de Paolo Antonio Rolli.

Dans la mythologie grecque, les nymphes ont la fâcheuse tendance à s’enticher de héros qui, bien que vaillants et auréolés de gloire, n’en restent pas moins mortels. À peine a-t-il jailli et voilà que leur amour naissant est déjà la source d’un torrent de larmes plus amères que la Méditerranée. Il en est ainsi de Galatée, éprise du berger Acis, et de Calypso, amoureuse d’Ulysse, l’ingénieux vainqueur de la Guerre de Troie. Mais l’amour, surtout lorsqu’il est divin, n’est jamais un long fleuve tranquille. Le cyclope Polyphème, fils monstrueux du dieu des mers, déborde de désir pour Galatée et retient les marins d’Ulysse captifs sur son île. Seule la ruse leur permettra de triompher de ce géant à l’œil unique.


Silence, "on tourne" et la prise est bonne sur le plateau de l'Opéra du Rhin, transformé en studio Waener Bros ou Cinécitta. Projecteur géant, tour mobile et autres mécanismes propres à un tournage. Le film dans l'opéra pour un voyage épaulé par des grips, ce métier de machiniste ou d'éclairagiste sur le tournage de films. Prêts à intervenir et soutenir l'action des principaux personnages. En l'occurrence une Galatée formidable, Madison Nonoa, interprète à la voix pleine et ronde. 


Un Acis remarquable, Franco Fagioli à la  voix ornementée, très baroque napolitain, perle rare de l'interprétation virtuose d'un héritier des fameux castrats de l'époque. Les scènes s'enchainent dans ce monde versatile, entre cinéma et mythologie, entre fantastique et domaine des dieux. Péplum oblige pour ces références aventurières, romanesques, voir romantiques. Pli selon pli pour les costumes et l'affiche au générique de cette fiction très américaine, version où chacun se passe la balle, relais d'informations sur un plateau de tournage en ébullition. Caméras de surveillance pour filmer et observer ce petit microcosme qui s'affaire. L'intrigue est simple et le cours des choses avance porté par une partition modulée et une direction de main de maitre par Emmanuelle Haim  du "Concert d'Astrée. L'atmosphère de ce bijou baroque est prenante et nous renvoie aux destins extraordinaires de ces êtres mi-hommes mi-dieux où l'amour fait la loi et les voix s'élèvent pour le proclamer: virtuosité en ligne de mire dans un jeu d'acteur pourtant sobre et convaincant. 


Les décors comme berceau des péripéties au coeur d'un paysage volcanique, de rochers, de tunnel évoquant la rudesse, l'énormité de cette légende double. Musique très phonolitique comme les roches volcaniques au son d'instruments réverbérant le vent, l'enflure de la monstruosité du Cyclope en Personne: sculpture à la tête, à la main gigantesque évoquant le "King Kong" mythique de la légende cinématographique. De très belles et impressionnantes voix en duo ou à capella pour Acis sur son échelle qui invoque l 'amour, toujours. Cabanes de pêcheurs pour les personnages dits secondaires, abris pastoral pour troupeau de moutons fétiches, pastiches de la figure du berger. 


La mise en scène de Bruno Ravella, "anachronique" fait mouche: paillotes exotiques,barque en figure de proue, moutons en grappe et autres fantaisies dont des rideaux de fond de scène très réussis. Ça tourne rond pour cette oeuvre rare et distinguée où l'orchestration est riche et variée: flûtes traversières à l'honneur, cors, bassons, quatuor à cordes: motifs pastoraux, élégiaques, funèbres ou grotesques à l'appui. Les tessitures des voix de l'alto au soprano comme des couleurs ,variantes de celles des castrats aux capacités pulmonaires défiant le possible, pour chanter des lignes à l'infini, des registres vocaux très homogènes du grave à l'aigu. En somme un scénario de péplum contemporain à la "Cléopatre": des plis et replis baroques comme ceux de Deleuze dans "Le pli"...."La vie dans les plis", celle d'un Michaux féru de curiosités monstrueuses et hallucinées. Plus "Personne" sur le plateau.


Au XVIIIe siècle, Nicola Porpora (1686-1768) est l’un des grands maîtres de la musique vocale. Professeur de chant hors pair, il forme les meilleurs castrats pour les rôles pyrotechniques des
opera seria qu’il compose et popularise dans toute l’Europe. Invité à Londres au début des années 1730, il concurrence Haendel sur ses propres terres avec Polifemo qui réunit les deux castrats stars de l’époque : Senesino et Farinelli, à qui il confie l’air bouleversant « Alto Giove ». Trois siècles plus tard, Emmanuelle Haïm, le Concert d’Astrée et une distribution virtuose redonnent vie à ce rare trésor présenté pour la première fois en France, dans une mise en scène de Bruno Ravella aux références cinématographiques.

En italien
Surtitré en français, allemand

Acis et Galatée au Luxembourg
A l'Opéra du Rhin jusqu'au 11 Février

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