La première étape de l’excursion lorraine de cette édition est l’occasion d’une rencontre symbolique entre Musica et Musique Action, deux festivals cousins et voisins créés au début des années 1980. Ce rendez-vous inédit se traduit par un jeu de miroir entre deux quatuors, deux attitudes et deux visions.
Sous le titre de Horns, le
premier est un chaudron porté à incandescence, un creuset de vibrations
profondes et de crépitements électroniques orchestrés par quatre
explorateurs du sonore sous la houlette de Seb Brun. Tout démarre dans un silence énigmatique: le public invité à déambuler dans l'espace protégé de la Salle des Fêtes de la mairie de Vandoeuvre attenante, par un passage souterrain étonnant.Se détachent de la foule, quatre musiciens simplement badauds errants parmi les spectateurs, invités à faire connaissance avec le dispositif sonore: curieuses petites installations au sol, faites de bric et de broc qui intriguent. Sons lointains, étranges, ténus qui caressent l'oreille, vibrent, émanent de baffles, autant que de synthèse technologiques. Au deux consoles, les alchimistes du son s'affairent, alors qu'un trompettiste se joue des sonorités embouchées de son objet sonore...On regarde, observe sur place cet attirail magnétique qui vibre et bruisse, intrigue, déconcerte ou agace. La poésie de petites pièces de monnaies sonnantes et trébuchantes fait mouche pour les plus petits sur cette plaque de fer de boite à biscuit de récupération.Tout le reste va de cet acabit, joyeux, inventif, sérieux ou pas.Puis l'atmosphère bascule dans une dramaturgie sonore qui fait voyager très vite, très loin: c'est la locomotive furieuse de Zola dans "La bête humaine" ou l'entrée du train dans la Gare de la Ciota" des Frères Lumière.Images ou roman illustré par ces sons saturés, issus d'empilements d'enregistrements variés et divers pour la richesse de leurs intonations. Sifflement, sirènes de trains...Qui s'emballent, s'activent, se remuent et déboussolent! Le quatuor performe, improvise, surprend toujours et la déambulation est de mise pour apprécier cette marche-démarche originale, savante, invitant à une écoute libre, sans arrière pensée académique ni apriori intellectualisé d'un processus de création à vif et dévoiler avec les risques du in situ et de l'ici et maintenant.
Le second, ce sont les maîtres en horlogerie
acoustique du Quatuor Diotima et deux œuvres majeures du XXe siècle, le Quatuor à cordes no 2 de György Ligeti et Different Trains de Steve Reich. Le tout est un voyage aux confins de la mécanique de précision musicale.Et la prestation de haute voltige fait de l'écoute de ces deux pièces réunies, une ode, un hommage aux deux compositeurs hors norme .Le quatuor présentant en prologue chacune des qualités musicales et de la genèse des pièces du récital.Ligeti, le roi et démiurge des cordes fait vibrer, résonner les cordes pincées, irise la matière sonore qui fluctue et dont se détachent des motifs flottants.Se déployant dans une infinie liberté lumineuse, alerte, mécanisme de précision qui serait devenu son propre maitre.Un régal de dextérité, de virtuosité aux bouts des doigts des interprètes ravis, aguerri et séduisant l'auditeur par cette rythmique décalée, surprenante, entrainante. Alors que le magistral "Different trains" de Steve Reich plonge dans l'atmosphère noire et envoutante de la déportation.Les cordes s'animent et l'on visualise la source des sons qui ne sont pas ceux de la bande son, on les matérialisent à l'envi, scrutant cet espace sonore si évocateur du drame et de sa montée en puissance. Les sifflements des trains de la mort comme autant de mélopées de la souffrance, de l'horreur. Mais aussi de la portée dramaturgique de la partition si émouvante, tendue, asphyxiante.On étouffe, en apnée, on vole vers l'indéfectible destin des déportés dans une immense "poésie" musicale inouïe.Du grand art en partage pour cette soirée ébouriffante, décoiffante, associant immersion, écoute, pour créer des "états de corps" insoupçonnés.
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première partie Horns
Performance immersive pour dispositif d’enceintes, objets vibrants, amplificateurs et quatre improvisateurs
trompette et no-input | Timothée Quost
synthétiseur modulaire | Clément Vercelletto, Julien Boudart
percussion et électronique | Seb Brun
son | Guillaume Jay
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deuxième partie Quatuor Diotima
Steve Reich Different Trains (1988)
György Ligeti Quatuor à cordes no 2 (1968)
violons | Yun-Peng Zhao, Léo Marillier
alto | Franck Chevalier
violoncelle | Pierre Morlet
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