"Agamemnon doit partir pour Troie afin de ramener Hélène, épouse de son
frère Ménélas. Il n’y a pas de vent, la flotte ne part pas. Iphigénie,
fille d’Agamemnon et de Clytemnestre, doit être sacrifiée. Elle décide
de mourir. Cette mort lui appartient, insiste-t-elle. Parole libre et
solitaire d’une intimité irréductible. Dans une langue limpide et
chorale, Tiago Rodrigues réécrit Iphigénie d’Euripide avec l’enjeu de
questionner l’insoutenable tragédie du sacrifice et de la déjouer en
plaçant Iphigénie dans la réappropriation de son destin. Anne
Théron expose l’ambiance angoissante de cette tension entre une histoire
dictée par les dieux et une jeune fille surprenante dans son
inaliénable libre-arbitre."
Dans des vrombissements, des grondements sourds de vols aériens d’hélicoptères, la semi pénombre révèle peu à peu la présence de personnages évanescents, spectres dans le noir.Les déplacements orchestrent l'espace, sorte d'archipel de petites îles, creusées, laissant des passages en rigoles pour les corps des personnages.Tous vêtus de noir, strictes, dignes et solides dans leurs attitudes, postures et allures. Deux femmes se mettent à l'écart en commentaires sur le destin d'Iphigénie, sur le contexte, nous racontant comme les deux éléments d'un choeur grec féminin, la colère des femmes d'ici...L'une se met à danser, bras levé, en pose singulière et très classique beauté sculpturale. Le tempo est tranquille comme une partition mesurée, dosée, au rythme laissant percevoir les petits détails, la gestuelle et la diction posée de chacun. Exceptée la colère qui éclate et trouble ces placements savamment organisés.Le climat de combat aérien reprend, alors qu'en fond de scène des images de paysage maritime, bruits de marée houlante,mouvant, changeant, métamorphosent l'atmosphère: en noir et blanc scintillant, lune, nuages se succèdent pour obscurcir l'espace ou en faire un beau découpage de silhouettes noires...Les deux femmes se mettent à danser, l'une fluide, tournoyante, sorte d'imploration, de prière, d'écho au drame ambiant. Sa danse, celle de Fanny Avram, telle une Martha Graham empreinte de contractions et libérations utérines.On la connait par "Chto interdit au moins de quinze ans" comme danseuse comédienne. Chorale des deux corps dansant, lamentation salvatrice du corps en colère! Thierry Thieu Niang, collaborateur chorégraphique, compagnon des gens de théâtre pour les faire "bouger" comme nul autre metteur en corps des mouvements, de l'e-motion de Nikolais...Dans le texte de Tiago Rodrigues soutenu par la mise en scène de Anne Théron, tout s'anime, se joue au mot, au geste près, millimétrage fluide et passionné du petit bougé lyrique, ténu.Un spectacle où la mythologie séduit, concerne, touche et anime l'empathie de ceux qui attendent "le vent", celui qui emportera la flotte, les maux pour un sacrifice sur l'autel des alizées, du blizzard là où Éole se déchaine et se rend , prend le pouvoir martial de pousser les humains dans leurs retranchements.
Tiago Rodrigues, auteur et metteur en scène portugais, a dirigé le
Théâtre National Dona Maria II à Lisbonne (2014-2021) et dirigera le
Festival d’Avignon après l’édition de 2022. Publié aux éditions Les
Solitaires Intempestifs, il s’inscrit dans un dialogue avec le
patrimoine littéraire (Bovary, Antoine et Cléopâtre). On lui doit notamment les spectacles Souffle, By Heart.
Anne Théron, associée au TNS depuis 2015, développe une démarche qui
vise les écritures contemporaines (Christophe Pellet, Alexandra Badea,
Frédéric Vossier) comme une recherche théâtrale convoquant les outils du
cinéma
Au TNS 13 oct au 22 oct 2022
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